b- Un réseau structuré, anastomosé et polarisé

La première caractéristique de l’organisation du réseau routier vivarois est de ne posséder aucun centre, aucun point de convergence principal, contrairement à d’autres, comme par exemple le réseau routier périgourdin dont les principaux axes rayonnent tous depuis Périgueux ( 402 ), ou le réseau picard, centré sur les cités épiscopales régionales ou les principaux centres secondaires issus du peuplement antique ( 403 ), ou encore le réseau gascon centré sur les cités et les villes d’origine médiévale ( 404 ). De ce point de vue, le réseau routier vivarois s’apparente beaucoup à ce que l’on peut connaître des exemples vosgiens ( 405 ), provençaux ( 406 ) ou plus encore alpins ( 407 ). Il semble ici que les contraintes de relief jouent un rôle prépondérant, puisque toutes les régions où se dégage un réseau routier fortement centré sont des plaines ou n’offrent au mieux que quelques reliefs vallonnés n’opposant aucun obstacle aux circulations. A l’inverse, le Vivarais, tout comme les Vosges, la Provence et bien évidemment les Alpes, se caractérise par une géographie compartimentée et des reliefs pouvant gêner les circulations.

Il faut toutefois remarquer ici le rôle de la cité du Puy. Si cette dernière n’est nullement un centre au plein sens du terme, puisqu’elle est totalement marginale par rapport à la zone étudiée, il est certain qu’elle constitue un pôle d’attraction pour les circulations au point que plusieurs routes traversant le nord et le centre du Vivarais y convergent, ce que ne parvient à faire aucune localité vivaroise, même la cité épiscopale.

Non centré, ce n’est pas pour autant que le réseau routier vivarois se présente comme un ensemble d’axes inorganisés. Au contraire, notons que, exception faite du sillon rhodanien et du chemin de Régordane, toutes les routes importantes du Vivarais sont parallèles ou presque, reliant le sillon rhodanien à l’est, au Velay et au Gévaudan à l’ouest. Ce n’est qu’à un moindre niveau, celui des routes de quatrième catégorie, que l’organisation du réseau est moins facilement perceptible et que l’orientation dominante est-ouest s’estompe. Au contraire, les routes de quatrième catégorie sont manifestement orientées nord-sud. On peut donc considérer que les routes transversales ont connu un essor plus important que les routes méridiennes, sous l’impulsion de différents facteurs qu’il sera nécessaire de préciser.

L’autre caractéristique majeure du réseau routier vivarois est d’être anastomosé à l’extrême, à quelque niveau d’observation où l’on se place : c’est la raison pour laquelle la densité routière de la majorité des régions vivaroises est aussi élevée. Plusieurs itinéraires existent systématiquement pour se rendre d’un point à un autre. Ainsi, pour aller d’Aubenas à Pradelles, le voyageur peut passer par quatre ou cinq routes différentes : par Montpezat au nord, Chaumiène et Mayres au centre, ou Jaujac au sud. A un niveau moins élevé, la route elle-même se subdivise encore souvent en plusieurs chemins parallèles sur quelques kilomètres, ou même uniquement sur quelques centaines de mètres. De ce point de vue, la première section de la route d’Aubenas à Pradelles par Jaujac est exemplaire. Elle se subdivise en trois axes parallèles pendant cinq à six kilomètres.

Cette multiplication des tracés parallèles, caractéristique majeure des réseaux routiers médiévaux et non spécificité vivaroise, ne signifie pas pour autant que tous les axes sont à placer sur un pied d’égalité. Dans chaque cas, on peut distinguer une route principale et des tracés collatéraux de moindre importance, mais on ne parvient que rarement à saisir selon quels critères s’établit la différence constatée. Le choix subjectif du voyageur, préfèrent telle route plus que telle autre joue ici pleinement et nous ne pouvons le cerner.

Pour finir, observons que les axes routiers sont globalement uniques dans leur traversée du Plateau vivaro-vellave, comme dans celle du Bas-Vivarais mais que c’est à l’approche des secteurs au relief très accidenté qu’ils se divisent. Ainsi, la route du Puy à Saint-Agrève ne suit que deux tracés dans la traversée du Plateau, un par Foumourette et l’autre par Fay, alors qu’à partir de Saint-Agrève, elle éclate véritablement en quatre ou cinq chemins parallèles, sans compter ici les diverticules de quelques kilomètres. Il en est de même pour la route de Pont-Saint-Esprit à Luc. Globalement unitaire jusqu’à Barjac, le tracé se divise ensuite en deux ou trois branches de diverse importance qui ne fusionnent à nouveau qu’après avoir traversé les Cévennes.

Anastomosé, le réseau routier n’en est pas moins rigoureusement réparti. En effet, les axes des première et seconde catégories couvrent, à distance régulière, l’ensemble de l’espace vivarois. En outre, entre les axes des deux premières catégories s’établissent systématiquement ou presque des routes de troisième catégorie desservant les mêmes régions mais par des tracés différents. De la sorte, aucun point du Vivarais, exception faite du coeur du plateau calcaire des Gras, ne se trouve à plus de 10 ou 15 kilomètres d’un axe interrégional.

Si aucun centre majeur polarisant les circulations n’émerge dans l’orientation du réseau routier, il est certain que plusieurs points jouent le rôle de carrefour. Il en va ainsi de tous les débouchés des routes vivaroises de la première à la troisième catégorie dans le sillon rhodanien, où se trouve systématiquement un port dont l’importance est souvent proportionnelle à celle de la route ( 408 ). Outre les ports rhodaniens, on peut identifier plusieurs autres carrefours, situés à l’intérieur du Vivarais. Ce sont Annonay, Aubenas, Largentière, Les Vans, Joyeuse, Saint-Ambroix ou encore, Saint-Agrève, Luc et Pradelles. Dans une moindre mesure, on peut aussi retenir dans cette catégorie, tous niveaux de développement confondus, les localités de Chalencon, Privas, Loubaresse, Yssingeaux ou Saint-Bonnet-le-Froid.

Ces carrefours ne sont pas situés régulièrement dans l’espace vivarois mais jalonnent le réseau viaire en deux lignes parallèles. Nous avons expliqué que la traversée du coeur du Vivarais, au relief difficile, provoquait un éclatement des itinéraires. Il est donc logique que pour l’essentiel, ces noeuds routiers se situent aux portes de cette zone, soit au contact du Bas-Vivarais, soit à celui du Plateau. Ainsi, Saint-Ambroix, Les Vans, Joyeuse, Largentière, Aubenas ou Annonay sont au contact des pentes vivaroises et du Bas-Vivarais ou du sillon rhodanien, alors que Luc, Pradelles, Loubaresse, Saint-Agrève et, dans une moindre mesure, Yssingeaux leur répondent sur le Plateau. Seuls quelques rares noeuds se situent hors de ces deux lignes, comme Le Cheylard, mais il est de peu d’importance, ou encore Chalencon.

L’ensemble des routes vivaroises dessine un réseau très dense, orienté pour l’essentiel est-ouest, exception faite de deux routes majeures, la vallée du Rhône et le chemin de Régordane, mais aussi des axes de moindre rang. Anastomosé et sans centre particulier, le réseau routier vivarois n’en est pas moins fortement structuré et établi selon un schéma rigoureux, permettant de différencier quatre types d’itinéraires, hiérarchisés selon leur fonction, conditionnant leur niveau de développement. Ainsi, quelques axes majeurs traversent le Vivarais et on pour fonction première de relier des régions parfois très lointaines (du sud-ouest à Genève par exemple). A un niveau moindre, on notera l’existence de plusieurs routes importantes utilisées dans les relations entre sillon rhodanien et est du Massif Central secondée par un écheveau d’axes plus secondaires qui leurs sont parallèles. Pour finir, au niveau inférieur, on rencontre de très nombreux axes qui ont pour utilité de relier les différents secteurs du Vivarais entre eux. Certes, d’autres axes existent à un niveau encore moindre, mais il s’agit de routes locales reliant les villages et les différents centres de peuplements, qui n’entrent pas dans le cadre de notre travail.

Notes
402.

) Fournioux (B.) : « Contribution à la connaissance des grands itinéraires médiévaux périgourdins », art. cité, p. 127.

403.

) Fossier (R.) : La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du XIII è siècle, op. cit., p. 146.

404.

) Loubès (G.) : « Les routes de la Gascogne médiévale », art. cité, p. 53-54.

405.

) Rapp (F.) : « Routes et voies de communication à travers les Vosges du XIIè siècle au début du XVIè siècle », art. cité, p. 196-197.

406.

) Baratier (E.) : Atlas historique de la Provence, op. cit., carte 86, ou encore Grassi (M.-C.) : Les voies de communication en Provence orientale de l’époque romaine à la fin du XVIII è siècle, op. cit., carte hors texte.

407.

) Le réseau routier alpin n’a jamais fait l’objet d’une synthèse complète, malgré le nombre considérable d’études ponctuelles le concernant, mais l’ampleur de l’espace concerné et les frontières nationales et linguistiques ne favorisent pas ce travail. Nous renvoyons néanmoins le lecteur à Etude sur les trafics transalpins et leur impact local, op. cit., ou aux Actes du colloque sur les cols des Alpes, antiquité et Moyen Age, op. cit. ; ou encore à la présentation d’itinéraires figurant dans Daviso di Charvenso (M.-C.) : I pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, op. cit., p. 36-48 et p. 215-339.

408.

) Ainsi, Boeuf est au débouché de la route venant du Puy ; Serrières, Champagne et Andance au débouché de celle d’Annonay, Silon se trouvant à l’extrémité de celle de Satillieu. Plus au sud, il en est de même avec le port de Tournon, au débouché des routes de la vallée du Doux ; de Guilherand, pour celle de Vernoux à Chalencon. Les ports du Pouzin et de Baix sont situés au débouché de la route venant du Puy par Privas, de même que ceux de Viviers et du Teil qui sont au débouché de la route du Puy par Aubenas. Au sud, mentionnons encore Pont-Saint-Esprit au débouché de la route de Barjac. A l’inverse, les ports locaux ne font face à aucune route, comme Peyraud, Vion, Châteaubourg, Cruas, etc.