G- La reconnaissance de terrain.

L’archéologie aérienne a souvent été employée avec succès pour la recherche de tracés routiers anciens, essentiellement antiques, presque totalement disparus du cadastre ou très largement occultés ( 173 ). Néanmoins, le Vivarais ne se présente pas, de par ses caractères géographiques, comme un terrain potentiellement très favorable à un tel travail. En effet, le relief, globalement très accidenté et cloisonné, ne se laisse pas facilement appréhender par la voie aérienne. En outre, la terre d’élection de l’archéologie aérienne est sans conteste le terroir mis en culture : les labours sont aujourd’hui rares en Vivarais où dominent des forêts souvent denses qui masquent le sol ou encore les vignes. Toutes deux ne constituent pas un terrain propice au repérage aérien ( 174 ). Seuls le plateau vivaro-vellave, le Piedmont annonéen et dans une certaine mesure le rivage rhodanien pouvaient donc se prêter à de telles recherches. Néanmoins, pour de multiples raisons, même sur ces régions plus favorables, nous n’y avons pas recouru. Tout d’abord, il s’agit d’une discipline bien spécifique qui aurait imposé un long apprentissage dépassant le cadre de notre travail. Ensuite, nous intéressant à la fin du Moyen Age, période pour laquelle les autres sources sont nombreuses, nous avons jugé que des travaux de télédétection ne seraient pas susceptibles d’apporter des éléments de connaissance décisifs justifiant la dépense financière considérable qu’ils représentent.

La recherche de la route « au sol » est donc plus sûre en nos régions bien que l’archéologue reste le plus souvent démuni. En effet, quoi de plus ténu qu’un modeste sentier, même fréquenté par de nombreuses caravanes muletières ? Les vestiges construits de routes médiévales sont des plus rares et presque impossibles à isoler des aménagements postérieurs. Les murs de soutènement ou les pavages sont des constructions de type vernaculaire absolument indatables. Les voies dites « à ornières », dont quelques-unes ont pu être localisées en Vivarais et sur ses marges ( 175 ), constituent les vestiges les plus évidents ayant longtemps arrêté l’érudition. Rappelons qu’il s’agit de chemins de roulage dont le substrat rocheux a été entaillé par le passage répété de véhicule et présente deux ornières parallèles de profondeur variable, allant du simple creux peu marqué à de véritable saignée d’une quarantaine de centimètres ! La présence de ces voies dont on ne peut nier qu’elles correspondent à un trafic sans doute important ne sont toutefois pas pour nous un indice d’itinéraire commercial médiéval comme cela à parfois été trop rapidement avancé, et ceci pour deux raisons ( 176 ). Rien ne permet en effet de les dater. Tout au plus sait-on que certaines étaient déjà creusées en 1668 lorsque Louis de Froidour inspecte le chemin de Régordane et les remarque ( 177 ). C’est un fait, mais nous en connaissons par ailleurs d’autres qui ne sont nullement antérieures au XIXè siècle, ou même au XXè siècle ( 178 ). Il est plus prudent donc de considérer qu’une ornière peut se creuser dès qu’un chariot passe sur un substrat friable et de fait, il paraît vain de vouloir proposer une quelconque datation de tels chemins.

Par-delà ces problèmes de datation qui semblent insolubles, sauf si un texte vient par exemple fixer un ante quem bien flou (tel celui indiqué par Louis de Froidour en 1668 mais c’est le seul que nous connaissons), se pose la question de la destination de ces voies. Sont-elles le fait de trafics commerciaux, ou simplement de circulations locales ? Tout d’abord, il est à remarquer qu’aucune des voies à ornières localisées en Vivarais ne correspond à un quelconque axe reconnu comme important grâce aux mentions textuelles ou aux plans et cartes, à l’exception notable de celles se trouvant sur le chemin de Régordane et dans une bien moindre mesure sur l’axe Silon - Satillieu. De plus, jamais le roulage n’apparaît comme un moyen de transport utilisé à une échelle supérieure au simple transport paysan local ( 179 ).

Devant l’impossibilité presque absolue de dater ces voies et d’en connaître l’origine, nous nous refuserons donc à les considérer comme une preuve de l’existence d’une route supportant un trafic développé.

Tout au plus, la reconnaissance de terrain permet donc de retrouver très ponctuellement un chemin localisé et reconnu comme médiéval grâce aux textes qui le mentionnent et d’en préciser le tracé en certains secteurs.

Afin d’identifier les différents axes importants du Vivarais, nous avons donc procédé en plusieurs temps successifs correspondant à l’exploitation des diverses sources.

Au départ, nous avons identifié les chemins médiévaux au travers des mentions textuelles directes, cartographiant les points où les sources les indiquent.

Ensuite, dans un deuxième temps, le cadastre a permis de proposer une restitution des tronçons, souvent d’ailleurs assez courts, qui ne sont pas renseignés par les sources médiévales. A ce niveau, le principal problème est posé par les travaux du XVIIIè siècle, mais une lecture attentive de la relation entre le chemin et le parcellaire permet de mettre en évidence les secteurs les plus touchés par les modifications.

Dans un troisième temps, pour les quelques sections où le cadastre révèle d’évidents changements, l’abondante documentation moderne, cartographique ou technique, permet de proposer le tracé de l’itinéraire précédent la route du XVIIIè siècle.

Telle est la démarche que nous avons développée et appliquée tout au long de notre recherche permettant de restituer, souvent avec une assez grande précision, le tracé des chemins de la fin du Moyen Age, tout en assurant l’ancrage chronologique des connaissances acquises. La grande précision que nous avons voulu donner aux différents tracés, pourra de prime abord paraître superflue. Néanmoins, elle s’est très vite révélée indispensable à la bonne compréhension des axes routiers et à leur analyse.

Notes
173.

) Plusieurs exemples de tracés routiers ayant disparu du parcellaire mais encore visibles par photographies aériennes sont présentés, illustration parlantes à l’appui dans Chevallier (R.) : Les voies romaines, op. cit., p. 27 et p. 159-167 ou dans Monguilan (L.): « Contribution des recherches aériennes à la connaissance des voies antiques dans le sud-est », art. cité, p. 34-45.

174.

) Agache (R.) : « L’archéologie aérienne : des techniques et des méthodes simples à adapter aux régions et aux types de vestiges étudiés. Quelques conseils pratiques », art. cité, p. 62.

175.

) De telles « ornières » ont été localisées sur la commune de Montpezat dans la vallée de la Pourseilles, en direction du village du Roux, sur la commune de Sarras à proximité du château de Revirand, sur la commune de Gilhac-et-Bruzac au château de Pierregourde, sur la commune de Guilherand au lieu-dit du Val d’Enfer et pour finir, tout au long du tracé de la route de Régordane, à la limite de la Lozère et de l’Ardèche.

176.

) Marcel Girault est l’un des tenant de l’ancienneté « des voies à ornières » dans sa thèse sur le chemin de Régordane, il développe toutefois une argumentation peu convaincante avant tout fondée sur l’étude des largeurs de voies qu’il répartit en deux groupes. Celui des voies de 1,20 m et celui des voies de 1,40 m. Le premier serait selon lui médiéval et le second postérieur au XVIIIè siècle, sans que l’on comprenne clairement pourquoi. Cf. Girault (M.) : Le chemin de Régordane, op. cit., p. 59 à 62.

177.

) Guirault (M.) : Edition critique et commentée du Procès-Verbal de « La visitation du Chemin de Regordane », op. cit., vol. I, p.116.

178.

) Ainsi, exemple extrême, des ornières très nettes sont visibles sur un pont enjambant la voie de chemin de fer Rodez - Sévérac-le-Château non loin de la gare de Recoules. C’est dire si elles se sont creusées rapidement, entre la construction du pont à la fin XIXè siècle et l’apparition du pneumatique il y a une cinquantaine d’années et qu’elles ne doivent rien à des charrois médiévaux ou antiques.

179.

) Cf. infra p. 137-142.