a- Le chemin de Régordane

Le premier pèlerin dont la documentation nous livre le portrait est Robert le Pieux, qui entreprend en 1019-1020 un long voyage l’amenant à visiter les principaux sanctuaires du Midi de la France. Mal renseigné, son voyage n’est connu que par un bref passage dû au moine Helgaud dans la Vita Roberti Regis. L’interprétation qui a été donnée de ces quelques lignes est mauvaise en ce qui concerne le trajet suivi par Robert. André Dupont avance dans sa thèse ( 1561 ) que le roi, allant de Bourges à Saint-Gilles, est passé par Brioude, Le Puy, et Viviers avant d’arriver à destination. Selon ce dernier, Robert aurait donc très vraisemblablement emprunté la route du Puy à Viviers par le Monastier, Montpezat et Aubenas. L’erreur commise au sujet de la route est facile à comprendre. André Dupont s’est fié à l’analyse de la Vita Roberti que donne Christian Pfister en 1885. Celui-ci écrit ‘« Au commencement du Carême, le Roi se rendit à Bourges et après avoir fait ses dévotions dans l’église Saint-Etienne, il alla dans le Bourbonnais prier sur le tombeau de saint Mayeul où Hugues Capet s’était fait transporter un peu avant sa mort. De là, Robert continua sa route et arriva à Brioude et au Puy, il se rapprocha du Rhône, visita l’abbaye de Saint-Gilles et vint à Saint-Saturnin de Toulouse »’ ( 1562 ). Au paragraphe XXX de la vita, intitulé Sacrae peregrinationes Regis, dont Pfister donne l’analyse, Helgaud nous dit : Intrans fines Bituri cum suscipit eum sanctum prothomartyr Stephanus, cum Sancto Maiolo meritis praecipios, Sancta Maria, cum celebri Juliano martyre summo, iterum ipsa piisima Virginum Virgo Maria, cum Sancto Egidio confessore magno. Inclytus, vero Saturninu cum forti Vincentio, dignus Antoninus cum Fidi Martyre... ( 1563 ). Le passage concernant le rapprochement du Rhône que nous avons souligné ne figure nullement dans le texte initial, mais est de sa plume. Certes, Pfister n’a pas tort : le Roi se rapproche bien du Rhône. Néanmoins, ce n’est pas au niveau du Puy, ce qui l’amènerait effectivement à Viviers, comme André Dupont le comprend, mais à Saint-Gilles même qui se trouve sur le delta du fleuve. L’itinéraire du roi est donc tout différent : il n’est donc pas passé par Aubenas en obliquant vers l’est et n’a pas rejoint le Rhône à Viviers mais a très logiquement continué vers le sud par le chemin de Régordane.

Outre le voyage royal de 1019-1020, plusieurs autres pèlerins célèbres ont emprunté cet axe pour se rendre du Puy à Saint-Gilles ou inversement. En juillet 1254, Saint-Louis, de retour de croisade, arrive à Hyères. De là, il aurait pu remonter le sillon rhodanien pour regagner l’Ile-de-France. Néanmoins, il choisit alors de se diriger vers Saint-Gilles, où il se recueille durant la seconde moitié du mois, avant de gagner Le Puy par la Régordane, et de séjourner dans la cité mariale du 9 au 11 août, puis il part pour la région parisienne ( 1564 ). En avril-mai 1260, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, se rend à Saint-Gilles en passant par Le Puy et le chemin de Régordane ( 1565 ). D’autres voyageurs célèbres empruntent aussi le chemin de Régordane, entre autres plusieurs rois, mais la finalité de leur voyage n’étant pas religieuse, puisqu’ignorant les sanctuaires du Puy et de Saint-Gilles, nous ne les retiendrons pas ici ( 1566 ).

A un niveau moindre, il est question de pèlerins suivant le chemin de Régordane dès la fin du XIIè siècle, lorsqu’en 1173, Pierre, évêque du Puy, et Pons, vicomte de Polignac, transigeant sur la juridiction de la route de Régordane, prévoient d’assurer la protection des marchands, des pèlerins et des voyageurs ( 1567 ). Ils signifient par là même leur présence fréquente sur cet axe.

Par ailleurs, il est très probable que l’hôtel-dieu possède plusieurs hôpitaux parmi la dizaine qui jalonne le parcours de la Régordane, mais la documentation ne permet pas de connaître leur rattachement Il est seulement assuré que dès 1321, l’hôpital de Montpastour, situé à quelques kilomètres au nord de Pradelles, dépend de l’hôtel-dieu ( 1568 ).

Pour finir, remarquons que le chemin de Régordane est appelé strata romeva, non loin de Villefort en 1280, renvoyant au passage de pèlerins ( 1569 ).

Notes
1561.

) Dupont (A.) : Les cités de la Narbonnaise première depuis les invasions germaniques jusqu’à l’apparition du Consulat, op. cit., p. 489.

1562.

) Pfister (Ch.) : Etude sur le règne de Robert le Pieux, op. cit., p. 294.

1563.

) Helgaudi : Vita Roberti Regis, op. cit., p. 114.

1564.

) Vernière (A.) : Itinéraires des rois de France dans l’Auvergne et le Velay, op. cit., p. 18.

1565.

) Bonin (Th.) : Registrum visitatorum archiespiscopi rothomagensis, 1248-1269, op. cit., p. 365-367.

1566.

) A leur sujet, cf. t. II, p. 595-597.

1567.

) AN, J 294.

1568.

) AD 43, hôtel-dieu, 1B 364.

1569.

) Vidimus du XVè siècle figurant dans un registre de Me Laurent Pelet, notaire de Villefort, conservé chez un particulier, cité par Girault (M.) : La visitation..., vol. 2, p. 221, qui a pu le consulter.