c- Les techniques de chargement

Le rapport du marchand millavois Marc-Antoine Malhol, de 1752, déjà mis à contribution, indique qu’un mulet peut emporter de l’ordre de quatre quintaux (soit entre 160 et 170 kg) et qu’une couble de neuf mulets, qui est la plus courante, emporte autant qu’un attelage moyen de 35 à 40 quintaux, soit environ 1500 kg de charge. De même, les mulets transitant en 1544 par la porte Saint-Just à Lyon en provenance du Velay portent en moyenne 160 kg ( 620 ), et il faut au XVIè siècle environ trois à quatre mulets pour transporter l’équivalent d’une charrette moyenne parcourant la route rhodanienne ( 621 ).

Ces charges étaient fixées sur des bâts, objets complexes. Là encore, l’ethnographie, l’iconographie et l’observation des objets de musées nous donnent le plus de renseignements. Le bât est composé de deux parties bien distinctes : un matelas de toile rembourré sur lequel repose une armature de bois, constituée de deux croisillons transversaux reliés par un faisceau de barres parallèles. Un tel bât apparaît nettement sur le tableau de Jules Thibon déjà évoqué, mais aussi dans l’iconographie médiévale, comme sur la fresque du Buon Governo, peinte à Sienne dans la première moitié du XIVè siècle. Certes éloigné de l’espace étudié, il nous a semblé possible d’y puiser des comparaisons d’ordre technique, à défaut de pouvoir l’utiliser pour une étude du harnais et de sa décoration, cette dernière répondant à des préoccupations culturelles, donc susceptible de très largement varier d’une région à une autre. Dix-huit mulets sont représentés, bien différenciés des chevaux par leurs longues oreilles. De même, il est possible de différencier une caravane muletière des bêtes conduites par les paysans de la région. La première, menée par un homme chevauchant et par des aides à pieds, passe un pont en direction de la ville, alors que les mulets conduits par les paysans sont isolés et sont accompagnés par des hommes à pied. Plusieurs mulets, dont tout particulièrement ceux de la caravane du muletier, sont chargés de lourds sacs reposant sur des bâts rigoureusement identiques à ceux que l’on peut encore rencontrer dans plusieurs musées cévenols et vivarois. En particulier, le musée des Vans en conserve un exemplaire datant probablement du XVIIIè ou du XIXè siècle, qui permet de se rendre compte de la complexité et du caractère imposant d’un tel objet. C’est assurément un travail de professionnel et, en effet, les bâtiers, basterius, étaient très présents dans les villes et les bourgades vivaroises à la fin du Moyen Age. C’est ainsi qu’on en rencontre aux Vans ( 622 ), à Saint-Agrève ( 623 ), Tournon ( 624 ), Annonay ( 625 ), Aubenas ( 626 ), Montpezat ( 627 ) ou Pradelles ( 628 ). Certains sont installés dans de modestes villages, comme Faugères ( 629 ) ou Le Pouzin ( 630 ). Il est révélateur que plusieurs travaillent en même temps dans les mêmes localités. Dans une petite ville comme Les Vans, la documentation de la fin du XIVè siècle et du début du XVè siècle nous livre l’existence de quatre bâtiers contemporains ( 631 ). C’est aussi le cas à Pradelles dans les années 1460-1470, où quatre bâtiers sont signalés ( 632 ), cinq oeuvrant assurément en même temps à Montpezat dans les années 1490 ( 633 ). Cependant, on ignore tout des détails techniques de leur production. De même, la documentation médiévale ne donne pas à connaître les modalités de chargement des différents produits transportés sur ces bâts. Seul le transport du vin est mieux connu. A plusieurs reprises, la documentation de la fin du Moyen Age mentionne des boutes, bota, qui sont des outres en peaux de chèvre ou de bouc cousues sur le pourtour. Ainsi, en 1371, Jean Sauzet, saumadier du Puy, achète à Aubenas du vin livrable déjà mis in botis ( 634 ). De même, en 1395, Bertrand Guison, des Vans, donne quittance à Pierre Batuto, de Paysac, pour le prix de quamdam botam correy que celui-ci lui a acheté ( 635 ) et en 1331, c’est un prêtre de Tournon qui lègue par voie testalentaire unam botiam vinariam ( 636 ). Les courtiers en vin que le seigneur de Tournon institue en 1211 pour veiller sur la vente de ce produit dans sa ville sont d’ailleurs désignés sous le nom de « boutiers » (quod dicitur botarini), reflet de l’usage courant de ce contenant ( 637 ). Olivier de Serres, tout en confirmant qu’elles sont le moyen de transporter le vin tout à fait usuel dans la région, nous explique comment ces dernières sont réalisées : « les peaux estre entières, l’on escorchera ces bestes, à la manière des connins ; c’est assavoir, renversant la peau par le col : ainsi se façonnant les oultres dont est question en cest endroit » ( 638 ). Par ailleurs, des petits tonneaux de forme spécifique sont encore conservés de nos jours : plats, mais hauts et longs, ils sont bien adaptés au transport par bât. Cependant, rien n’indique qu’ils aient existé à la fin du Moyen Age où les boutes semblent régner en maîtresses.

Pour les autres produits, plusieurs solutions existent. Soit il s’agit de pondéreux pouvant être chargés en vrac dans des sacs, comme le sel et les grains, ce qui ne pose pas de problème. Soit ils doivent être liés en balles, comme les draps, et Marc-Antoine Malhol nous apprend qu’au XVIIIè siècle, ces balles sont liées avec des cordes, recouvertes d’une toile épaisse et rembourrées de paille, afin de protéger la marchandise des dégradations éventuelles, mais surtout de la pluie qui pourrait s’infiltrer sous la bâche de toile. Différenciant alors les grandes et les petites balles, il note nombre d’inconvénients inhérents aux secondes : les cordes coupent plus facilement la marchandise, qui est par ailleurs moins bien protégée des chocs et de l’humidité ( 639 ).

Comme nous venons de le voir, le domaine du transport et de ses techniques n’est pas le mieux renseigné par la documentation. En effet, si les transactions autour des produits transportés font souvent l’objet d’un contrat écrit, ce n’est jamais le cas du transport lui-même. Nous échappe ainsi tout un volet de la vie de la route que l’on peut cependant tenter de restituer en utilisant des sources postmédiévales, voire des témoignages ethnographiques issus du XIXè siècle. Néanmoins, il ressort que le mulet est exclusif, à l’exception, dans une moindre mesure, de la vallée du Rhône. En effet, il est le seul à être adapté aux routes de la région, pentues et étroites.

Notes
620.

) AM Lyon, CC 3859.

621.

) Gascon (R.) : Grand commerce et vie urbaine au XVI è siècle, Lyon et ses marchands, op. cit., p. 173.

622.

) AD 07, 2E 1345, f°45v° (1380).

623.

) AD 07, 52J 113, f°23bis (1449).

624.

) AD 07, G 274 (1426).

625.

) AD 07, 90H 3, f°8v° (1378).

626.

) AD 07, 13H 2, f°295v° (1476).

627.

) AD 07, 2E 10908, f°67v°.

628.

) AD 43, 3E 216/1, f°29v° (1458).

629.

) AD 07, 2E 10757, f°162 (1444).

630.

) AD 26, E 2666, f°118 (1430).

631.

) AD 07, 2E 1345, f°45v°; 2E (ML) 1, f°38v°; 2E (MJ) 7, f°13 ; AD 07, 2E (MJ) 12, f°12v° ; AD 07, 2E 1897, f°13v° et f°35v°..

632.

) AD 43, 3E 216/1, f°29v°, f°31, f°54v° et f°62.

633.

) Haond (L.) : « L’activité économique de Montpezat, bourg routier à la fin du Moyen Age », art. à paraître.

634.

) AD 07, 2E32, f°37.

635.

) AD 07, 2E (MJ) 7, f°53.

636.

) AD 07, G 103.

637.

) AN, K 1175.

638.

) Serres (O.) de : Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, op. cit., p. 1176-1177.

639.

) AD 34, C 3156.