F- La géographie.

L’un des écueils à éviter en matière d’histoire routière consiste à se laisser aller à un déterminisme aussi stérile qu’aisé. Il pousse à établir dans toute vallée offrant une possibilité de circulation facile un axe de passage majeur ou à faire de toute crête montagneuse sans col une barrière infranchissable. Nous devons au contraire garder à l’esprit que, hormis en région de haute montagne, même si le relief peut faciliter les circulations ou les compliquer, c’est l’homme qui reste en dernier lieu seul maître en la matière, décidant de l’emplacement des routes en fonction de ses propres impératifs. La région étudiée ne présentant pas d’impossibilité absolue en matière géographique, il ne faut donc pas faire grand cas des « points de passages naturels » trop évidents, mais qui ne conduiraient les routes nulle part, ou inversement des barrières montagneuses pouvant nous paraître trop rudes à franchir alors que la nécessité des échanges peut imposer d’y passer. De bons exemples vivarois de cette situation peuvent être trouvés. Ainsi, la route Viviers-Aubenas-Le Puy, qui est l’une des plus importante de la région dès l’Antiquité, passe certainement par l’un des points les plus abrupts de la barrière cévenole, la Côte du Pal, à Montpezat. De même, les routes reliant Valence au Puy par le plateau de Vernoux se rejoignent toutes pour passer à Chalencon, principale localité du plateau alors qu’il leur serait plus facile de cheminer au nord du bourg sur un relief plus clément comme ce sera le cas au XVIIIè siècle. Mais alors, Chalencon a perdu de son pouvoir d’attraction qui imposait auparavant d’y passer à tout marchand traversant la région, même au prix d’efforts plus importants.

D’autre part, la présence d’un pont ne traduit pas un point de passage absolument impératif en toutes saisons. En effet, les rivières du Vivarais, torrentueuses, sont le plus souvent à sec ou presque et la présence du pont ne devient indispensable qu’en période de hautes eaux. Ainsi, de nombreux gués existent, souvent plus pratiques que le pont qui impose un détour. Le cas de la traversée du Doux au niveau de Tournon est significatif : le pont qui y est établi à la fin du Moyen Age peut être contourné par au moins deux gués bien attestés qui fonctionnent la majeure partie de l’année.

Même le péage ne peut être considéré comme un point où la route serait obligée de passer invariablement. En témoigne la multitude des postes de perception pour le même péage, postes qui suivent les déplacements d’itinéraires que les seigneurs n’arrivent pas à fixer durablement ( 172 ).

La notion de « point de passage obligé » est donc à relativiser. Sans doute faut-il lui préférer celle de « point de passage préférentiel », orientant la route sur quelques kilomètres, mais n’étant nullement à l’origine de son tracé d’ensemble.

Notes
172.

) L’exemple le plus significatif est certainement celui du péage de Bapeaume où les postes de perception se multiplient le long de la route de Paris aux Flandres au gré des modifications de tracé de celle-ci. Cf. Auduc (J.-L.) : « Bapeaume : un carrefour routier aux XIIIè et XIVè siècles », art. cité, p. 249 et suivantes. De nombreux exemples locaux peuvent être présentés. Cf. infra, annexe n°13.