b- Le bois et ses dérivés

Parmi les produits et les matières premières que le Vivarais exporte et qui participent, certes plus modestement que le vin, à alimenter les circulations sur les routes de la région, il faut signaler le bois. Alors que de vastes étendues du Plateau sont herbagées et totalement déforestées, plusieurs domaines ecclésiastiques et seigneuries laïques se signalent par l’importance de leurs forêts, alliant de grands résineux comme le sapin, à des feuillus comme les hêtres ( 1032 ). Outre l’utilisation locale de ces forêts pour le bois de chauffage et le charbonnage, leur exploitation pour produire du bois d’oeuvre est perceptible par la présence de scieries ( 1033 ), généralement qualifiées de molendinum resse ou de ressatoria, qui se rencontrent assez fréquemment au détour de la documentation sur tout le coeur du Plateau, entre le col de la Chavade et le mont Mézenc ( 1034 ). A nord et au sud, bien que d’importantes forêts existent sans doute, notamment sur le massif du Tanargue, la documentation n’a pas livré l’existence de moulins à scie. Plus encore que ces moulins, dont la présence atteste quand même d’un certain degré de mécanisation du sciage du bois qui n’est pas le lot de toutes les régions au Moyen Age, le commerce du bois transparaît à la lecture des tarifs de péage. Presque tous ceux portant sur des routes descendant du Plateau taxent le bois ou les produits du bois ( 1035 ), avec parfois un certain degré de détail comme à Mézilhac en 1347 ( 1036 ), où sont différenciés les bois bruts, les madriers, ou la vaisselle de bois.

Ce bois, eu égard aux complications que présente son transport, induisant assurément des surcoûts prohibitifs ( 1037 ), devait avant tout être destiné au Bas-Vivarais calcaire et aux villes du pied des Cévennes. Ainsi, en 1376, Jacques du Mas, de Champagne, dans le mandement de Montpezat, vend-il à Béraud Larzalier, de Saint-Maurice-d’Ardèche, trois douzaines de planches de sapin à livrer en trois fois à Saint-Maurice ( 1038 ). En effet, parmi toutes les rivières vivaroises, qui sont avant tout des torrents, seule l’Ardèche pourrait de prime abord paraître convenir à un flottage des bois, ce que voudrait en outre accréditer l’historiographie locale s’appuyant sur un dossier de preuves indigent. Cependant, elle n’a jamais vraiment été flottable pour des trains de bois ( 1039 ). Naturellement, elle ne l’est pas, son débit étant le plus souvent trop faible et son lit coupé de rapides, ou au contraire de bancs de gravier, sans compter les nombreux moulins et pêcheries bordant ses rives, multipliant les entraves à un écoulement normal de l’eau. C’est bien comme une rivière sauvage et inutilisable sans travaux conséquents qu’elle apparaît en 1667-1668 aux yeux de Louis de Froidour, réformateur général des Eaux et Forêts ( 1040 ). Le seul débouché pour les bois vivarois, au moins jusqu’au Rhône, est donc bien un transport terrestre.

La fabrication de la vaisselle de bois, que l’on rencontre par exemple en grand nombre au péage de Mézilhac au milieu du XIVè siècle ( 1041 ), apparaît variée, avec des écuelles, vases, cuillères, pots, mortiers, probablement produits en hêtre, bois dense et résistant bien au séchage sans se fendre. C’est d’ailleurs une spécialité bien attestée de toutes les zones forestières du Massif Central ( 1042 ). Si les bois d’oeuvre sont difficiles à transporter, ce n’est pas le cas de la vaisselle de bois : cette dernière, de faible encombrement, plus solide que la vaisselle de terre, présentant une certaine valeur ajoutée, est peut-être exportée plus loin. Ainsi, non loin du Vivarais, le commerce des écuelles et des cuillères de bois fait partie des activités des marchands locaux d’Anduze, ces derniers les exportant jusque dans le sillon rhodanien, puisqu’en 1311, ils se plaignent de ce que le tarif du péage de Comps les pénalise à ce sujet ( 1043 ).

Par ailleurs, la châtaigneraie des pentes vivaroises et cévenoles produit aussi du bois ( 1044 ), ce dernier étant manifestement utilisé, outre pour la menuiserie dans les régions de production, pour la fabrication de tonneaux, de cercles de tonneaux et de vaisselle vinaire. L’essor de la viticulture des plaines languedocienne s’accompagne d’importations de bois de châtaignier ou de futailles finies depuis les régions cévenoles et péri cévenoles comme le Vivarais, ce qui pousse les autorités consulaires montpelliéraines à en demander l’interdiction à deux reprises, en 1252 et en 1340, cette dernière « putréfiant le vin » ( 1045 ). Ces requêtes ne sont pas suivies d’effet, puisqu’au XVIè siècle, le châtaignier s’est imposé face au chêne qui est à son tour rejeté ( 1046 ). La documentation régionale témoigne, elle-aussi, de la fabrication et de la vente de vaisselle vinaire. Ainsi, en 1391, deux choriers de la cathédrale de Viviers s’approvisionnent en tonneaux à Thueyts, au mas de Serrecourt, achetant quatorze fûts en châtaignier « de plante jeune et de bon bois », les acquéreurs prenant en charge les cercles des tonneaux et nourrissant les animaux nécessaires au transport ainsi que le voiturier ( 1047 ). En 1526, c’est un fustier de Montpezat qui vend vingt-deux tonneaux à un fustier d’Avignon, livrables à Pont-Saint-Esprit ( 1048 ). Au milieu du XVè siècle, les cercles de tonneaux, dont on sait qu’ils sont en châtaignier, sont même bien représentés parmi les marchandises débarquées à Avignon au port de La Pallières ( 1049 ) et au XVIè siècle, les futailles en châtaigniers du Vivarais, et plus particulièrement de la haute vallée de l’Ardèche et de ses affluents, s’exportent même au-delà du Rhône et jusque dans le midi méditerranéen ( 1050 ).

Outre le bois d’oeuvre, ou les tonneaux, on mentionnera encore une troisième catégorie de bois : celui de chauffage, avant tout à destination des fours des principales villes. En effet, le Bas-Vivarais en exporte au milieu du XVè siècle, embarqué sur le Rhône à Viviers, Bourg-Saint-Andéol et Pont-Saint-Esprit en direction d’Avignon ( 1051 ). Il est vrai que le boisement de chênes verts de la région constitue un combustible de première qualité et que ce secteur, sans doute l’un des moins peuplé du Vivarais à la fin du Moyen Age, offre des immensités quasiment vides d’homme qu’il est possible d’exploiter de la sorte (bois du Laoul, bois de Ronze, bois d’Ajude, etc.), ce commerce pouvant porter sur des quantités importantes. Un habitant de Mélas achète par exemple à la fin du XIVè siècle 1500 quintaux de bois de roure et d’yeuse à livrer au port du Teil pour le charger sur des navires, mettant en jeu à somme conséquente de 19 francs et 3 gros ( 1052 ).

Le commerce du bois, même s’il n’est assurément pas l’un des moteurs principaux des circulations, y contribue manifestement pour une part, associé en association avec d’autres produits artisanaux.

Notes
1032.

) Aucune étude paléoenvironnementale n’a encore été conduite en Vivarais, mais pour un aperçu global de ces forêts à la fin du Moyen Age, cf. Cornu (L.) : « La nature et les hommes des hauts plateaux du Vivarais, XIVè-XVè siècles », art. cité, principalement p. 135.

1033.

) Sur les scieries médiévales, cf. la mise au point en introduction de Adam (J.-P.) et Varène (P.) : « Scieries hydrauliques en Savoie (vallée du Giffre) », art. cité, p. 83-89.

1034.

) Cf. annexe n°7, liste des moulins à scie attestés à la fin du Moyen Age dans la documentation consultée.

1035.

) A Aubenas en 1397 [AN, H4 3101, n°18], Chalencon en 1466 [AD 07, E dépôt 75, AA 3, 4 et 5 ; AN, H4 3016/1, pièce 6 et AN, H4 3087/1, pièce 11], Montpezat en 1378 [AD 07, 39J 358] ou Saint-Ambroix en 1325 [AN, H4 3079/2, pièce 11].

1036.

) AD 07, 3J 23, pièce 3, folio 5v.

1037.

) A titre d’exemple, en 1390, dans une région au relief pourtant ouvert rendant possible le charroi, le transport de 30 sapins du pied du Vercors à Romans (environ 30 kilomères) pour la construction du pont sur l’Isère a coûté 425 florins, alors que les sapins avait été acheté 30 florins au total seulement. 150 hommes et 80 paires de boeufs furent nécessaire pour les déplacer jusqu’au chantier [Mesqui (J.) : Le pont en France avant le temps des ingénieurs, op. cit., p. 150].

1038.

) AD 07, 2E 5888.

1039.

) Sur les arguments que nous présentons allant à l’encontre de la pratique du flottage des bois sur l’Ardèche, cf. t. II, p. 444-447.

1040.

) AD 31, non coté, fonds de la Table de Marbre des Eaux et Forêts. Inventaire général des titres, papiers renseignements procez verbaux plans figures et jugemens concernant la Réformation générale des Eaux et forestz au parlement de la Grande Maîtrise de Toulouse, f°220.

1041.

) AD 07, 3J 23, pièce 3, folio 5v.

1042.

) Fournier (G.) : « Usages et techniques de la vie quotidienne : vaisselle de bois, silos », art. cité, p. 159.

1043.

) AD 30, 1E 5.

1044.

) Sur l’utilisation du bois de châtaignier, cf. Durand (A.), Forest (V.), Gardeisen (A.), Ruas (M.-P.) : « Approches bioarchéologiques de l’habitat castral languedocien, huit sites de la bordure méridionale du Massif Central (Xè-XVIè siècles) », art. cité, p. 21.

1045.

) Berthélé (J.) : Grand chartrier de Montpellier, inventaire analytique rédigé par P. Louvet en 1662-1663, op. cit., p. 81, n°943-944-945. .

1046.

) Leroy-Ladurie (E.) : Les paysans de Languedoc, op. cit., p. 215.

1047.

) AD 07, 2E 7648, f°6v°.

1048.

) AD 07, 2E 1540, f°63v°.

1049.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve. Recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I, vol. 2, p. 480.

1050.

) Reynier (E.) : Saint-Sauveur-de-Montagut, op. cit., p. 3, note 4.

1051.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve. Recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I, vol. 2, p. 502.

1052.

) AD 07, 2E 7648 , f°18.