a- Le sillon rhodanien

Le sillon rhodanien est incontestablement l’axe de circulation majeur du Vivarais ( 182 ). Longeant l’est du Vivarais sur plus de 130 kilomètres, le sillon rhodanien constitue véritablement l’épine dorsale du réseau routier régional, point de départ de presque tous les axes que nous décrirons par la suite. L’axe rhodanien est en fait triple, composé de deux routes terrestres et de la voie navigable. Néanmoins, nous attachant spécifiquement au Vivarais, nous ne prenons ici en considération que la route terrestre de rive droite, et les ports situés du même côté.

La route terrestre est des plus aisée à identifier dans ses grandes lignes. Elle est appelée à de très nombreuses reprises itinere regio, comme à Andance en 1400 ( 183 ), iter regio, à Tournon en 1395 ( 184 ), strata publica à Vion au Xè siècle ( 185 ), itinere regio publico à Vion en 1395 ( 186 ), ou encore magnum iter, à Mauves en 1444 ( 187 ). Nous pouvons la suivre parallèlement au fleuve, depuis Saint-Pierre-de-Boeuf au nord, jusqu’à Pont-Saint-Esprit au sud, passant par l’essentiel des bourgs et des villes du rivage rhodanien. Ainsi, elle traverse successivement Serrières, Andance, Tournon, Saint-Péray, La Voulte, Le Pouzin, Baix, Cruas, Rochemaure, Viviers, Bourg-Saint-Andéol, avant de franchir l’Ardèche au niveau de Saint-Just. Son tracé global s’apparente donc encore largement à celui de l’actuelle route nationale 86, seules quelques variantes ponctuelles ayant pu être localisées sur quelques kilomètres. Dans la plupart des cas, il s’agit de modifications de ces cent dernières années destinées à éviter la traversée du centre des villages. Il est vrai que la topographie des lieux ne permet nullement d’établir plusieurs itinéraires aux tracés différents, la route actuelle étant le plus souvent cantonnée dans les mêmes espaces réduits que les chemins anciens, confinés entre un coteau souvent abrupt et le fleuve dont les caprices redoutés imposent de s’éloigner le plus possible.

La voie fluviale, malgré les difficultés de navigation sur un cours d’eau impétueux, concerne directement le Vivarais. Sur les 130 kilomètres de rivage, on peut identifier une vingtaine de ports de toutes importances. Il est assez difficile de les classer faute de posséder des données chiffrées pour la plupart d’entre eux et, lorsque nous en possédons, tout au plus nous permettent-elles de les comparer deux à deux, mais jamais d’en établir un classement d’ensemble rigoureux. Aussi, comme pour les routes terrestres, devons-nous nous limiter à établir quatre catégories dans lesquelles nous répartissons les ports en fonction de critères relatifs, faute de pouvoir être plus précis. Il est évident ici que des séries cohérentes d’affermage des droits de port, à défaut de comptabilités de passage, nous auraient été d’un grand secours, elles n’existent néanmoins pas, ce qui se comprend lorsque l’on constate la dispersion des droits de port et pontonnage entre de très nombreux seigneurs de tous niveaux.

La première catégorie définie correspond aux ports ayant un rayonnement dépassant de loin le niveau strictement régional. Y convergent des routes majeures du sud de la France, alors que des éléments tangibles, textes ou vestiges, attestent d’aménagements portuaires fixes et de qualité. Il convient de placer là les ports de Vienne / Sainte-Colombe au nord, que nous mentionnons pour mémoire puisque échappant à notre domaine d’étude ( 188 ), ceux de Tournon, de Viviers et de Pont-Saint-Esprit. Nous devons aussi ajouter à cette liste le port de Valence, le plus important du Rhône entre Lyon et Avignon. Bien qu’il ne soit pas spécifiquement en rive vivaroise, son influence s’étend loin de part et d’autre du fleuve.

La seconde catégorie regroupe les ports qui jouent un rôle important à l’échelle de la région, sans pour autant atteindre le développement de ceux de la première catégorie, car souvent moins bien placés par rapport aux axes routiers majeurs. Ce sont les ports de Serrières, Andance, Le Pouzin et Le Teil. Tout en étant de moindre importance que les ports de la première catégorie, ils peuvent à tout moment leur servir de port de dégagement, si pour diverses raisons, techniques le plus souvent, ces derniers ne sont pas en mesure de fonctionner.

La troisième catégorie que nous pouvons définir correspond aux ports jouant avant tout un rôle local, où la fonction de traversée et d’escale l’emporte manifestement le plus souvent sur le transbordement de marchandises et sur l’accostage commercial de navires ( 189 ). Il faut mentionner ici les ports de Boeuf, Champagne, Silon, Guilherand, Soyons, Charmes, Baix et Rochemaure ou Bourg-Saint-Andéol.

A un niveau encore inférieur nous en arrivons aux ports strictement locaux, avant tout dédiés à la traversée du fleuve par un bac volant, ou à la rigueur pour certains, par une traille légère. Dans la plupart des cas, ce sont des ports satellites de ceux de la rive gauche qui ne servent que très ponctuellement à débarquer des marchandises. Nombre d’entre eux ne sont d’ailleurs connus qu’au travers de contrats commerciaux stipulant des livraisons à y faire, portant souvent sur des marchandises n’étant pas destinées au grand commerce : pierre, bois, charbon de bois, chaux... Sur la section vivaroise du fleuve, on peut retenir dans cette catégorie les ports de Peyraud, Sarras, Arras, Vion, si tant est qu’il existe encore à la fin du Moyen Age, Glun, Châteaubourg, Cruas, Saint-Montan et Saint-Marcel. Certains d’entre eux, comme Saint-Montan ou Saint-Marcel, ne nous sont connus qu’au travers d’un unique contrat de livraison, ce qui nous rappelle à la plus grande prudence ( 190 ). Nombre d’autres ports modestes, installations provisoires limitées à quelques transbordements ou accostages, ont pu exister sans que nous en ayons connaissance.

La densité des ports, tout niveau d’importance confondue, témoigne du rôle prépondérant que le fleuve joue dans les transports nord-sud, mais aussi du fait qu’il ne constitue nullement un obstacle aux liaisons entre les deux rives : aucun point du rivage rhodanien vivarois n’est éloigné de plus de 3 à 4 kilomètres d’un bac permettant de franchir le fleuve.

Notes
182.

) Cf. t. II, p 616-668.

183.

) Poncer (J.-A.) : Mémoires historiques sur le Vivarais, op. cit., t. I, p. 127.

184.

) AD 07, G 252.

185.

) Bernard (A.) et Bruel (A.) : Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, op. cit., t. I, n°415.

186.

) AD 07, G 254.

187.

) AD 07, G 350.

188.

) A leur sujet, nous renvoyons à Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve, recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. 1, vol. 2, p. 309-348, et principalement p. 309-312.

189.

) Dans le cadre d’une navigation par halage, il est impératif de distinguer les ports « d’escale commerciale » des ports « d’escales techniques ». Les premiers constituent les termes du voyage où les produits transportés sont embarqués et débarqués : ce sont les seuls vrais ports au plein sens du terme. Les seconds ne sont le plus souvent que des points où les convois doivent s’arrêter afin de changer de rive, le halage imposant d’incessantes traversées, la traction se faisant alternativement en rive droite et gauche selon les conditions naturelles des rives du fleuve.

190.

) Cf. t. II, p. 660 et 665.