c- Le travail du cuir et de la laine

La laine et le cuir sont deux sous-produits que nous traiterons conjointement, puisque provenant tous deux des mêmes parties de l’animal et étant destinés à un usage non alimentaire.

Le travail et la commercialisation du cuir

Régions d’élevage massif, le Velay et le Vivarais n’en sont pas pour autant nécessairement des régions tannantes importantes, puisque tannerie et exportation de bétail sont deux volets antinomiques de l’élevage.

Une cartographie des localités concernées par le travail du cuir est envisageable, à l’aide des estimes de 1464, que les sources notariales permettent ponctuellement de compléter lorsque les données fiscales manquent, principalement dans les régions où les estimes n’ont pas été conservées ( 1353 ). Nous considérons ici comme « travail du cuir » sa préparation depuis la peau brute jusqu’à la matière première, qu’il s’agisse de cuir tanné ou de parchemin. Sont donc prises en comptes les mentions de corraterius, pellicerius, pergamenerius, scofferius, etc., à l’exclusion du sabaterius et du cordobanerius, et autres basterius renvoyant à la confection d’objets en cuir et non à la production de la matière première. Néanmoins, la distinction n’est pas toujours évidente à établir, et il est assuré qu’un certain nombre de sabaterius sont aussi des tanneurs ( 1354 ), comme Hugues de Millonis, sabaterius d’Aubenas, qui vend une chauchière à Arnaud de Chaonis en 1328 ( 1355 ). Constaté ailleurs ( 1356 ), cette non spécialisation, ou cette spécialisation en de larges secteurs, ne doit pas surprendre et correspond bien à la situation technique, économique et sociale du Moyen Age. D’ailleurs, le nombre de savetiers de plusieurs localités pose problème : il est manifestement trop élevé pour ne désigner que des personnes confectionnant des chaussures. Ainsi, sur les années 1490-1500, la documentation livre l’existence de seize savetiers à Montpezat ( 1357 ), soit largement plus qu’il n’en faut pour chausser la population de ce bourg et de sa « zone de chalandise ». La liste que nous fournissons est donc à considérer comme minimale, l’apport de nouvelles sources et surtout de précisions supplémentaires sur la nature exacte de l’activité d’un certain nombre de cordonniers, pouvant la faire évoluer sensiblement. Au total, sur le seul diocèse civil de Viviers, trente et une localités se distinguent tout au long de la fin du Moyen Age par la présence d’installations de tanneries et de professions liées à l’apprêtage des peaux ( 1358 ). A ces localités strictement vivaroises, il faut ajouter neufs villes ou bourgades voisines où la tannerie est attestée à la fin du Moyen Age, vers lesquelles les vivarois pouvaient se tourner pour faire tanner leurs peaux. Cependant, les tanneries de toutes ces localités ne sont pas comparables. Ainsi, un seul tanneur est établi à Saint-Vincent-de-Barrès en 1464 ( 1359 ), de même qu’au Béage ( 1360 ). A Tournon, ville pourtant importante, le nombre de tanneries demeure là encore limité : une seule en 1464 ( 1361 ), pour seulement deux à Joyeuse ( 1362 ). Seules les villes d’Aubenas et d’Annonay semblent se présenter comme des centres peaussiers relativement importants. Douze personnes se déclarent corratiers et escoffiers à Annonay en 1464, travaillant autour de dix-sept calquières ( 1363 ). L’essor de la tannerie est donc déjà important dans la ville qui sera célèbre à partir du XVIè siècle pour ses blanchiers et ses mégissiers. Au sud, la ville d’Aubenas est le second centre tannant important du Vivarais, mais en l’absence des estimes de 1464, plusieurs registres notariés et un compoix de 1491 apportent des informations sur cette activité. Deux tanneries sont attestées au bord de l’Ardèche en 1328 ( 1364 ), l’une d’elles étant cédée à cette date par un savetier d’Aubenas. En 1369, plusieurs sont situées le long du « canal du seigneur » (actuel canal de Baza ?), au territoire de Las Chaucheriras, la seule existence de ce toponyme indiquant une concentration de cuves déjà ancienne et significative ( 1365 ). Cette concentration est perceptible en 1372, lorsque plusieurs chauchières sont attestées le long du canal partant du pont d’Aubenas et aboutissant aux moulins du seigneur ( 1366 ). En 1382, c’est Jean Dufour, exploitant d’une chauchière, qui est témoin d’un vol alors qu’il tanne ses cuirs, ce qui l’amène à témoigner devant la justice seigneuriale d’Aubenas, seule dont nous ayons conservé les audiences ( 1367 ). Par la suite, plusieurs chauchières sont ponctuellement mentionnées, comme celles de Nicolas Flandin, pellicier du Puy, qui vient s’installer à Aubenas le 17 mai 1395 ( 1368 ). Sans retenir toutes les mentions du XVè siècle, signalons seulement que le compoix de 1491 recense une dizaine de chauchières, généralement situées au quartier de Pont-d’Aubenas, autour du canal de Baza ( 1369 ).

Présentes dans au moins une trentaine de localités du Vivarais, une quarantaine même en associant les installations limitrophes, les tanneries quadrillent régulièrement le diocèse civil, à l’exception du Bas-Vivarais calcaire, mais l’absence de tout cours d’eau significatif peut l’expliquer, et du Plateau, où le long gel hivernal bloquerait tout travail durant de longs mois. Cependant, quelques concentrations particulières se constatent autour de la haute vallée de l’Ardèche et de ses affluents, ou autour du Cheylard et de la vallée de l’Eyrieux, sur la vallée du Doux, et pour finir sur la vallée de la Cance et de la Deûme. Seuls deux centres peuvent toutefois être qualifiés d’importants : Aubenas et Annonay.

Peut-on pour autant avancer que la tannerie est une activité économique majeure en Vivarais, débouchant sur des exportations ? La comparaison de la tannerie vivaroise avec celle d’autres régions peut permettre de fixer les idées en la matière. Remarquons que le nombre de tanneries en Vivarais paraît équivalent à celui du Dauphiné au milieu du XVè siècle où, il est vrai, des difficultés sémantiques ainsi que les lacunes de l’enquête pour le sud du Dauphiné masquent sans doute un nombre assez considérable d’installations ( 1370 ). Ce sont aussi des données similaires que l’on rencontre en Savoie ( 1371 ), dans le Forez voisin ( 1372 ), ou en Provence orientale et dans le comté de Nice ( 1373 ). Le Vivarais ne se présente donc pas comme une région de tannerie particulièrement développée, mais semble atteindre à la fin du Moyen Age un niveau similaire à celui d’autres régions, voisines ou plus lointaines, pratiquant l’élevage. En effet, ne peuvent être tannées sur place que les cuirs des bêtes consommées localement, ou mortes accidentellement. C’est sans doute pour cela que la majorité des installations artisanales vivaroises demeurent limitées, dispersées en de nombreuses paroisses ne possédant qu’une seule chauchière appartenant à un artisan isolé pratiquant parfois plusieurs activités connexes allant jusqu’à la cordonnerie. Seuls deux centres plus importants se manifestent, Annonay et Aubenas, correspondant aussi aux deux villes les plus peuplées, donc celles où des mazels débitent une quantité de viande significative produisant des peaux à tanner en nombre. Bien présente, la tannerie n’est pas surreprésentée en Vivarais par rapport à d’autres régions d’élevage.

Les cuirs vivarois étaient-ils exportés ? Il est très difficile de répondre à cette question, mais remarquons que plusieurs tarifs de péage, presque tous ceux portant sur des routes de l’intérieur du Vivarais, taxent la matière première (cuir non ouvragé) ( 1374 ), ou le produit fini (cuir ouvragé) ( 1375 ). Ceci sous-entend un certain trafic, mais nous pouvons douter de son importance, puisque, à l’examen des archives notariales, les contrats d’achat de cuir et de peaux restent limités, et sont le plus souvent le fait de personnes de la région, artisans du cuir en général. Ainsi, en 1367 un cordonnier d’Aubenas vend du cuir pilossii à une personne de Chassiers ( 1376 ), alors qu’un an après, c’est un pellicier d’Aubenas qui achète des peaux à un aubergiste de sa ville ( 1377 ). En 1373, c’est au tour d’un tanneur de Viviers, Jean Chambon, d’acheter des peaux à un éleveur de Balazuc ( 1378 ). Par la suite, en 1382 et 1383, trois escoffiers et pelliciers de Privas achètent des peaux brutes à Pons Benoît, macellier d’Aubenas ( 1379 ), puis en 1413, c’est au tour de Guilhem Bolh, de Chambonas, d’acheter du cuir apprêté à Raymond Froment, de Vagnas, sans que la profession de l’un ou l’autre soit indiquée ( 1380 ). Jamais il ne s’agit de ventes conclues avec des personnes extérieures au Vivarais et le plus souvent elles portent sur les peaux à tanner et non sur le cuir apprêté, qui semble, lui, se vendre au détail et ne donne donc pas lieu à la rédaction d’actes. Par ailleurs, à l’inverse, aucune étude d’histoire économique portant sur des villes ou des centres de consommation du sud-est ne témoigne d’importations de cuirs vivarois ou périvivarois, à l’exception de la région lyonnaise, qui constitue dès le XVè siècle un marché important du cuir. La ville s’approvisionne alors avant tout en Limousin, en Auvergne et au Puy, les peaux vivaroises transitant en partie par cette ville ( 1381 ). De même, des peaux et cuirs partent dès les XVè-XVIè siècles vers la ville de Romans et ses importantes tanneries, ainsi que l’atteste l’enquête sur les franchises des marchands romanais réalisée en 1514 ( 1382 ). Les marchands dauphinois s’approvisionnent alors le plus souvent dans la région annonéenne, la plus proche et la plus facile d’accès pour eux.

On peut donc penser que le travail du cuir est bien présent en Vivarais, mais sans doute pas plus que dans d’autres régions d’élevage dépourvues de grands foyers de consommation, les peaux traitées sur place étant pour une large part destinées au marché local. Les exportations que suggèrent les tarifs de péage restent probablement limitées et manifestement avant tout orientées vers la région lyonnaise et le Bas-Dauphiné, le Bas-Languedoc et la Provence étant autosuffisants en la matière.

Notes
1353.

) Un premier dénombrement des tanneries et chauchières à partir des estimes de 1464 a déjà été réalisé : cf. Régné (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. II, p. 452-472.

1354.

) Régné (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. II, p. 460.

1355.

) AD 07, 2E 38, f°17.

1356.

) Fournial (E.) : Les villes et l’économie d’échange en Forez aux XIII è et XIV è siècles, op. cit., p. 416.

1357.

) Haond (L.) : « L’activité économique de Montpezat, bourg routier du pays des pentes à la fin du Moyen Age », article à paraître.

1358.

) Cf. annexe n°9 et carte la draperie et de la tannerie.

1359.

) AD 07, C 566.

1360.

) AD 07, C 616.

1361.

) AD 07, C 613.

1362.

) AD 07, C 580.

1363.

) AD 07, C 618.

1364.

) AD 07, 2E 38, f°17.

1365.

) AD 07, 2E 39, f°40.

1366.

) AD 07, 2E 32, f°93.

1367.

) AD 07, 47B 1, f°57.

1368.

) AD 07, 2E 52, f°15.

1369.

) AM Aubenas, CC 1, comptes n° 126, 242, 336, 451, 460 bis, 737, 800, 858, 1120, 1432.

1370.

) Belmont (A.) : Des ateliers au village : les artisans ruraux en Dauphiné sous l’Ancien Régime, op. cit., t. I, p. 39.

1371.

) Leguay (J.-P.) : « Boutiquiers et artisans et ’gens mécaniques’ en Savoie médiévale : étude économique et sociale », art. cité, p. 280.

1372.

) Fournial (E.) : Les villes et l’économie d’échange en Forez aux XIII è et XIV è siècles, op. cit., p. 203 et 416-422.

1373.

) Malaucéna (P.-L.) : La vie en Provence orientale aux XIV è et XV è siècles, un exemple : Grasse à travers les actes notariés, op. cit., p. 175-180 ; Sclafert (M.-Th.) : Cultures en Haute-Provence, déboisements et pâturages au Moyen Age, op. cit., p. 64-65.

1374.

) Montpezat 1378 [, Saint-Ambroix, 1325 [AN, H4 3079/2, pièce 11] ; Mézilhac, 1347 [AD 07, 3J 23, pièce 3, folio 5vo] ; Montpezat, 1378 [AD 07, 39J 358] ; Aubenas, 1397 [AN, H4 3101, n°18] ; Alès, 1412 [AD 30, C 168] ; Beaudiner, 1556 [AN, H4 3082/1, n°14].

1375.

) Saint-Ambroix, 1325 [AN, H4 3079/2, pièce 11] ; Montpezat, 1378 [AD 07, 39J 358] ; Aubenas, 1397 [AN, H4 3101, n°18] ; Alès, 1412 [AD 30, C 168].

1376.

) AD 07, 52J 92, p. 88.

1377.

) Ibidem, p. 101.

1378.

) AD 07, 2E 7634, f°1.

1379.

) AD 07, 2E 35, f°11v° et 46.

1380.

) AD 07, 2E 1897, f°11v°.

1381.

) Gascon (R.) : Grand commerce et vie urbaine au XVI è siècle, Lyon et ses marchands, op. cit., p. 106.

1382.

) AM Romans, CC 472.