Pour sa part, la documentation ne rapporte que des transports à dos de mulets. Les tarifs de péages sont de bons marqueurs du caractère exclusif de ce mode de transport. Jamais à l’intérieur du Vivarais ils ne taxent des produits transportés par charretées, mais toujours par saumadées (saumada) ou par ânées (azinada) ( 565 ). En 1371, un droit de barrage établi au pont de la Sainte, sur la route de Boeuf au Puy, afin de financer les travaux de reconstruction nécessaires, porte explicitement sur quolibet animali bastum ( 566 ). De même, lorsqu’un « transporteur » est mentionné dans la documentation, il s’agit toujours d’un saumaderius, et jamais d’un voiturier au sens strict du terme ( 567 ). Les comptes de l’hôtel-dieu du Puy, partiellement conservés pour les XVè et XVIè siècles, nous apprennent que cet établissement entretient plusieurs muletiers à son service, tant pour transporter les produits nécessaires à son approvisionnement que les surplus commercialisés, ne faisant jamais appel à des voituriers ( 568 ). L’évolution du rapport entre le nombre de muletiers et celui de voituriers à Villefort dans le courant du XVIIIè siècle est révélatrice de la domination passée des muletiers et de son déclin rapide. En 1703, vingt-deux muletiers résident à Villefort, contre aucun roulier, pour huit rouliers et huit muletiers en 1740, et finalement cinq rouliers à la veille de la Révolution, les muletiers ayant disparu ( 569 ).
Le roulage est donc inconnu dans l’intérieur du Vivarais et seuls quelques documents rhodaniens mentionnent la circulation d’attelages. C’est par exemple le cas du compte du péage de La Voulte, couvrant les années 1399-1400, dans lequel figurent quelques carata ou caratono, charrettes et charretons, transportant diverses marchandises ( 570 ). Un cadriga apparaît pour sa part dans le tarif de péage de Rochemaure, daté de 1204, mais probablement rédigé au XIVè siècle au mieux ( 571 ) ; il est chargé de sel et remonte le Rhône. Il est cependant difficile de connaître la répartition du trafic dans le sillon rhodanien entre voie d’eau et voie de terre. On peut toutefois constater que même pour les trafics pondéreux comme le sel, le trafic terrestre n’est pas abandonné au seul profit du fleuve, au XIVè siècle au moins. Néanmoins, il a été constaté, en travaillant sur l’ensemble de la documentation rhodanienne, que le trafic fluvial connaît un essor dans le courant du XVè siècle, qui l’amène, assurément pour les produits pondéreux, mais aussi largement pour les autres marchandises, à devenir dominant au XVè siècle, au détriment de la voie de terre ( 572 ). C’est avant tout la documentation urbaine, lyonnaise, viennoise, valentinoise ou encore avignonnaise et arlésienne qui le démontre, l’apport des sources vivaroises restant réduit en la matière. Tout au plus peut-on constater qu’en 1523, le péage par eau de Viviers, Bourg-Saint-Andéol et Donzère a rapporté 2400 livres à l’évêque de Viviers, contre seulement 550 pour le péage terrestre, pourtant associé à une multitude d’autres droits ( 573 ), ce qui signe la domination du transport fluvial sur la voie terrestre, et limite par là même l’importance du roulage.
) Cf. par exemple les tarifs du péage de Saint-Ambroix de 1325 [AN, H4 3079/2, pièce 11], de Mézilhac de 1347 [AD 07, 3J 23], d’Aubenas de 1397 [AN, H4 3101, n°18], d’Alès de 1412 [AD 30, C 168], ou ceux de Privas et de Chalencon de 1466 [AD 07, E dépôt 75, AA 3, 4 et 5 ; AN, H4 3016/1, pièce 6 et AN, H4 3087/1, pièce 11].
) AD 34, A6, f°95v°.
) De nombreux exemples pourraient être cités. Cf. entre autres : AD 07, 2E 1345, f°18v° et f°41 ; BNF, Nouvelles Acquisitions Latines, Ms. 3381 ; AD 07, 2E 10755, f°66 ; AD 07, 2E 32, f°37 ; AD 07, 13H 2, f°259 ; etc.
) Rivet (B.) : Une ville au XVI è siècle, Le Puy-en-Velay, op. cit., p. 228-229 et p. 302, ou encore pour une période plus tardive, Brochier (A.) : « Aspects du commerce des muletiers au XVIIIè d’après la comptabilité de l’hôpital général du Puy », (Actes du congrès interfédéral de la Fédération des Société Savantes du Centre et de la Fédératon Historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Le Puy, 1979), Bulletin de la Société académique de Haute-Loire, 1980.
) Laurans (A.) : Villefort, 1700-1789, op. cit., p. 92.
) B.N.F., Nouvelles acquisitions latines, Ms. 2131.
) Sur ces problèmes de date, cf. infra p. 404 et 414.
) Moulinier (P.) : « Le « sel du Rhône » au Moyen Age », art. cité, p. 83.
) AN, 3AP, ancienne cote 93H, cité par Courteault (H.) : Le Bourg-Saint-Andéol; essai sur la constitution et l’état social d’une ville du Midi de la France au Moyen Age, introduction à l’histoire de la maison Nicolay, op. cit., p. 90.