b- La géographie du pèlerinage

Au Puy, aucun livre de miracles ne nous renseigne sur l’origine des pèlerins, et nous devons chercher à la déterminer à partir de différents indices épars. L’imprécision demeure cependant toujours, et tout au plus peut-on tenter de cerner l’aire d’influence spirituelle du sanctuaire. Il ne nous paraît pas hasardeux de postuler que les régions d’origines des pèlerins sont aussi celles sur lesquelles s’étend le rayonnement spirituel du sanctuaire. Ainsi, en cartographiant ce dernier, on peut espérer, à défaut de données précises, délimiter les régions d’où proviennent les pèlerins. Plusieurs sources se combinent et permettent de cartographier les intentions pieuses à destination de Notre-Dame. du Puy.

Tout d’abord, plusieurs inventaires du trésor cathédrale prennent parfois la peine d’indiquer l’origine géographique des donateurs dont les libéralités sont encore conservées dans le trésor. Il en est ainsi en 1410, 1432 et 1444 ( 1537 ). Certes, tous les donateurs ne sont pas identifiés, et il n’est finalement possible d’en localiser géographiquement qu’une faible minorité, ce qui limite la portée du travail que l’on peut prétendre réaliser sur ces documents. En outre, ils sont le plus souvent localisés par rapport à leur région ou à un diocèse, sans qu’une localité précise soit indiquée. Néanmoins, ne disposant de rien d’autre, ils apportent des renseignements irremplaçables permettant de tracer les contours de l’aire d’attraction du pèlerinage ( 1538 ). Il apparaît nettement que les provinces septentrionales ne sont que très peu représentées, les donations ne dépassant que très ponctuellement une ligne allant de la Bourgogne au Limousin. A l’est, le Dauphiné marque le pas, de même que la Provence, cependant l’influence du pèlerinage s’étend jusque dans le nord de l’Italie et en Savoie. En direction du sud, la Catalogne et, dans une moindre mesure, l’Aragon fournissent aussi plusieurs donateurs, de même que la Gascogne au sud-ouest.

D’autres documents proches de l’inventaire du trésor de la cathédrale nous fournissent des données cohérentes avec celles que nous venons de présenter. L’hôtel-dieu met en place, dès les années 1320-1330, un système de quête, s’étendant sur de très nombreux diocèses, pour lequel nous avons conservé les autorisations de quêter concédées par les évêques des diocèses visités, de même qu’un certain nombre de comptes de quêteurs et d’affermages du droit de quêter. Comme nous l’avons déjà expliqué, cette institution charitable est incontestablement liée au pèlerinage et son essor est indissociable de ce dernier. Une carte des régions où se pratique la quête, établie pour le milieu du XIVè siècle ( 1539 ), met en évidence la même orientation, avant tout méridionale, que les dons au trésor de la cathédrale. Alors que l’hôtel-dieu perçoit des fonds jusqu’en Piedmont, en Ligurie, ou en Catalogne et même jusqu’à Valence, son influence en direction du nord est rapidement limitée : elle ne dépasse pas le cours de la Loire. Ce n’est qu’ensuite, au XVè siècle, que la situation évolue, les quêtes de l’hôtel-dieu s’étendant alors à tout l’espace français d’alors ( 1540 ). La Bretagne et la Mayenne en sont toutefois exclues, de même que la Provence et l’Italie, pourtant toutes deux couvertes un siècle auparavant. De même, l’influence en Espagne, si elle reste importante, se limite alors strictement à l’Aragon, ignorant le royaume de Castille. Peut-être faut-il voir ici le résultat de l’évolution du pèlerinage de Notre-Dame du Puy qui, durant la première moitié du XVè siècle, tend à devenir une vierge « nationale », implorée à plusieurs reprises lors des heures sombres du royaume et de la couronne de France ( 1541 ). C’est donc de ces régions que devaient arriver le plus grand nombre de pèlerins, ce que confirme la demande adressée par les consuls du Puy au roi en 1418 afin d’obtenir l’installation d’un atelier monétaire : ces derniers indiquent, à l’approche du Jubilé, que sont attendus, depuis l’est, des Piémontais et des Savoyards, depuis le sud-ouest et le sud, des Aragonais, des Catalans, des Gascons et des Bordelais, mais aussi des pèlerins venus d’Angleterre et de tous les autres royaumes ( 1542 ).

Le pèlerinage marial du Puy est très largement méridional, et même si la situation tend à se rééquilibrer en faveur du nord de la France au XVè siècle, il est probable que l’essentiel des pèlerins devait provenir des régions méridionales, conférant un rôle tout à fait important au chemin de Régordane, reliant la cité mariale au Midi méditerranéen.

Notes
1537.

) 1410 : AD 43, G 796/1 ; 1432 : AD 43, G 796/2 ; 1444 : original disparu, mais copié au XVIè siècle par Etienne de Médicis et inséré dans sa chronique [Chassaing (A.) : Chroniques d’Etienne de Médicis, bourgeois du Puy, op. cit., p. 101-131.]. Par ailleurs, les deux premiers inventaires, de 1410 et 1432, ont très largement été édités en annexe de la Chronique d’Etienne de Médicis.

1538.

) Par exemple, ils ont déjà été exploités pour une lecture politique du pèlerinage du Puy dans la lutte entre Armagnac et Bourguignons. Cf. Framond (M.) de : « Notre-Dame des Armagnacs : le trésor de la cathédrale du Puy-en-Velay », Cahiers de la Haute-Loire, 1993, p. 19-58.

1539.

) Nous ne possèdons pas de compte complet des revenus des quêtes pour le XIVè siècle, néanmoins, les registres de Maître de Peyre renferment les quittances données à différents quêteurs [AD 43, hôtel-dieu, 1B 905, 906 et 907]. Leur dispersion dans l’ensemble de ces trois volumineux registres ne permet pas une consultation facile, aussi, avons-nous avant tout travaillé à partir de Dix siècles d’activité hospitalière au Puy-en-Velay, op. cit., p. 124-128, où une présentation synthétique en livre l’essentiel.

1540.

) AD 43, hôtel-dieu, 1C 17, 1C 18.

1541.

) Sur cet aspect « politique » de la dévotion à Notre-Dame du Puy, cf. Framont (M.) de : « Notre-Dame des Armagnacs : le trésor de la cathédrale du Puy-en-Velay », Cahiers de la Haute-Loire, 1993, p. 19-58.

1542.

) Chassaing (A.) : Chroniques d’Etienne de Médicis, bourgeois du Puy, op. cit., t. I, p. 240.