Le trafic rhodanien en direction du nord

La « montée » par le sillon rhodanien du sel provençal destiné aux contrées du nord est déjà attestée au XIè siècle, lorsqu’est mentionnée la montatio salis ad partes superiores ( ¹⁴²³ ). Parallèlement, dès le milieu du XIIIè siècle au moins, le sel rassemblé à Lunel est transporté jusqu’à Pont-Saint-Esprit, manifestement par des voituriers rhodaniens ( ¹⁴²⁴ ). Par la suite, dès la fin du XIIIè siècle et surtout au début du XIVè siècle, le déclin de Lunel face à Aigues-Mortes comme centre de distribution du sel royal confirme le développement de la voie rhodanienne, plus directement atteinte depuis la cité de Saint-Louis que depuis Lunel, situé à l’intérieur des terres ( ¹⁴²⁵ ).

Pour saisir l’importance du transport du sel sur le Rhône, il n’est qu’à considérer les volumes acheminés par les navires affrétés par Francesco Datini entre 1376 et 1379 des salines des Peccais jusqu’à Pont-Saint-Esprit : au moins 4000 tonnes ( ¹⁴²⁶ ). Faute de documents comptables, il est difficile de quantifier avec une telle précision les flux de sel remontant le Rhône au nord de Pont-Saint-Esprit, alors qu’une quantité sans doute importante, mais probablement pas majoritaire, s’oriente alors vers l’ouest et le Massif Central. Le fragment de compte de péage de La Voulte des années 1399 et 1400 que nous avons déjà exploité au sujet du commerce des grains ne concerne que le trafic descendant, excluant donc le sel. Celui de Baix, couvrant les années 1447-1450 ( ¹⁴²⁷ ), est plus intéressant, puisqu’il concerne les deux sens de circulation. Certains marchands et transporteurs ont un rythme de passage soutenu : ainsi, Michel Plaizant, de Beaucaire, et ses associés de Pont-Saint-Esprit, qui montent du sel vers Valence, Vienne et Lyon passent avec des chargements de 40 tonnes environ, à raison d’une à deux fois par mois. Les voyages d’autres mariniers, tel Claude Monier, également de Beaucaire, présentent la même régularité et portent eux aussi sur des chargements de 40 tonnes de sel environ chacun ( ¹⁴²⁸ ). Sur la période février 1447 - février 1448, ce sont ainsi 4703 tonnes de sel qui sont passées à Baix ( ¹⁴²⁹ ).

Au XVè siècle, le sel constitue jusqu’aux ¾ des flux commerciaux ( ¹⁴³⁰ ), ce que confirme le compte de l’année 1527 du péage de Saint-Symphorien-d’Ozon, en rive gauche du Rhône, au nord du Vivarais. Dans le sens de la montée, le sel représente 68,4 % des taxes perçues, le produit suivant étant le bois avec seulement 9,3 % ( ¹⁴³¹ ). De fait, le sel imprime ainsi son propre rythme à l’ensemble de la navigation fluviale, puisque celle-ci ralentie nettement en hiver, ainsi qu’en témoignent les comptes journaliers de passage au péage de Baix entre 1447 et 1450. Certes, les conditions naturelles ne sont pas forcément toujours favorables à une navigation hivernale, mais la très brutale chute du trafic enregistrée de décembre à février porte avant tout sur le sel et s’explique très largement par la non production des salines des Peccais sur cette période ( ¹⁴³² ). A l’inverse, même si les mois de printemps sont les plus difficiles en terme de navigation, et les plus risqués puisqu’ils connaissent les plus fortes crues, le trafic du sel reprend, malgré un surcoût de transport très élevé lié aux conditions défavorables, car la production elle-même a repris ( ¹⁴³³ ).