d- La route de la haute vallée de l’Ardèche, de Viviers au Puy

Le second itinéraire transversal majeur, après la route longeant le pied du mont Pilat et reliant le nord du sillon rhodanien au Puy, est une route joignant Viviers au Puy ( 245 ). Elle quitte la vallée du Rhône au niveau de Viviers, puis se dirige vers l’ouest en suivant la vallée de l’Escoutay, passant par Alba et Saint-Jean-le-Centenier. Ensuite, jusqu’à Aubenas, elle se divise en deux branches, l’une passant par la bastide royale de Villeneuve-de-Berg, l’autre cheminant par Mirabel, au nord. A Aubenas, la route rejoint la vallée de l’Ardèche qu’elle suit jusqu’à son confluent avec celle de la Fonteaulière. De là, elle gagne Montpezat puis Usclades, au débouché sur le plateau vivarois. Ensuite, par Le Béage et Le Monastier, elle arrive au Puy.

Cette route est incontestablement le plus important des axes transversaux vivarois. La multiplication des péages témoigne directement de son développement commercial, puisqu’il en est perçu pour la traversée de presque tous les mandements. Ainsi, il s’en lève à Viviers même, puis à Alba ( 246 ), Villeneuve-de-Berg ( 247 ), Aubenas ( 248 ), Jaujac ( 249 ), Meyras ( 250 ), Montpezat ( 251 ), Usclades ( 252 ) (péage de Géorand), l’Argentière, où se perçoivent les droits comtaux détenus par l’évêque du Puy ( 253 ), Le Monastier ( 254 ) (péage de Châteauneuf) et pour finir, à Brives ( 255 ), immédiatement aux abords du Puy.

Comme la route du Puy à Vienne est l’axe de circulation majeur entre le Massif Central et les régions situées au nord-est de Lyon, la route d’Aubenas est la principale ouvrant en direction des régions du Bas-Rhône et de la Provence. C’est ainsi que lorsque le comte d’Auvergne gagne en 1249 le sillon Rhodanien depuis ses domaines, il passe au Puy, avant de loger le 9 octobre à Montpezat et de continuer par Aubenas où il se trouve le lendemain ( 256 ). C’est d’ailleurs par cette route que les muletiers de l’Hôtel-Dieu du Puy rejoignent la Provence à la fin du Moyen Age et au XVIè siècle, ainsi qu’en témoignent les comptabilités de cet établissement. Il leur faut huit jours pour aller du Puy au Rhône, généralement à Pont-Saint-Esprit, en faisant étape, entre autres lieux, au Monastier, au Béage, à Montpezat, Aubenas et Viviers ( 257 ).

Importante dès le XIIIè siècle, et sans doute même avant bien que l’absence de document ne permette pas d’en juger clairement, il faut nettement différencier la période qui précède l’installation des papes à Avignon de celle qui suit. En effet, les quelques exemples de trafic connus nous montrent qu’avant 1320-1330, ce chemin joue avant tout un rôle régional, unissant Velay et sillon rhodanien, comme tant d’autres axes vivarois. Il ne peut néanmoins pas être alors considéré comme un axe majeur du sud du royaume. Par la suite, après l’installation des papes à Avignon, son statut change. Il apparaît alors comme un axe reliant Paris à la cour pontificale par le Massif Central. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il est mentionné dans l’Itinerarium de Brugis ( 258 ). Dans ce célèbre routier, la route de la haute vallée de l’Ardèche est, en effet, la continuation vers Avignon du « Grand chemin de France », qui arrive d’Île-de-France et du nord, ce qui est clairement exprimé en 1372. Charles V ordonne alors à Imbert de Burzet de faire des travaux sur l’itinere publico [qui va] a loco Albenacii et per locum ecclesia de Mayrassio versus Montempezatum, Beorzeti, Anicium et Parisensis  ( 259 ). Ce statut privilégié se traduit d’ailleurs aussi par le qualificatif de royal qui est associé à la route en 1449 ( 260 ) et en 1475 ( 261 ).

Outre la vallée du Rhône, l’une des routes principales pour rejoindre les ports de la Méditerranée depuis Paris est, comme nous venons de l’expliquer, le chemin de Régordane. Néanmoins, le développement considérable d’Avignon étend l’attraction de cette cité au point d’attirer des circulations qui jusqu’alors l’ignoraient, aboutissant au développement de la route de la vallée de l’Ardèche et à un relatif déclin de la Régordane. L’exemple du trajet suivi par les foréziens se rendant à Montpellier ou en tout autre point du littoral est révélateur. Avant le milieu du XIVè siècle, leur itinéraire privilégié est le chemin de Régordane ( 262 ), alors qu’ensuite, ils le quittent au Puy pour passer par Aubenas et Viviers ( 263 ). La porte de la ville du Puy par laquelle sort la route de Viviers est dite, à partir du XIVè siècle, « Porte d’Avignon » ( 264 ). Il est aussi symptomatique que des muletiers reliant fréquemment le sud-ouest aquitain, le Toulousain et le Rouergue à la région Lyonnaise, au Dauphiné ou à Genève passent au XVè siècle par cette route, qu’ils suivent au moins jusqu’à Aubenas, ainsi que l’explique une bande de contrebandiers transportant du billon en fraude à destination de Genève en 1424 ( 265 ).

Notes
245.

) Cf. t. II, p 292-317.

246.

) Acte notarié extrait des registres de Maître Chabrier, notaire à Grignan, instrumentant pour la famille Adhémar de Grignan, seigneurs d’Aps. Registre coté « Semper » aujourd’hui perdu, mais publié partiellement par Filhet : « Aps féodal et ses dépendances », art. cité. p. 354.

247.

) Régné (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. 2 : le développement politique et administratif du pays de 1039 à 1500, p. 110.

248.

) BNF, Nouvelles Acquisitions Latines, Ms 3381.

249.

) AD 30, A 3, p. 2513.

250.

) AD 34, C 1799.

251.

) AD 07, 19J 91, pièce 5.

252.

) AD 07, 3H 1, f°95.

253.

) AN, J 332. Au sujet de ces droits, cf. infra, p. 395-397.

254.

) AD 07, 13H 2, f°39r°.

255.

) AD 43, 1J 523.

256.

) AN, KK 503, f° 50-51. Cf. aussi : Bautier (R.-H.), « Recherches sur les routes de l’Europe médiévale. 1 - De Paris et des foires de Champagne à la Méditerranée par le Massif Central », art. cité, p. 123.

257.

) Rivet (B.) : Une ville au XVI è siècle : Le Puy en Velay, op. cit., p. 302.

258.

) Hamy (E.-T.) éd. : Le livre de la description des pays de Gilles le Bouvier, dit Berry, premier roi d’armes de Charles VII, Roi de France, publié pour la première fois avec une introduction et des notes et suivi de l’itinéraire Brugeois, de la Table de Velletri et de plusieurs autres documents géographiques inédits ou mal connus du XVè siècle, op. cit., p. 183. Le célèbre routier, compilation de plusieurs itinéraires du XIVè siècle, mentionne : De Podio usque Avenionem. Oxitana : Moustier III, Loubeage III, Monpesat IIII, Aubenas IIII, Provintia, Villenoue III, Sermonta II, Boint Saint Audooly II, Bayeus IIII, Avignon V. Somma XXIX, De Brugis CCII (Du Puy à Avignon ; Languedoc : Le Monastier, 3 ; Le béage, 3 ; Montpezat, 4 ; .Aubenas, 4 ; Provence : Villeneuve-de-Berg ; Saint-Montan, 2 ; Bourg-Saint-Andéol, 2 ; Bagnols-sur-Cèze, 4 ; Avignon, 5 ; total XXIX ; de Bruges, 202).

259.

) AD 34, A 6, f°101.

260.

) AD 07, 2E 1566, f°72v°.

261.

) AD 07, 42J 359, f°54.

262.

) Fournial (E.) : Les villes et l’économie d’échange en Forez..., op. cit., p. 137-140. et p. 183-184.

263.

) Ibidem, p. 357.

264.

) Rivet (A.) : Une ville au XVI è siècle, Le Puy-en-Velay, op. cit., p. 42.

265.

) Bautier (R.-H.) : « Marchands, voituriers et contrebandiers du Rouergue et de l’Auvergne, trafics clandestins d’argent par le Dauphiné vers les foires de Genève (1424) », art. cité, p. 667.