c- Le verre

Il peut paraître surprenant de mentionner ici du verre et de la vitrerie ou des miroirs, mais nous en trouvons, par exemple, mentionnés aux tarifs de péages de Mézilhac de 1347, de Saint-Ambroix de 1325, d’Aubenas de 1397 et de Privas de 1466 pour ce qui est des routes de l’intérieur du Vivarais, ou encore à Charmes en 1535 et à La Voulte en 1331 en ce qui concerne le sillon rhodanien. A Mézilhac, l’unité de mesure est la grosse charge, soit une charge de mulet, alors que d’autres unités plus petites existent, comme la valeur de ce que porte un colporteur. A Saint-Ambroix, le cas du passage d’un mulet chargé de verre, soit une saumadée, est aussi envisagé, de même qu’à Aubenas, laissant penser que les quantités ne sont pas négligeables pour ce type de produit à la diffusion limitée et qui ne constitue pas un bien de grande consommation. A La Voulte en 1331, il est question de caysia de veres, vel de mirals  ( 1053 ). Une leyde spécifique sur le verre est attestée à Montpezat au début du XVIè siècle, noble Gratien d’Ucel, reconnaissant, en 1539, tenir du seigneur de Montlaur « ...la leyde des verres aux lieux places et mandement de Montpezat tous ainsi que mes prédécesseurs ont jouy et possédé... » ( 1054 ). A ces quelques exemples de commerce du verre, il faut ajouter plusieurs mentions directes de verriers et verreries. Ainsi, dès 1269, Raymond de Montdragon donne une terre située à Saint-Marcel-d’Ardèche à Bermond Veyrier où il pourra construire une verrerie et devra résider ( 1055 ). Un verrier est aussi attesté en 1328 ( 1056 ) à Lachamp-Raphaël, alors que Pierre Thomacii exerce cette profession à Joyeuse en 1338 ( 1057 ), et que Jean Lacombe est veyrerius à Aubenas en 1492 ( 1058 ). Il est vrai que les ressources locales sont intéressantes et se prêtent bien à cette activité : les sols granitiques se décomposent en arène riche en silice, alors que les forêts que nous avons déjà évoquées peuvent procurer le combustible indispensable en grande quantité. Par ailleurs, la soude qui entre dans la composition du verre apparaît, elle aussi, à plusieurs reprises. Produite sur le littoral méditerranéen par combustion de la salicorne ( 1059 ), elle figure dans plusieurs tarifs de péage, sous forme de soude (soda), ou sous forme de cendres ( 1060 ), Nîmes, Montpellier et Avignon en étant les principaux centres de redistribution ( 1061 ).

Outre les quelques mentions de verriers et celles de trafic du verre ou de la soude, la documentation nous a livré plusieurs actes sur l’installation et le fonctionnement d’une verrerie à Rousson, certes en Uzège, mais à quelques kilomètres seulement du Vivarais. Ainsi, le 30 novembre 1394, Pierre d’Aigremont, coseigneur de Rousson, passe un accord avec Guilhem Pons, veyrerius, de Bertholène, au diocèse de Clermont, pour que celui-ci installe une verrerie au manse de Penitencia, non loin de Rousson, mitoyenne avec la route royale de Saint-Ambroix à Alès. Les modalités de construction et les dimensions de la pièce du four sont précisées, de même qu’il est prévu dès la fondation les modalités d’approvisionnement du four en bois ( 1062 ). L’affaire semble alors bien fonctionner, puisque le 23 juillet 1396, ledit Guilhem Pons, prend un associé, Jean Francisci, de Quingey, au diocèse de Besançon ( 1063 ). Ensuite, le 12 juin 1397, Guilhem Pons, devenu noble, s’associe avec Jean Verteti, de Saint-Flour, Jean Francisci, son associé de l’année précédente lui concédant les taches subalternes, approvisionner le four en souda, et porter la terre, comprendre la silice ou le calcin ( 1064 ). Ces quelques actes témoignent aussi de la commercialisation du verre, puisque l’accord aboutissant à la fondation de la verrerie prévoit que le seigneur de Rousson prendra sous sa protection les marchands (mercatores) venant acheter du verre. Le 11 mars 1397, Jean Francisci, s’oblige même en faveur de Pierre Verlhat, marchand d’Avignon, et s’engage à lui livrer du verre en payement de la soude et du colorant qu’il lui a acheté ( 1065 ). Ce mode de commercialisation par échange du produit fini contre l’un de ses composants, généralement la soude, est par ailleurs répandu et se rencontre dans pratiquement toutes les verreries méridionales pour lesquelles des archives ont été conservées ( 1066 ).

Le Vivarais dans son ensemble n’apparaît certes pas comme une région de production verrière importante, mais le pied des Cévennes constitue manifestement de ce point de vue la continuation vers le nord du bassin d’Alès, qui se signale dès le XIVè siècle par un nombre important de verreries ( 1067 ), alors que les tarifs de péages attestent d’un trafic bien réel, qui devait présenter des caractères très singuliers. Le verre plat (vitrages et miroirs), de par sa fragilité, devait poser de sérieux problèmes aux muletiers, alors que le verre mis en forme (vaisselle avant tout), s’il est moins fragile, est encombrant. Il est néanmoins difficile de préciser à la lecture de la seule documentation vivaroise dans quelle direction partait ce verre, mais on peut penser que les villes du sillon rhodanien ou du Bas-Languedoc constituaient des marchés potentiels.

Les productions agricoles vivaroises et, dans une moindre mesure artisanales, concourent à alimenter des circuits d’échange unissant plaine et montagne. Ainsi, le vin, spécialité du nord du sillon rhodanien et des Cévennes, est-il acheminé jusqu’au coeur de l’Auvergne, donnant naissance à des courants commerciaux pouvant expliquer que certaines routes orientées est-ouest connaissent un essor particulier. De même, plusieurs produits artisanaux, issus de l’exploitation du milieu naturel avant tout (bois, verre, mais aussi peut-être minerai ou charbon, etc.) se cumulent pour, eux aussi, générer un trafic, certes réduit par rapport à celui du vin, mais bien présent. A ces exportations vivaroises, il faut ajouter les grains, qui suivent les mêmes axes routiers, mais dans l’autre sens, participant eux aussi à l’essor des routes transversales. Notre connaissance de ces flux est toutefois limitée à leur mise en évidence, mais nous ne pouvons nullement en étudier les fluctuations conjoncturelles ou les évolutions à la fin du Moyen Age. De même, s’il est assuré que du vin vivarois part en quantité vers le Velay et l’Auvergne ou que du grain arrive en Vivarais, nous ne pouvons percevoir les quantités mises en jeu, donc le nombre de convois muletiers concernés, puisque la documentation comptable des péages vivarois a totalement disparu et, sauf surprise d’une découverte toujours possible dans un fonds d’archives privé, les données chiffrées manquent cruellement. Pilier des flux commerciaux, le sel et le grain ne sont toutefois pas les seuls produits mis en jeu dans la région, l’élevage et le commerce de la viande induisant à eux seuls des déplacements tout aussi importants, si ce n’est plus.

Notes
1053.

) Mézilhac [AD 07, 3J 23] ; Saint-Ambroix [AN, H4 3079/2, pièce 11] ; Aubenas [AN, H4 3101, n°18] ; Charmes [AN, H4 3041/2, pièce 2] ; La Voulte[AN, H4 2960].

1054.

) AD 07, 39J 357.

1055.

) AD 13, 56H 4571.

1056.

) AD 07, 2E 38.

1057.

) AD 07, 2E 10739.

1058.

) AD 07, 1J 307.

1059.

) Foy (D.) : Le verre médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, op. cit., p. 34.

1060.

) Mézilhac en 1347 [AD 07, 3J 23] ; Alès en 1412 [AD 30, C 168] ; La Voulte en 1331 [AN, H4 2960].

1061.

) Foy (D.) : Le verre médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, op. cit., p. 37.

1062.

) AD 34, 2E 96/2, acte n°13.

1063.

) Ibidem, acte n°69.

1064.

) Ibidem, acte n°110.

1065.

) Ibidem, acte n°102.

1066.

) Foy (D.) : Le verre médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, op. cit., p. 37.

1067.

) Ibidem, p. 118.