c- La route du rebord sud du mont Pilat, de Vienne au Puy

C’est la route la plus septentrionale que nous ayons étudiée, longeant la limite du Vivarais, du Viennois et du Forez ( 220 ). Elle quitte le sillon rhodanien soit au niveau de Chavanay, soit à Saint-Pierre-de-Boeuf, puis chemine à mi-pente sur le versant sud du mont Pilat, par Malleval. Elle rejoint ensuite la vallée de la Deûme au niveau de Bourg-Argental qui conduit le voyageur jusqu’au plateau vellave sur lequel il débouche à Dunières. De là, gagnant Yssingeaux, il se dirige ensuite vers Le Puy.

Il faut aussi adjoindre à cette route deux axes se séparant de la vallée du Rhône plus au sud, à Serrières et Andance, et la rejoignant à Bourg-Argental après être passés à Annonay ou avoir évité la ville en la contournant immédiatement au nord, par Boulieu ( 221 ).

Cet axe, l’un des plus importants de la région est fréquemment désigné comme la route du Rhône au Puy. Ainsi, en 1362, une terre reconnue au comte de Forez est confrontée par la route de Buecz versus Anicium sive Podium ( 222 ) et une autre, en 1375, par l’iter quo itur de Buet [Boeuf] versus Anicium ( 223 ). En 1374, l’iter Anicii ( 224 ) est aussi qualifié d’iter quo itur de Vienna apud Anicium ( 225 ). En effet, la route doit bien être comprise comme reliant Vienne au Puy, et non pas simplement Saint-Pierre-de-Boeuf, Serrières ou Andance au Puy. Le détour par le sud est de nature purement technique, imposé par la masse du mont Pilat qu’il est nécessaire de contourner. La porte par laquelle la route entre dans les fortifications du Puy s’appelle d’ailleurs très justement à la fin du Moyen Age « Porte de Vienne », ne laissant subsister aucun doute sur l’origine de la route ( 226 ).

L’attention dont la route est l’objet de la part de l’administration royale à la fin du XIVè siècle est aussi une marque de son importance. Par une lettre patente en date du 9 janvier 1371, le roi accorde l’autorisation de lever un barrage pour une durée de deux ans à compter de mars afin de restaurer le pont de la Sainte, voisin d’Yssingeaux, soulignant l’importance de l’itinere publico eundo de villa Anicii ad riperiam Rodani ( 227 ). Il est vrai que nous sommes là sur une route qualifiée d’iter regium au XVè siècle ( 228 ).

Plusieurs indices permettent de penser que la route de Vienne au Puy est un axe commercial majeur dont l’utilité dépasse de loin la région.

Tout d’abord, plusieurs péages la jalonnent, quelles que soient les branches suivies au départ de la vallée du Rhône. Le premier se perçoit dès le départ de la vallée du Rhône, à Boeuf, où sont levés les droits du château de Malleval ( 229 ), puis la route traverse le mandement d’Argental ( 230 ), sujet lui aussi à péage. Au niveau du Piémont annonéen, la route traverse les mandements d’Annonay ( 231 ) et de Serrières ( 232 ) dans l’étendue desquels un péage est levé. Sur le plateau vivaro-vellave, il faut encore signaler les péages de La Sainte, dépendant du château de Laptes ( 233 ), et celui du Pertuis, dépendant de Lardeyrol ( 234 ), avant d’arriver à Brives ( 235 ), aux portes du Puy, où se prélève un dernier droit.

Ensuite, remarquons qu’au XIIIè siècle, Vienne est une place commerciale importante par laquelle transitent les produits d’importation comme les épices, le sel ou divers draps, remontés par le Rhône jusqu’à cette cité. A partir de là, ils sont repris à dos de mulet pour poursuivre la route en direction du coeur du Massif Central. Certes, tous ces produits n’empruntent pas la route du mont Pilat, beaucoup passant par la dépression du Gier, mais c’est le trajet courant de ceux à destination du nord du Velay et au-delà, du Brivadois ( 236 ). L’importance des relations commerciales entre Vienne et le Velay par le sud du Pilat est tangible lorsque l’on sait qu’en 1408 les quêteurs envoyés par les consuls viennois pour chercher de l’argent destiné à construire un pont sur le Rhône partent prioritairement en direction d’Annonay et de Bourg-Argental ( 237 ).

Plus tardivement, le développement des foires de Lyon, puis de Genève, favorise aussi l’essor de la route qui constitue alors une transversale très prisée pour accéder à ces deux villes en venant du sud-ouest, et de Toulouse en particulier ( 238 ).

De plus, l’embranchement de la route se dirigeant vers Serrières ou Andance par Annonay est l’axe privilégié par lequel les marchands dauphinois interrogés en 1514 déclarent gagner le Velay pour s’y approvisionner en peaux et en bovins. Ils traversent alors le fleuve à Serrières, mais surtout à Andance ( 239 ).

Outre le trafic commercial, la route de Vienne au Puy est un axe de pèlerinage majeur. Quelques toponymes la jalonnant en témoignent, comme le Pontem Romeu de Malleval mentionné en 1363 ( 240 ), ou encore le lieu-dit de Massa pelerino attesté à Véranne en 1375 ( 241 ) et celui de Montjoie que l’on rencontre encore non loin d’Yssingeaux. Par-delà le culte marial ponot, c’est le pèlerinage de Saint-Jacques qui doit drainer le plus de monde sur la route du Pilat. En effet, le Guide du pèlerin de Saint-Jacques nous apprend que les « Burgondes » et les « Teutons » se rendent à Saint-Jacques en passant par Le Puy ( 242 ). La configuration du réseau routier en rive gauche du Rhône fait ainsi converger les Bourguignons vers Lyon et les voyageurs originaires de l’est européen vers Vienne où ils arrivent par Chambéry, Aoste et Bourgoin ( 243 ). A partir de là, une route s’ouvre à eux pour gagner Le Puy : celle du Pilat. Outre, Le Puy et Saint-Jacques, Vienne est un important carrefour sur la route de Saint-Gilles, transparaissant dans le Liber miraculorum Sancti Egidii. En effet, Gilles sauve des pèlerins passant le Rhône à Vienne et dont la barque vient de faire naufrage ( 244 ). Certes, rien ne nous permet de garantir que pour se rendre vers Saint-Gilles, ils soient passés par le Puy, mais l’importance de ce sanctuaire et le rôle pérégrinant assuré de la route de Régordane permet de très fortement le supposer. Vienne est alors le point où, comme pour aller à Saint-Jacques, les pèlerins venant de l’est traversent le fleuve.

Notes
220.

) Cf. t. II, p. 2-16.

221.

) Cf. t. II, p. 29-31 et 36-39.

222.

) AD 42, B 2036.

223.

) AD 42, Collection Chaleyer, Ms 611, f°81.

224.

) AD 69, 48H 1702, f°30.

225.

) AD 69, 48H 1702, f°17v°.

226.

) Rivet (A.) : Une ville au XVI è siècle, Le Puy-en-Velay, op. cit., p. 42.

227.

) AD 34, A6, f°95v°.

228.

) AD 07, J 223, f°28v°.

229.

) AN, P 1397/1, cote 469.

230.

) 1296 : Chartes du Forez, n°886 ; 1339 : AN, P 1396/1, cote 443 ; 1473 : AD 42, collection Chaleyer, Ms 80, p. 82.

231.

) Chevalier (U.) : Regeste Dauphinois, op. cit., t. II, n°10577.

232.

) AD 38, B 4176.

233.

) Lascombe (A.): Répertoire général des hommages des évêques du Puy, op. cit., p. 241.

234.

) Lascombe (A.): Répertoire général des hommages des évêques du Puy, op. cit., p. 120.

235.

) AD 43, 1J 523.

236.

) Fournial (E.) : Les villes et l’économie d’échange en Forez aux XIII è et XIV è siècles, op. cit., p. 184.

237.

) AM Vienne, DD 10.

238.

) Wolff (Ph.) : Commerce et marchands de Toulouse, vers 1350-vers 1450, op. cit., p. 133-135.

239.

) AM Romans, CC 472, f°345.

240.

) AD 42, B 1057, f°189v°.

241.

) AD 42, B 2037, f°9.

242.

) Vieillard (J.) : Le guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, op. cit., p. 48. Item a Burgunionibus et Theutonicis per viam Podiensem ad Sanctum Jacobum pergentibus.

243.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve, recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I : Reconstitution d’objet, vol. 2, p. p. 310.

244.

) Analecta Bollandiana, t. IX, pp. 393-422.