a- Préambule méthodologique

Généralement, les linguistes constituent d’abord un corpus toponymique à partir des diverses sources exploitées, pour éventuellement étudier ensuite les relations de chaque nom avec son environnement, afin d’en percer la sémantique, l’étymologie et l’évolution. Dresser une liste de toponymes dont l’étymologie laisse penser qu’ils sont potentiellement liés au passage d’une route pour ensuite chercher cette dernière afin de confirmer l’hypothèse initiale est cependant très dangereux. En effet, devant la densité du réseau viaire local, il n’est pas difficile, dans presque tous les cas, de lier un toponyme à une route : néanmoins, cette dernière n’a souvent qu’une importance médiocre, quand bien même son existence n’a pas été déterminée auparavant uniquement grâce à la toponymie ( 1639 ). Pour notre part, nous avons donc préféré partir de la route elle-même, n’étudiant son environnement toponymique qu’après en avoir identifié le tracé précis. De ce point de vue, nous nous rapprochons de l’évolution actuelle de la toponymie, volontiers référentielle, s’orientant vers les disciplines voisines pour abandonner le terrain purement linguistique. Nous avons donc dressé un inventaire de toponymes assurément liés à la route ( 1640 ). Outre la documentation médiévale déjà consultée pour localiser les routes, dans la mesure du possible, nous avons exploité les estimes fiscales réalisées à l’échelle du Vivarais en 1464. Néanmoins, l’abondance des toponymes y figurant n’a pas permis de les mettre à profit intégralement ( 1641 ). C’est donc le cadastre napoléonien qui a été notre source principale, malgré les nombreux problèmes que pose ce document. En effet, ayant consulté tous les plans concernés par les routes décrites, nous avons pu relever les toponymes qui leur étaient liés. Il est bien connu que le plan cadastral est toponymiquement plus pauvre que les matrices, mais là encore, il était impossible de les consulter pour toutes les communes ardéchoises. Il est donc indispensable de préciser que nous avons travaillé sur une sélection toponymique arbitraire réalisée au début du XIXè siècle sur des critères totalement indépendant sdes impératifs scientifiques. Il ne nous a toutefois matériellement pas été possible, sauf cas ponctuels, de faire autrement. Outre cette sélection aussi massive qu’arbitraire, les cadastres soulèvent parfois trois autres problèmes.

Le premier est celui de la localisation des toponymes représentés sur les plans. En effet, les contraintes de dessin ont souvent poussé les géomètres à décaler de quelques centimètres un nom afin qu’il s’insère bien dans l’espace du plan, sans se superposer à un bâtiment, une route ou une rivière, et ceci dans un louable souci de lisibilité. Certains toponymes peuvent donc avoir glissé de quelques dizaines de mètres.

Ensuite, se pose la question de l’étendue du toponyme qui n’apparaît pas sur le plan. Qu’un nom couvre quelques parcelles voisines ou une large partie d’un finage, il figurera le plus souvent de la même manière, seulement écrit plus ou moins gros, ou répété à quelques reprises. Ainsi, il est parfois difficile de savoir à quel secteur s’applique un toponyme. Néanmoins, leur densité sur le plan ne laisse pas subsister de difficulté majeure, et en cas de doute, il est toujours possible de se reporter à la matrice qui permet d’en situer les limites avec précision.

Enfin, la corruption des toponymes transcrits est pour sa part plus gênante, dans la mesure où elle affecte tout autant la matrice que le plan. Combien de géomètres du début du XIXè siècle étaient vraiment lettrés ? Les multiples fautes d’orthographe émaillant les textes élémentaires figurant sur les matrices, comme les procès-verbaux de bornage de commune par exemple, laissent mal augurer de leur compétence en la matière. Ensuite, même sachant bien lire, se pose le problème de la transcription en phonétique française d’un toponyme occitan annoncé oralement par la population. Ainsi, le lieu-dit Boiron devient une fois transcrit phonétiquement Bouillerou ( 1642 ). A ces problèmes compréhensibles, il faut aussi ajouter le manque d’attention des dessinateurs, débouchant sur des erreurs pures et simples, transformant par exemple le Pont Perdu en Font Perdue, ou la montagne de la Pupe en montagne de la Pipe, ce qui n’a évidemment plus aucun sens.

Il est donc évident que le cadastre napoléonien ne constitue nullement une source toponymique de première qualité, mais c’est la seule qui soit exploitable systématiquement en l’état des instruments de recherche. Aussi, nous avons dû nous y livrer, mais en étant conscients de ses lacunes. Ceci nous a permis de rassembler plus de deux cents toponymes, directement ou indirectement liés à la route.

Notes
1639.

) Arnold (C.) : « Recherche sur divers toponymes routiers d’origine gauloise », art. cité, p. 221-236 et 241-282, constitue un bon exemple des errements historiques auxquels aboutit cette méthode strictement linguistique. L’auteur, après avoir étymologiquement identifié plusieurs dizaines de toponymes issus de mantolomagos, signifiant champ de foire, cherche à y localiser systématiquement un carrefour d’axes antiques. Il n’a aucune difficulté à le faire, l’érudition locale étant en effet suffisamment friande de voies romaines pour en tracer en tous sens à travers chaque arrondissement de l’hexagone.

1640.

) Cf. infra, annexe n°11.

1641.

) AD 07, C 227 à C 628 et 2Mi 15, r2. Cet ensemble représente plus de 6000 feuillets, comprenant chacun plusieurs toponymes. Il est donc évident que leur dépouillement exhaustif aurait représenté plusieurs années de travail et ne pouvait nullement prétendre s’insérer dans le temps imparti pour une thèse. Seuls ont donc été relevés les toponymes issus des registres consultés pour d’autres raisons.

1642.

) Vesseaux, cadastre de 1834.