b- Le fromage

Pays d’élevage, le Vivarais est inévitablement aussi une région fromagère, et même si cette production n’est pas nécessairement recherchée, elle constitue dans une certaine mesure, un sous-produit incontournable. Généralement peu étudié ( 1337 ), il n’a fait l’objet d’aucun travail en Vivarais, où les sources sont pourtant relativement nombreuses.

Sous différentes formes, on le rencontre dans toutes les régions concernées par l’élevage ovin ou bovin, généralement mentionné sous forme de redevance pour l’usage d’espaces naturels, herbages ou bois. Ainsi, en 1323, un carteron de fromage par homme, payable à la Saint-Michel, est dû à la chartreuse de Bonnefoy comme redevance par les habitants du Monastier et des Estables en échange de droit sur le bois de Clergeat ( 1338 ). Les redevances en fromages comptent aussi pour une part sans doute significative des redevances seigneuriales perçues dans les régions d’élevage. Par exemple, dans la châtellenie de Chalencon, pour laquelle nous avons conservé le sommaire d’un compte, en 1353, le seigneur du lieu perçoit trois quintaux de fromage ( 1339 ). De même, très généralement, les droits de pulvérage et de séjour des troupeaux transhumants se lèvent en partie en fromage. Ainsi, en 1412 et 1453, pour chaque troupeau transhumant, les péagers d’Alès réclament une redevance à la montée à l’estive et une à la descente à l’hivernage : à l’aller, avant l’été, chaque centaine de bêtes paye 1 sou tandis qu’au retour des montagnes, lorsque le fromage d’alpage est prêt, chaque cabane paye une « forme » de fromage de 3 livres » ( 1340 ). C’est encore du fromage qui est dû en 1491 au seigneur de Boulogne par les propriétaires de troupeaux transhumants hivernant dans ce mandement ( 1341 ).

Il est difficile, voire impossible de savoir quel type de fromage était produit. Notons une différence récurrente entre fromages d’alpages et fromages d’hiver. Ainsi, comme nous l’avons expliqué, les troupeaux passant à Alès doivent un fromage seulement au retour d’alpage, ce qui laisse penser qu’il est plus recherché. C’est expressément « unum caseum cabanenc », de cabane d’altitude et non de bergerie de vallée, qui doit être remis à noble Jean de Planchamp en 1490 comme redevance pour l’affar de Besseria par Jean et Pierre Ayglonis, de Saint-Jean-de-Chazorne ( 1342 ). De même, lorsqu’en 1480, l’abbé de Mazan concède les herbages et droits de faire cabane (estiver) aux habitants du mas de Calmis Medis et à ceux de Gracia, il se réserve explicitement la « decimam caseorum ex dictis cabana » qu’il se garde bien de laisser passer ( 1343 ). Par ailleurs, quelques termes et qualificatifs laissent percer des différences entre fromages, mais il est difficile de les expliquer. Il est assuré que les formes perçues en 1412 au titre du pulvérage d’Alès sont des fromages de brebis transhumantes. En 1383, le bail d’un troupeau de bovins prévoit que, outre des formes, le preneur devra livrer des fromages de glaonis ( 1344 ). Forme et glaou sont aussi les deux fromages rencontrés sur les montagnes des monts Dore à la fin du Moyen Age et jusqu’au XVIIIè siècle, sans qu’il soit, là non plus, possible d’en donner une définition précise ( 1345 ). Pour finir, signalons aussi le sarrason ou sarrassou, préparation à base de petit lait se présentant comme du « fromage blanc », encore produit à l’heure actuelle sur le Plateau, qui est mentionné en 1347 au péage de Mézilhac. Chaque troupeau descendant d’estive doit en livrer ; il est précisé qu’il doit provenir « des dites montagnes de Mezenc (Mézenc), Biage (Le Béage), Bonnefez (Bonnefoy), Gaudelet (Goudoulet) et autres montagnes » ( 1346 ).

Ce fromage qui quitte les régions d’élevage est-il commercialisé ? Il semble évident que les principaux seigneurs qui perçoivent plusieurs quintaux de fromage par an et par mandement concerné par l’élevage, ou encore les propriétaires de troupeaux, établissements ecclésiastiques ou éleveurs laïcs, ne peuvent absorber à eux seuls une telle production. Tout comme pour d’autres produits, plusieurs tarifs de péages portant sur des routes descendant du Plateau en taxent. C’est le cas à Mézilhac en 1347, Montpezat en 1378, Privas en 1466 et, pour finir, à Beaudiner en 1556 ( 1347 ). Où ce fromage était-il expédié ? Il est difficile de le savoir, mais notons que les Lyonnais du XVIè siècle consomment prioritairement du fromage du Massif Central dans lequel il faut peut-être inclure celui des confins du Vivarais et du Velay ( 1348 ). Par ailleurs, faisons encore une fois honneur aux Provençaux des XIVè et XVè siècles, dont l’alimentation a été si merveilleusement étudiée. Ils consomment très régulièrement du fromage qui, outre la production locale et régionale, provient de régions plus lointaines. La ville d’Avignon joue ici un rôle de marché centralisateur pour la Provence puisqu’y convergent les fromages provenant du Dauphiné, mais aussi du Massif Central ( 1349 ). Du fromage débarque « d’amont » au port de la Pallière au milieu du XVè siècle ( 1350 ). De même, la consommation de fromages auvergnats est attestée à la cour pontificale et le fromage de Cantal, est exporté sur tout le pourtour du Massif Central ( 1351 ). Sous l’Ancien Régime, les villes de Mende et du Puy sont des pôles de redistribution majeurs d’où viennent les muletiers qui achètent les fromages dans les monts d’Auvergne et les vendent ensuite dans le bas pays ( 1352 ). La géographie des réseaux routiers implique ensuite que les fromages centralisés au Puy et à Mende traversent les routes des Cévennes et du Vivarais afin de gagner la Provence et le Bas-Languedoc.

Notes
1337.

) Moriceau (J.-M.) : « Une question en renouvellement : l’histoire de l’élevage en France », art. cité, p. 31.

1338.

) AD 07, 59J 49, f°242.

1339.

) AD 07, C 196, f°703.

1340.

) AD 30, C 163, n°19.

1341.

) AD 07, C 196, f°556.

1342.

) AD 07, 39J 84.

1343.

) AD 07, 3H 9.

1344.

) AD 07, 2E 7642, 1383, f°17.

1345.

) Charbonnier (P.) : « L’élevage de montagne dans les Mont Dore du XIVè au XVIIIè siècle », art. cité, p. 229.

1346.

) AD 07, 3J 23, pièce 3, folio 5v°, traduction de 1602.

1347.

) AN, H4 3082/1, n°14.

1348.

) Gascon (R.) : Grand commerce et vie urbaine au XVI è siècle, Lyon et ses marchands, op. cit., p. 130.

1349.

) Stouff (L.) : Ravitaillement et alimentation en Provence aux XIV è et XV è siècles, op. cit., p. 196-197.

1350.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve. Recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I, vol. 2, p. 480.

1351.

) Wolff (Ph.) : Commerce et marchands de Toulouse, vers 1350-vers 1450, op. cit., p. 195 ; Charbonnier (P.) : « L’élevage de montagne dans les Mont Dore du XIVè au XVIIIè siècle », art. cité, p. 229.

1352.

) Poitrineau (A.) : « Le lait et la production fromagère dans les montagnes d’Auvergne au XVIIIè siècle », art. cité, p. 256.