Les épices et les denrées d’importation

Les tarifs de péage vivarois livrent aussi l’existence de flux commerciaux plus originaux, composés d’épices et de produits rares. Le tarif du péage de Privas de 1466 apporte même une liste des épices vendues : y figurent le poivre, le gingembre et la cannelle ( 1485 ). Le péage d’Alès de 1412 taxe pour sa part le poivre, le gingembre, la cannelle et le safran ( 1486 ). Ces épices sont aussi taxées à Saint-Ambroix en 1325, avec en plus ici la girofle ( 1487 ). On pourrait douter que ces épices passent en quantité aux différents péages où ils sont attestés. Néanmoins, l’exemple du poivre est significatif. C’est incontestablement une épice présente dans les campagnes, au moins sur les tables aisées, ainsi qu’en témoignent un certain nombre de redevances seigneuriales. Par exemple, en 1064, Ricardus de castello Tornone doit une livre de poivre annuelle de redevance aux chanoines de Saint-Barnard de Romans ( 1488 ). C’est encore une livre de poivre qu’Armand du Pouzin donne à la chartreuse de Bonnefoy en 1230 ( 1489 ). En 1252, c’est Pons del Barre, qui vend à Bertrand de Beaune, de Pradelles, divers cens dont deux livres de poivre perçues sur des tenanciers de Pradelles ( 1490 ).

Outre les épices, les tarifs de plusieurs péages portent sur des fruits méditerranéens, comme les agrumes. La provenance de ces dernières ne nous est pas précisément connue, mais elles semblent arriver de la riviera ligure ( 1491 ). Les dattes sont aussi attestées, de même que le riz, mentionné lui aussi dans quelques tarifs de péage, et qui provient probablement d’Espagne ( 1492 ). Signalons aussi le sucre en pain, provenant sans doute de Sicile ( 1493 ), le sucre andalous, malgré l’importance de la production ( 1494 ), ne remontant pas au nord des Pyrénées et ne pouvant contenir l’expansion du sucre palermitain dans l’ensemble du Languedoc dès les premières années du XVè siècle ( 1495 ). Par où transitent tous ces produits ? L’activité du port de Marseille, bien étudiée, laisserait penser que ces denrées sont importées par la cité phocéenne, ce que confirment plusieurs ordonnances de Louis XI. En novembre 1463, peu après la création des foires de Lyon, ce dernier interdit que toutes les denrées d’importation à destination du royaume soient débarquées ailleurs que dans les ports languedociens ou roussillonnais, ce qui implique qu’auparavant, ce n’était pas majoritairement le cas, sans quoi l’ordonnance aurait été sans objet ( 1496 ). Néanmoins, dès 1464, les navires à destination de France mouillent à nouveau à Marseille, ce qui pousse le roi à prendre une mesure identique en 1471, qui n’est, elle non plus, pas longtemps suivie d’effet, puisqu’en 1473, le commerce du royaume avec Marseille portant sur les produits prohibés a déjà repris ( 1497 ). Il est vrai que l’inexorable ensablement du port d’Aigues-Mortes aboutit à son rapide déclin à la fin Moyen Age, précipitant celui de Montpellier comme centre de commerce lointain. Parallèlement, Lyon s’affirme comme le centre de redistribution européen des épices et des produits et denrées d’importation, essentiellement alimenté par le port de Marseille et le sillon rhodanien, en dépit des efforts languedociens ( 1498 ). Nous l’avons déjà évoqué, le déclin du chemin de Régordane, qui double le Rhône par les montagnes vivaro-vellaves et les Cévennes, est alors scellé au profit du sillon rhodanien, unissant directement les deux villes. En outre, c’est tout au long du sillon rhodanien que des quantités, sans doute réduites, de ces denrées s’orientent vers le Massif Central, traversant ainsi le coeur du Vivarais.

Le Vivarais jouit, en ce qui concerne le sel et plusieurs autres denrées et produits, d’une véritable « rente de situation ». Entendons par là qu’un trafic totalement étranger, qui lui est destiné en proportion infime, induit pourtant des flux considérables par le simple fait que la région soit largement ouverte sur le sillon rhodanien. Du bois ne lui étant pas prioritairement destiné y transite vers le midi méditerranéen. En sens inverse, le trafic majeur est incontestablement celui du sel, le sillon rhodanien étant la seule issue facile des régions de productions en direction du nord. De même, le Vivarais constitue une zone de passage souvent obligée entre les deux tiers nord du Massif Central et les rivages méditerranéens pour l’approvisionnement en sel. A ce dernier, associons aussi, mais dans une moindre mesure, du poisson salé, que l’on rencontre vendu en quantités relativement importantes dans des ports comme Marseille. A une échelle plus limitée, on rencontre aussi des denrées rares, d’importation plus ou moins lointaine, qui évoqueraient de prime abord les milieux urbains aisés, les opulentes bourgeoisies, ou bien les cours épiscopales et princières. C’est sans doute vrai pour celles remontant le Rhône en direction des foires de Lyon dans la seconde moitié du XVè siècle, mais nous en trouvons aussi, fait plus surprenant, sur des routes reliant le midi méditerranéen au Massif Central.

Notes
1485.

) AM Privas, AA 3, 4 et 5.

1486.

) AD 30, C 163, pièce 19.

1487.

) AN, H4 3079/2, pièce 11.

1488.

) Chevalier (U.) : Cartulaire de Saint-Barnard de Romans, op. cit., n°130.

1489.

) Lemaître (J.-L.) : Cartulaire de la chartreuse de Bonnefoy, op. cit, n°201.

1490.

) BM du Puy, Ms 105, p. 133.

1491.

) Stouff (L.) : « Ravitaillement et alimentation en Provence aux XIV è et XV è siècles, op. cit., p. 108.

1492.

) Baratier (E.), Rambert (G.) : Histoire du commerce de Marseille, op. cit., t. II, p. 542 ; Romestan (G.) : « L’activité des muletiers catalans entre Perpignan et Valence dans la première moitié du XIVè siècle », p. 790.

1493.

) Sur la production de sucre ibérique, on consultera par exemple Guiral-Hadzhossif (J.) : « La diffusion et la production de la canne à sucre (XIIIè-XVIè siècle) », art. cité, et pour le sucre sicilien, Brec (H.) : « Les jardins de Palerme (1290-1460) », art. cité.

1494.

) Guiral-Hadzhossif (J.) : « La diffusion et la production de la canne à sucre (XIIIè-XVIè siècle) », art. cité.

1495.

) Larguier (G.) : Le drap et le grain en Languedoc, Narbonne et Narbonnais 1300-1789, op. cit., p. 201-204.

1496.

) Gandilhon (L.) : La politique économique de Louis XI, op. cit., p. 245.

1497.

) Ibidem, p. 251.

1498.

) Cf. à se sujet, Gascon (R.) : Grand commerce et vie urbaine au XVI è siècle, Lyon et ses marchands, op. cit., t. I, p. 82-94.