L’accueil dans les prieurés

On sait le rôle qu’a pu jouer la congrégation clunisienne, ou encore celle de Sainte-Foy-de-Conques le long des routes conduisant en Galice, nombre de prieurés et de dépendances étant implantés en fonction des grands itinéraires pérégrinants ( 768 ). On peut donc se demander si, en Vivarais, ces prieurés et dépendances monastiques ont aussi joué un rôle en la matière, par exemple le long des routes conduisant au Puy.

Nous ne possédons malheureusement que des renseignements ponctuels pour quelques prieurés. Ainsi, en ce qui concerne les dépendances de Cluny, les mieux renseignées, on sait qu’en 1197, l’hôpital attenant à l’église Sainte-Marie-Madeleine-d’Exobrer, à Rochemaure, est remis au prieuré de Rompon, le prieur et les frères étant obligés de servir les pauvres ( 769 ). Plus tard, en 1283, on apprend que le prieur de Rompon nomme aussi le recteur de l’hôpital du Pouzin ( 770 ). Parallèlement, le très gros prieuré clunisien de Saint-Pierre de Saint-Saturnin-du-Port s’acquitte avec diligence de l’aumône aux pauvres et de l’accueil du voyageur, au moins jusqu’au XIVè siècle, l’effort charitable semblant s’essouffler par la suite ( 771 ). Ce repli est aussi marqué en Vivarais, où les procès-verbaux des visites des délégués du Chapitre Général ne mentionnent nullement une pratique intense et régulière de l’hospitalité dans les prieurés du diocèse à compter du milieu du XIVè siècle ( 772 ). A Saint-Pierre-des-Fonts, sur la route rhodanienne au nord de Rochemaure, en 1344, l’hospitalité et l’aumône ne sont plus assurées ( 773 ). Quelques années après, hospitalité et aumône sont encore de mise en 1386 à Aps, sur la route de Viviers au Puy ( 774 ), mais tout change en 1408, puisqu’il est alors signalé que nulle aumône n’est faite ( 775 ). A Rompon dont dépendent au XIIIè siècle les hôpitaux de Rochemaure et du Pouzin, il est dit en 1402 que l’infirmerie risque de s’effondrer ; c’est dire si dans ces conditions l’hospitalité est sans doute un vain mot ( 776 ). Le cas le plus révélateur est celui de Saint-Georges-les-Bains en 1385, où hospitalité et aumône ne sont pas assurées, et les bâtiments partiellement ruinés, sans portes ni fenêtres et presque sans service divin ( 777 ).

Pour sa part, le prieuré casadéen de Saint-Sauveur-en-Rue, sur la route de Vienne au Puy, pratique l’hospitalité à deux niveaux, au moins au XIIIè siècle. Il possède l’hôpital Saint-Maxime du Tracol, déjà évoqué ( 778 ), mais de plus, il héberge le voyageur dans ses propres murs, puisqu’on sait, par une transaction de 1275, que Gérard Ricols, miles de Serrières, pourra y manger à l’aller et au retour de ses voyages à Notre-Dame-du-Puy ( 779 ). Le fait que ce droit soit explicitement mentionné dans une transaction implique que ce n’est probablement pas une faculté libre offerte à tout voyageur, mais qu’elle concerne plus probablement quelques représentants de l’aristocratie.

De même, il est difficile de savoir si les prieurés dépendants de l’abbaye de Saint-Chaffre, très nombreux en Vivarais, exerçaient quelques fonctions hospitalières. Aucun document ne nous permet de l’affirmer, et on constatera simplement que le lieu-dit où se trouve implanté le prieuré Notre-Dame-de-Prévenchère, à Montpezat, est encore au XIXè siècle appelé l’Hôpital ( 780 ), ce qui renvoie peut-être à d’anciennes fonctions d’accueil, mais sans certitude aucune.

On ne peut donc affirmer que les prieurés dépendant des principales abbayes n’exercent aucune fonction d’accueil le long des routes, même si elles sont difficiles à cerner. Elles passent manifestement par la possession d’hôpitaux comme dans le cas de Rompon, ou par l’accueil de voyageurs dans leurs propres murs, ainsi que le suggère l’existence de plusieurs hôpitaux prieuraux clunisiens. Néanmoins, l’exemple de Cluny laisse penser qu’à la fin du Moyen Age, l’hospitalité n’est plus très présente dans ces établissements. C’est d’ailleurs la même situation qui se rencontre en d’autres régions comme en Biterrois, où l’accueil charitable n’est nullement le fait des prieurés dépendant des principales abbayes ( 781 ), de même que dans l’Ouest ( 782 ). On voit d’ailleurs mal comment les quelques deux, trois ou quatre moines que l’on rencontre dans ces petits prieurés réguliers à partir du XIIIè siècle, l’effectif baissant encore au XIVè siècle, pourraient parvenir à assumer de telles fonctions lourdes d’implications humaines. Leur situation économique, ils sont tous en faillite ou presque, ne leur permet pas de consentir un réel effort financier en la matière ( 783 ). La situation régionale est donc bien différente de celle constatée dans le sud-ouest et en Espagne, le long des routes conduisant à Saint-Jacques où, même si l’implantation clunisienne a sans doute été surestimée, il est indéniable que l’abbaye bourguignonne entretient nombre de prieurés et d’hôpitaux destinés aux pèlerins ( 784 ).

Notes
768.

) Lambert (E.) : « Ordres et confréries dans l’histoire du pèlerinage de Compostelle », art. cité ; Jugnot (G.) : « Le développement du réseau d’assistance aux pèlerins en Navarre de la fin du Xè siècle au début du XIVè siècle », art. cité, p. 227-233.

769.

) AD 38, B 3518.

770.

) AD 38, B 3542, f°31.

771.

) Le Blévec (D.) : Recherches sur l’assistance dans les pays du bas-Rhône du XII è siècle au milieu du XV è siècle, op. cit., p. 29-34.

772.

) L’essentiel des données en a déjà été exploité pour le Vivarais : cf. Esquieu (Y.) : « L’ordre de Cluny en Bas-Vivarais à la fin du Moyen Age », art. cité et Esquieu (Y.) : « Le Grand Schisme et la crise de l’ordre de Cluny en Bas-Vivarais », art. cité.

773.

) Charvin (G.) : Statuts, chapitres généraux et visites de l’ordre de Cluny, op. cit., t. I, p. 388.

774.

) Ibidem, t. IV, p. 228.

775.

) Ibidem, t. IV, p. 559.

776.

) Ibidem, t. IV, p. 225.

777.

) Ibidem, t. IV, p. 180.

778.

) Cf. supra, p. 164.

779.

) Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., n°CXVI. Sur les chemins passant par Annonay, cf. t. II, p. 29-59.

780.

) Montpezat, cadastre de 1838.

781.

) Gramain (M.) : « Les institutions charitables dans les villages du Biterrois aux XIIè et XIIIè siècles », art. cité, p. 116.

782.

) La Coste-Messelière (R.) de : « Sources et illustrations de l’histoire des établissements hospitaliers et du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, des passages de la Loire à ceux de la Dordogne », art. cité, p. 88 ; Méa (D.) et Colette (F.) : « Hospitalité et chemins de Saint-Jacques de Compostelle dans l’ancien diocèse de Bourges au Moyen Age », art. cité, p. 82-83.

783.

) Sur les effectifs de ces petits prieurés, on consultera Avril (J.) : « Les dépendances des abbayes (prieurés, églises, chapelles). Diversité des situations et évolution », art. cité, p. 324-326 et Gaussin (P.-R.) : « La Chaise-Dieu en Languedoc aux XIIIè et XIVè siècles », art. cité, p. 245-257. Concernant l’état des prieurés de Cluny en Vivarais et leur incapacité évidente à assumer une charge hospitalière, cf. Esquieu (Y.) : « L’ordre Cluny en Bas-Vivarais à la fin du Moyen Age », art. cité, p. 74-79.

784.

) Jugnot (G.) : « Deux fondations augustiennes en faveur des pèlerins : Aubrac et Roncevaux », art. cité, p. 322.