a- Les bois

Nous avons déjà évoqué le bois vivarois, de châtaignier avant tout, qui quitte la région en direction du sud-est, essentiellement pour fabriquer de la vaisselle vinaire. Ici, il ne sera pas question de productions locales, mais bien de bois en transit par le sillon rhodanien. Outre le sel, qui anime les circulations montantes, le transit du bois descendant des massifs alpins par l’Isère anime le Rhône au sud de Valence, où se situe le confluent Isère – Rhône. Les tarifs de péage rhodaniens que nous possédons en témoignent. Tous taxent le bois avec un luxe de détail, s’attachant comme à Montélimar-Rochemaure aux différentes essences (sapin, peuplier...), ou aux différentes formes (madriers, planches, troncs...) ( 1463 ). Le compte du péage de La Voulte, conservé pour une partie des années 1399-1400 dans le sens de la descente, nous donne à connaître la nature exacte de produits passant à la « décize » ( 1464 ). Le bois constitue le chargement le plus fréquent, à égalité avec les grains ; il est présent dans le chargement de 40 % des navires passant entre septembre 1399 et août 1400. L’origine de ce dernier peut être approchée par celle des mariniers qui le transportent. Tous ou presque proviennent de localités du Royans ou du Grésivaudan, situées au pied des Alpes ou des Préalpes : Sassenage, Saint-Nazaire-en-Royans, Saint-Quentin-sur-Isère, Froges, Chambarand ( 1465 ). C’est pour cette raison que le transport du bois n’anime le Rhône qu’au sud de Valence, le nord, depuis Lyon étant presque épargné par ces transports. Le compte du péage de Saint-Symphorien-d’Ozon en est une bonne illustration. Sur l’année 1527, le bois ne représente que pour 2,6 % des revenus du péage dans le sens de la descente, part insignifiante comparée aux passages à La Voulte et, même si on ne peut comparer directement un nombre de passages avec une part de revenus, la différence est indéniable entre les deux péages.

L’approvisionnement des centres urbains méridionaux confirme l’importance de la voie rhodanienne comme « artère du bois ». Ainsi, Avignon est abondamment approvisionné, dès le XIIIè siècle, par du bois descendant le Rhône, débarqué au port d’Aurose, qui constitue le véritable bûcher de la ville où, à la fin du Moyen Age, tous les marchands de bois aisés du Bas-Rhône possèdent une maison ( 1466 ). La ville de Montpellier elle-même, pourtant plus éloignée du sillon rhodanien, s’approvisionne aussi en bois alpin flotté ou porté sur le Rhône ( 1467 ), alors que des massifs forestiers plus proches, à l’image de celui de l’Aigoual, auraient pu servir ( 1468 ). Il est probable que les coûts de transports par voie terrestre auraient été prohibitifs, et il est significatif que ces bois semi-locaux ne constituent pas une concurrence pour les bois alpins, uniquement mis en parallèle avec les bois des Pyrénées venus par l’Aude. La Provence littorale, elle aussi largement dépourvue de bois d’oeuvre et de bois de marine, a recours aux forêts dauphinoises, le bois transitant alors par le Rhône jusqu’à Arles ( 1469 ), la Provence intérieure, comme par exemple la région aixoise, plus éloignée du Rhône, préférant pour sa part les bois flottés sur la Durance, qui échappent au Vivarais ( 1470 ). La très large reconstruction de Marseille après les dégâts causés par les Aragonais en 1423 implique un approvisionnement en bois considérable qui illustre les possibilités de transit sur le Rhône. Alors que la ville s’approvisionne dans les Alpes du sud, par flottage sur la Durance, Charles VII accorde des franchises pour faire transiter sur le Rhône, depuis les forêts dauphinoises 1000 radeaux de bois en trois ans, ce qui fut fait et ne suffit pas, impliquant d’en faire passer encore une fois le terme échu : c’est dire le flux quasi continu qui devait descendre le fleuve, longeant le Vivarais ( 1471 ).

Le bois est donc bien à l’origine d’un trafic majeur sur le sillon rhodanien, dont on peut penser que la circulation est favorisée parce qu’il constitue un fret de retour pour les navires assurant l’ascencio salis depuis les Peccais et Pont-Saint-Esprit. Le compte journalier du péage de Baix des années 1447-1450 le démontre nettement, puisque la majeure partie des mariniers montant du sel repasse ensuite chargés de grain et de bois ( 1472 ).

Notes
1463.

) AN, H4 2960, cf. infra, annexe n°4.

1464.

) B.N.F., Nouv. acq. lat., Ms. 2131. Cf. infra annexe n°6.

1465.

) Le transport du bois depuis les Alpes par l’Isère et la Durance, cf. Fouilland (S.) et Furestier (D.) : « Le flottage sur la Durance et sur l’Isère hier et aujourd’hui », art. cité, où les différentes techniques attestées au Moyen Age, qu’il s’agisse du flottage par radeau ou du transport par bateau sont étudiées.

1466.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve. Recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I, vol. 2, p. 486.

1467.

) Combes (J.) : « Montpellier, des origines à la fin du XVè siècle », art. cité, p. 28.

1468.

) L’ensemble du cartulaire du prieuré de Notre-Dame du Bonheur, situé non loin du sommet du mont Aigoual atteste qu’à la fin du Moyen Age, le couvert forestier de ce massif est encore très étendu, la déforestation poussée qui le caractérisera au XIXè siècle ne semblant pas encore être à l’oeuvre [Germer-Durand (E.) : Cartulaire du prieuré de Notre-Dame-du-Bonheur, op. cit.]. Pour une première synthèse sur ce secteur, cf. Mulon (M.) : « La forêt de l’Aigoual et l’origine de ce toponyme », art. cité.

1469.

) Stouff (L.) : Arles à la fin du Moyen Age, op. cit., p. 202-203.

1470.

) Boyer (J.) : « Le commerce des bois de charpente et menuiserie à Aix-en-Provence aux XVè, XVIè et XVIIè siècles », art. cité, p. 121.

1471.

) Baratier (E.), Rambert (G.) : Histoire du commerce de Marseille, op. cit., t. II, p. 574-75.

1472.

) Denel (F.) : « La navigation sur le Rhône au XVè siècle d’après les registres de péages de Baix (Ardèche) », art. cité, p. 290-291.