a- L’organisation du commerce du sel en Languedoc

Il ne nous appartient pas ici de développer longuement les structures administratives et fiscales mises en place autour de la production et du commerce du sel en Languedoc ( 1409 ). Rappelons toutefois, en ce qui concerne le Vivarais, que le sel qui y est commercialisé provient des étangs du rivage languedocien, acquis par le roi en 1290 ( 1410 ). Outre le fait que cet approvisionnement soit « naturel », puisque les salines du littoral, de Maguelone aux Peccais, sont les plus proches de la région, la monarchie prend à plusieurs reprises des mesures pour contrôler le trafic du sel. En 1301, un accord avec le comte de Provence répartit l’écoulement des salines provençales et languedociennes entre les deux rives du Rhône ( 1411 ). Ensuite, en 1341, le roi impose au Velay, au Gévaudan, au Forez, au Beaujolais, au Lyonnais, au Roannais, au Mâconnais et bien entendu au Vivarais de ne consommer que du sel provenant des salines des Peccais ( 1412 ), cette obligation étant ensuite étendue, au XVè siècle, à la majeure partie de l’Auvergne ( 1413 ). En 1445, Charles VII décide que le sel du Languedoc sera le seul à être distribué jusqu’à Thiers, Billom, Bord-les-Orgues, mais cette mesure n’entrera jamais vraiment en application, les distances à parcourir renchérissant trop le sel par rapport à celui de l’Atlantique. Cette obligation d’achat se double de modalités de distribution du produit très strictes. Le sel doit obligatoirement transiter par les greniers royaux, où il est gabellé, avant de pouvoir être redistribué ( 1414 ). Il y est en outre reconditionné. En effet, le sel marin, de faible valeur intrinsèque, voyage en vrac dans les cales des bateaux jusqu’au grenier ? Une fois gabellé, il n’est plus pensable d’en perdre la moindre quantité car, augmenté du montant de la taxe, c’est devenu un produit cher qui de ce point de vue fait l’objet d’un très grand contrôle ( 1415 ).

Seul le transport entre la saline et le grenier est libre, au moins jusqu’en 1448, de même que le commerce après le grenier. A cette date, les deux souverains concernés (roi de France et roi de Sicile, comte de Provence), inspirés par Jacques Coeur qui y trouve des profits substantiels ( 1416 ), s’entendent pour interdire la libre circulation entre la saline et le grenier : ce transport est alors affermé pour une durée longue, de 10 ans environ le plus souvent ( 1417 ). Seul reste en définitive libre l’achat et la revente du sel après le grenier. En Languedoc, une vingtaine de greniers à sel royaux détiennent alors ce monopole, soit sur les lieux de production, ou à proximité, soit à l’intérieur des terres, et plus particulièrement sur les axes conduisant vers les zones de consommation, tels ceux de Sommières et Pont-Saint-Esprit qui nous concernent au premier chef ( 1418 ). En effet, ce sont les deux greniers les plus proche du Vivarais où doivent s’approvisionner prioritairement les marchands et muletiers distribuant le sel dans le Massif Central. Il est peu probable que les greniers littoraux aient eu leurs faveurs, puisque sensiblement plus éloignés. Les relevés des gabelles royales perçues à ces greniers permettent d’en connaître l’importance entre 1449 et 1481 ( 1419 ). Alors que celui de Sommières vivote et fini à partir des années 1470 par ne plus rien rapporter, ce qui laisse penser qu’il cesse même parfois de fonctionner, celui de Pont-Saint-Esprit est indéniablement le plus important, représentant à lui seul autour de 50 % des rentrées de gabelles en Languedoc, cette part tendant à augmenter à la fin du XVè siècle.

L’importance du grenier à sel de Pont-Saint-Esprit est flagrante dès le XIVè siècle, puisqu’en 1376 Francesco Datini se lance dans le tirage par le Rhône du sel des Peccais jusqu’à Beaucaire, Orange et Pont-Saint-Esprit, escomptant, en homme d’affaires avisé, retirer un profit substantiel de ces transports et de cette revente ( 1420 ). Néanmoins, les coûts de transports sont tels que l’opération se solde finalement par un échec et une perte financière nette, au moins pour le grenier de Pont-Saint-Esprit, et dans une moindre mesure celui d’Orange, l’opération étant uniquement rentable à Beaucaire, beaucoup plus proche ( 1421 ). C’est donc avant tout à partir de Pont-Saint-Esprit, et dans une moindre mesure de Sommières, qu’il faut chercher à étudier les flux sauniers parcourant le Vivarais à la fin du Moyen Age.

Notes
1409.

) Aucune synthèse globale sur le sel languedocien, de la mer à la table, n’existe encore à ce jour. En ce qui concerne les lieux de production, cf. Dupont (A.) : « L’exploitation du sel sur les étangs de Languedoc du IXè au XIIIè siècle », art. cité ; Dupont (A.) : « Un aspect du commerce du sel en Languedoc oriental au XIIIè siècle : la rivalité entre Lunel et Aigues-Mortes », art cité. Sur le système de gabelle et de contrôle des circuits de distribution mis en place par le roi, cf. Spont (A.) : « La gabelle du sel en Languedoc au XVè siècle », art. cité. De 1891, il est bien vieilli mais n’a pas encore été remplacé. Seules quelques études concernent le système du tirage du sel du Rhône, cf. Billioud (J.) : « Le sel du Rhône, la ferme du tirage de l’Empire au XVIè siècle », art. cité ; Villain-Gandossi (Ch.) : « Le tirage du sel de Peccais à la fin du XIVè siècle d’après les livres de compte de Francesco Datini, 1368-1379 », art. cité.

1410.

) Dupont (A.) : « Un aspect du commerce du sel en Languedoc oriental au XIIIè siècle : la rivalité entre Lunel et Aigues-Mortes », art. cité, p. 107-108.

1411.

) Cf. Villain-Gandossi (Ch.) : « Le tirage du sel de Peccais à la fin du XIVè siècle d’après les livres de compte de Francesco Datini, 1368-1379 », art. cité, p. 174.

1412.

) Moulinier (P.) : « Le sel du Rhône au Moyen Age », art. cité, p. 81-82.

1413.

) Cf. Spont (A.) : « La gabelle du sel en Languedoc au XVè siècle », art. cité, p. 431-433.

1414.

) Ibidem.

1415.

) Hocquet (J.-C.) : « Conditionnement du sel en Europe sous l’Ancien Régime », art. cité, p. 46-50.

1416.

) Mollat (M.) : « Les spéculations de Jacques Coeur sur le sel de Languedoc », art. cité, p. 199-204  et « Le sel dans les affaires de Jacques Coeur », art. cité, p. 158-159.

1417.

) Billioud (J.) : « Le sel du Rhône, la ferme du tirage de l’Empire au XVIè siècle », art. cité, p. 211-212.

1418.

) Cf. la liste complète des greniers dans Spont (A.) : « La gabelle du sel en Languedoc au XVè siècle », art. cité, p. 468-469.

1419.

) B.N.F., Nouv. aqu. fr, Ms. 2497, 20090 et 23915. Documents cités et exploités dans Spont (A.) : « La gabelle du sel en Languedoc au XVè siècle », art. cité, p. 468-469.

1420.

) Villain-Gandossi (Ch.) : « Le tirage du sel de Peccais à la fin du XIVè siècle d’après les livres de compte de Francesco Datini, 1368-1379 », art. cité, p. 174.

1421.

) Ibidem, p. 179.