a- Les châtaignes et les fruits

Il n’y a pas lieu ici de fournir une étude sur la châtaigneraie vivaroise au Moyen Age, qui dépasserait assurément le cadre que nous nous sommes fixé. Néanmoins, quelques précisions s’imposent. Bien souvent, les historiens modernistes considèrent que la châtaigneraie ne s’est développée dans la région qu’à partir du XVIIè siècle, du fait de l’augmentation démographique ( 1012 ), propos repris ensuite par les géographes ( 1013 ). C’est toutefois nier trop rapidement les témoignages surabondants de sa présence dès le Moyen Age dans les régions vivaroises où elle domine par la suite, Cévennes et Boutières avant tout. Ainsi, dès le XIIIè siècle, les chartriers de Chambonas, de Blou (Thueyts) ou de La Tour (Saint-Pierreville), concernant les Cévennes et les Boutières, mentionnent de multiples redevances en châtaignes fraîches ou blanches sèches ( 1014 ). Les estimes de 1464 permettent de cerner plus précisément l’importance de la châtaigneraie vivaroise. Les déclarants de Beaumont, Faugères, Lafigère, Malarce, Rocles, Sablières, Sainte-Marguerite et Sainte-Mélany possèdent tous au moins un castanet, ces derniers constituant même le plus souvent une part dominante de leur patrimoine foncier. Le nombre de castanets à Sablières s’élève ainsi à 903, à 470 à Beaumont et à 434 à Rocles, soit entre 5 et 10 parcelles par feu. De même, en Boutières, les tenanciers des paroisses de Saint-Christol, Saint-Genest-Lachamp, Saint-Etienne-de-Serre, Saint-Pierreville ou Saint-Julien-du-Gua doivent des redevances en châtaignes fraîches ou blanches (sèches) et presque tous déclarent des châtaigneraies ( 1015 ).

La châtaigne figure en bonne place dans le tarif de la leyde d’Aubenas de 1498 ( 1016 ). Ce dernier impose que les châtaignes fraîches ou blanches soient taxées au tarif de la leyde des blés. Si les tarifs de leydes autres que ceux d’Aubenas sont perdus, la charte de franchise des Vans accordée en 1313 indique toutefois la présence de châtaignes sur le marché dès son premier article : il est précisé que les droits de cartalage du lieu peuvent se régler en châtaignes, blé ou sel ( 1017 ). A Largentière, un édit réglementant le marché atteste l’existence d’une leyde des châtaignes, preuve que la production de ces dernières était bien, en partie au moins, destinée à la vente ( 1018 ). Outre la consommation locale, les châtaignes sont commercialisées et circulent, ce qui leur vaut d’être taxées à plusieurs péages, comme à Montpezat en 1378 ( 1019 ), à Alès en 1412 ( 1020 ) et à Beaudiner en 1556 ( 1021 ). Elles s’exportent même hors de la région, puisqu’elles figurent dans le tarif de la leyde de Montpellier de 1296, provenant alors probablement des Cévennes ( 1022 ). On les rencontre encore à Marseille au XIVè siècle, venant certes de l’est de la Provence, mais aussi importées des Cévennes via Arles. Celles qui sont alors dites « d’amont » proviennent sans doute du Vivarais, acheminées à Arles par le fleuve, d’où le sens de cette précision géographique ( 1023 ). Ces châtaignes, descendant par le Rhône, peuvent, dès avant Arles, être débarquées à Avignon, puisqu’il en est attesté au port de la Pallière au milieu du XVè siècle ( 1024 ). De même, les châtaignes du Vivarais sont expressément signalées à Lyon à la fin du XVè siècle et au XVIè siècle ( 1025 ), alors qu’au même moment, celles des Cévennes s’exportent jusqu’en Italie ( 1026 ).

Il faut en outre associer les châtaignes à d’autres fruits et produits du jardin dont on rencontre à plusieurs reprises la trace dans les tarifs de péage et dans les listes de produits vendus dans les villes voisines du Vivarais. Ainsi, les tarifs de péages d’Alès de 1412, Saint-Ambroix de 1325, Montpezat de 1378, Aubenas de 1397, Mézilhac de 1347, La Voulte de 1331, et Rochemaure du XIVè siècle taxent tous des fruits locaux frais, comme les pommes, poires, cerises, figues ou des fruits secs ou séchés : amandes, raisins, figues et noix avant tout. De même, le compte du péage de La Voulte de l’année 1399-1400, déjà exploité pour le commerce des grains, fait la part belle aux fruits et châtaignes qui, parmi les produits taxés, se placent en troisième position, certes loin après le grain et le bois, mais bien avant les autres chargements taxés, fer, charbon, etc( 1027 ). Ainsi, des marchands bourguésans, spiripontains ou montiliens viennent-ils vendre de l’espic ( 1028 ), des amandes, du miel, de l’huile, de l’anis ou encore des semences de légumes à Lyon à la fin du XVè siècle ( 1029 ). De même, le chroniqueur tournonais Jean Pélisson, écrivant au milieu du XVIè siècle, est clair à ce sujet : les « fruits, comme figues, pêches, abricots, aubergines, grenades (?), pommes et poires de la Saint-Jean, cerises et griottes, et semblables fruits dont les vignerons font un grand argent car ils sont les plus beaux et meilleurs, et mûrissent plus tôt qu’en Dauphiné et au Pays Bas, et on les porte à Lyon et au Puy, où ils se vendent au poids de l’or » ( 1030 ). On retrouve d’ailleurs régulièrement ces figues sur les marchés ponots aux XVè et XVIè siècles ( 1031 ). Il semble que jamais ces ventes, sans doute limitées en volume et en valeur, ne fassent l’objet d’un crédit, ce qui les rend transparentes aux yeux des notaires et nous prive d’une source documentaire importante à leur sujet.

Notes
1012.

) Molinier (A.) : Stagnations et croissance, le Vivarais aux XVII è et XVIII è siècles, op. cit., p. 203-204.

1013.

) Pitte (J.-R.) : Terres de castanides, hommes et paysages du châtaignier de l’Antiquité à nos jours, op. cit., p. 86-88.

1014.

) Chartrier de Chambonas : AD 07, 39J. Chartrier de Blou : AD 07, 42J. Chartrier de La Tour : AD 07, 19J.

1015.

) AD 07, C 615 et C 617.

1016.

) AD 07, 52J 93, p. 33.

1017.

) Minard (P.) : « La charte des Vans », art. cité, p. 210.

1018.

) AD 07, 1J 529, f°86.

1019.

) AD 07, 39J 358.

1020.

) AD 30, C 163, pièce 18.

1021.

) AN, H4 3082/1, n°14.

1022.

) Germain (A.) : Histoire du commerce de Montpellier antérieurement à l’ouverture du port de Cette, rédigée d’après les documents originaux et accompagnée de pièces justificatives inédites, op. cit., t. I, p. 31-32.

1023.

) Stouff (L.) : Ravitaillement et alimentation en Provence aux XIV è et XV è siècles, op. cit., p. 108.

1024.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve. Recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I, vol. 2, p. 480.

1025.

) Gascon (R.) : Grand commerce et vie urbaine au XVI è siècle, Lyon et ses marchands, op. cit., t. I, p. 130.

1026.

) Leroy-Ladurie (E.) : Les paysans de Languedoc, op. cit., p. 213.

1027.

) B.N.F., Nouv. acq. lat., Ms. 2131 ; cf. infra, annexe n°6.

1028.

) Lavande sauvage pouvant donner une huile par simple macération, utilisée avant que l’essence obtenue par distillation ne soit connue.

1029.

) Bresard (M.) : Les foires de Lyon aux XV è et XVI è siècles, op. cit., p. 183-185.

1030.

) AD 07, 1Mi 31.

1031.

) Rivet (B.) : Une ville au XVI è siècle, Le Puy-en-Velay, op. cit., p. 95.