a- Une origine carolingienne mythique

Le premier texte à mentionner clairement la venue de pèlerins au Puy est un faux diplôme de Charlemagne du 19 janvier 803 ( 1504 ). Ce dernier est censé avoir créé par cet acte une institution curieuse : dix « chanoines pauvres » (decem canonicos pauperes) appelés à servir l’église cathédrale du Puy, vers laquelle afflue une grande foule du monde entier. Cet acte est indubitablement un faux grossier. Sa tradition, tout d’abord, est déplorable. En effet, il n’apparaît jamais avant 1766, lorsque les « chanoines pauvres » de la cathédrale le présentent en justice pour faire valoir des droits à égalité avec ceux du chapitre cathédral : le mobile du faux est alors évident. Aucun des chanoines de l’église du Puy du XVIIè siècle, auteurs d’érudites études sur cette dernière, ne le mentionne ( 1505 ), ni aucun chroniqueur antérieur au XVIIIè siècle ( 1506 ). Sans retenir tous les arguments plaidant contre l’authenticité du diplôme, retenons les principaux ( 1507 ). Remarquons tout d’abord qu’aucun nom n’est cité dans le diplôme, excepté Evodius et Georges, fondateurs légendaires de l’église du Puy, mais dont la tradition ne remonte pas au-delà du XIè siècle. Même l’évêque siégeant en 803 n’est pas mentionné. Autre anachronisme, l’expression Podium beate Marie, par laquelle est désignée la cité du Puy, ne semble pas apparaître avant le XIè siècle, et il est question de l’église angélique du Puy (angelicam ecclesiam), la légende de la consécration de la cathédrale du Puy par les anges étant une forgerie du XVIè siècle. Pour finir, l’église catholique est qualifiée de « romaine », ce qui n’a de sens, si l’on excepte les premiers siècles chrétiens, qu’à l’heure de la Réforme, par opposition aux protestants. Il ne fait donc aucun doute que le diplôme de Charlemagne est bien un faux récent, peut-être même produit au XVIIIè siècle par les « chanoines pauvres » souhaitant faire valoir leurs droits en justice.

Une autre tentative pour attribuer à Charlemagne, ou au moins pour placer sous son règne, l’essor du pèlerinage s’avère finalement, elle aussi, fausse après une critique élémentaire. Frère Théodore tentant, au début du XVIIè siècle, de prouver le rayonnement de sa cité comme centre de pèlerinage universel, attribue la fondation de l’évêché de Gérone à Charlemagne, ce dernier ayant alors, selon l’auteur, confié ce nouveau siège épiscopal à un chanoine du Puy ( 1508 ), alors que la fondation du diocèse de Gérone est bien antérieure aux siècles carolingiens ( 1509 ). Finalement, il ressort que rien n’accrédite l’idée que le pèlerinage de Notre-Dame du Puy existait aux siècles carolingiens, ou au moins qu’il avait un quelconque rayonnement, ce que confirme, s’il en est besoin, l’acharnement à forger des faux tendant à prouver le contraire dès le XVIIè siècle.

Notes
1504.

) Celui-ci a été publié à de très nombreuses reprises, nous ne retiendrons que le texte figurant dans Cubizolles (P.) : « Les débuts du pèlerinage à Notre-Dame du Puy », art. cité, p. 34-36, établit puis traduit par Elisabeth Magnou-Nortier. Les autres transcriptions, plus ou moins fantaisistes ou proches du document, sont présentées par cette dernière p. 37.

1505.

) Gissey (O. de) : Discours historique de la très ancienne dévotion à Notre-Dame du Puy et de plusieurs belles remarques, concernant particulièrement l’histoire des évesques du Velay et autres choses, tant ecclésiastiques que séculières, Lyon, 1620, 644 p. ; Théodore (Frère) : Histoire de l’église de Notre-Dame du Puy, Le Puy, 1693, 461 p.

1506.

) Etienne de Médicis et Jean Burel, écrivant respectivement aux XVIè et XVIIè siècle, ignorent l’existence de ce texte bien qu’ils en citent de nombreux autres montrant leurs connaissances des sources de l’histoire ponote [Chassaing (A.) : Chroniques d’Etienne de Médicis, bourgeois du Puy, Le Puy, 1869 et 1874, 2 vol. ; Burel (J.) : Mémoires de Jean Burel : journal d’un bourgeois du Puy à l’époque des guerres de religion, 1983, Saint-Vidal, 2 vol.].

1507.

) Nous reprenons ici les arguments de Pierre Cubizolles et d’Elisabeth Magnou-Nortier p. 41-45, sans rien leur ajouter ou leur retrancher.

1508.

) Théodore (Frère) : Histoire de l’église de Notre-Dame du Puy, op. cit., p. 161-162.

1509.

) D’autres faux ou d’autres traditions tout à fait réfutables sont présentés dans Cubizolles (P.) : « Les débuts du pèlerinage à Notre-Dame du Puy », art. cité, p. 46-47.