a- L’examen des vestiges de routes

On remarquera d’abord que les routes vivaroises ne sont nullement accessibles au roulage, et ce jusqu’au XVIIIè siècle : pentes vertigineuses, passages étroits répétés sur les ponts et dans les villes, virages serrés, absence de revêtement, volées d’escaliers coupants même les principaux axes... Le tableau que nous en avons déjà dressé est, nous semble-t-il, suffisamment éloquent, et s’il ne l’était pas, il suffit de consulter la documentation des Etats du Vivarais pour constater que la quasi totalité des routes du Vivarais doit faire l’objet de travaux à partir de la fin du XVIIè siècle pour pouvoir livrer le passage aux attelages qui commencent à aborder la région. Le réseau routier porte encore de nos jours les stigmates de cette évolution tardive que nous avons mis en évidence tout au long des descriptions d’itinéraires que nous avons présentées. Insistons par exemple sur le fait que Louis de Froidour, parcourant le tracé de la route de Régordane à cheval en 1668, est même obligé de mettre pied à terre à plusieurs reprises par peur de tomber tant la pente est raide ( 555 ). C’est dire si les attelages ne peuvent passer une telle route.

Dans les différentes descriptions d’itinéraires, nous avons constaté à plusieurs reprises l’existence d’ornières entaillant le substrat rocheux sur lequel est établi l’axe. Ainsi, des ornières sont visibles à plusieurs reprises sur le tracé du chemin de Régordane ( 556 ), sur la route de Joyeuse à Luc au niveau de l’Echelette de Thines ( 557 ), sur la route de Montpezat au Roux, dans la vallée de la Fonteaulière ( 558 ), et sur la route de Silon à Satillieu, non loin du castrum de Revirand ( 559 ). Pour finir, aux marges du Vivarais et sur l’un des itinéraires répertorié dans notre travail, des ornières sont observables à Pont-d’Avène, non loin des Mages, sur la route de Saint-Ambroix à Alès ( 560 ). Indéniablement, ces traces attestent de la pratique d’un roulage important ayant perduré pendant une longue période, seuls de très nombreux passages étant susceptibles d’entailler profondément la roche. En effet, si la majorité des ornières ne mesure que quelques centimètres de profondeur, une dizaine ou une quinzaine au plus, d’autres, comme celle entaillant le chemin de Régordane, peuvent atteindre la trentaine de centimètres de profondeur. En outre, toujours sur le chemin de Régordane, on observe plusieurs faisceaux d’ornières parallèles, légèrement décalés, attestant de très nombreux passages ( 561 ).

Après avoir montré que les routes vivaroises médiévales étaient empruntées exclusivement par des mulets, la question de la datation de ces ornières se pose, alors qu’à l’inverse, elles ont souvent été employées elles-mêmes comme des éléments de datation. Sont-elles antérieures au Moyen Age ou postérieures ? Il est difficile de répondre pour tous les cas, mais constatons que les ornières existent déjà sur le chemin de Régordane au XVIIè siècle, manifestement dans l’état où elles nous sont parvenues. En effet, en 1668, Louis de Froidour les rencontre lors de son inspection effectuée sur ce chemin ( 562 ). Notons aussi que la population n’est plus en mesure de lui signaler leur origine et leur datation, ce qui implique qu’elles soient vieilles de plusieurs générations. Pour les autres axes, nous manquons de tels repères chronologiques, mais nous savons par exemple pour certains d’entre eux qu’ils ne sont absolument pas carrossables au XVIIIè siècle, voire après. C’est le cas de la route de la vallée de la Fonteaulière, entre Montpezat et Le Roux, ce qui impose alors de construire ex nihilo l’axe actuel en 1836-1840 ( 563 ). Diverses tentatives de datation ont été effectuées à partir de l’entraxe de ces ornières, comparé à l’entraxe des roues de diverses charrettes, mais cette approche technique n’a, comme il fallait s’y attendre, jamais donné de résultat probant. En effet, il est illusoire d’envisager qu’à un moment donné les véhicules roulants aient eu une largeur déterminée, fluctuant nettement dans le temps, et non d’une charrette à une autre ( 564 ). Pour notre part, nous constaterons qu’aucune ornière ne se trouve sur un axe d’origine médiévale, mais que toutes sont au contraire sur des routes identifiées comme antiques. Certes, ce constat n’est pas en lui-même un critère de datation absolu et assuré, mais la complète concordance des tracés antiques et des ornières reconnues est un élément indéniable tendant à laisser penser qu’elles sont probablement d’origine antique. Ce n’est donc pas ici la présence de l’ornière qui atteste de l’antiquité de l’axe, mais bien l’association d’une antiquité reconnue et d’ornières qui permet de proposer une datation pour ces dernières. Ces ornières ne peuvent donc nullement être opposées à l’exclusivité du portage aux derniers siècles du Moyen Age. Pour se faire, il faudrait que l’on en retrouve sur des axes assurément ouverts au Moyen Age, permettant de ce fait d’exclure une origine antique pour ces traces.

Notes
555.

) Girault (M.) : La visitation du chemin de Régordane, op. cit., t. II, p. 161.

556.

) Cf. t. II, p. 568, 573 ,576, 579.

557.

) Cf. t. II, p. 512.

558.

) Cf. t. II, p. 338.

559.

) Cf. t. II, p. 57.

560.

) Cf. t. II, p. 409.

561.

) Sur les ornières de la route de Régordane, cf. la présentation qui en est faite dans Girault (M.) : La visitation du chemin de Régordane..., op. cit., t. I, p. 116-124.

562.

) Cf. l’analyse de la visite dans Girault (M.) : La visitation du chemin de Régordane..., op. cit., t. II, p. 163.

563.

) Haond (L.) : Les pavés de la côte du Pal, op. cit., p. 80-81.

564.

) Girault (M.) : Le chemin de Régordane, op. cit., p. 58-63.