Les carrefours et croisements sont les derniers points particuliers à avoir débouché sur la formation de toponymes spécifiques. On peut définir trois groupes toponymiques désignant les carrefours. Le premier est constitué des dérivés de cruce, le second des composés de via, le troisième et dernier, des dérivés de furca.
Le groupe des termes dérivés de cruce est celui qui pose le plus de problèmes, d’identification d’une part, et d’interprétation de l’autre. Cruce désigne en effet tout autant une croix qu’un croisement. Il est donc presque impossible de savoir face à quelle réalité on se trouve lorsqu’on rencontre ce terme dans un acte. En outre, doit-on systématiquement associer les multiples croix, dont la documentation ou la toponymie nous livre l’existence, au passage d’une route ? Oui, dans une certaine mesure : elles ne peuvent nullement être perdues au fond des champs, mais se trouvent très logiquement le long des chemins. Rien n’indique cependant l’importance de ce dernier. Aussi, associer le toponyme Croix à la route nous semble risqué, sachant qu’elles sont nombreuses à ne border que de simples chemins vicinaux que l’on hésite à qualifier de route.
Il en va autrement des toponymes dérivés de crucem comme Croizette ou Croisette ( 1687 ) qui ne peuvent nullement désigner une croix et sont initialement associés à des carrefours. Le nombre de ces occurrences s’élève à quinze pour Croisette, les formes les plus anciennes donnant Crozeto ou Crozeta.
Le second groupe désignant des carrefours rassemble les dérivés de via. Il regroupe dix-neuf occurrences, dont 83% sont des dérivés de trivium, les formes les plus fréquemment rencontrées étant Tribies, Trivies, Trivo ou Les Tribles et Tribuols. Les quelques rares occurrences ne se rattachant pas à Trivium renvoient manifestement à des carrefours où convergent un nombre de routes supérieur, telles Les Quatre Vios, ou Les Quatre Vie. On peut encore trouver, sans précision numérique Vies Forchas, comme à Berzème en 1464, indiquant uniquement le carrefour ( 1688 ).
Il a été proposé que furca et ses dérivés toponymiques, comme Les Fourches, soient considérés comme des marqueurs de carrefours. Néanmoins, il nous semble important de bien différencier ici les toponymes au singulier de ceux au pluriel. En effet, si le singulier peut désigner une fourche, un carrefour, la forme plurielle témoigne de la présence de fourches de justice seigneuriale n’ayant pas de rapport direct avec la route. Une telle restriction élimine l’essentiel des dérivés de furca rencontrés, et n’en laisse subsister que deux dans l’ensemble de l’espace vivarois, Trafourcha à Saint-Andéol-de-Fourchades en 1841 ( 1689 ), et Vies Forcha à Berzème en 1464 ( 1690 ). En Vivarais, nous sommes donc loin de la situation du Gévaudan voisin, où les Fourque et Fourche abondent, sans toutefois que la différence avec les fourches de justice ait été semble-t-il toujours bien faite ( 1691 ).
) Il faut prendre garde à la confusion possible avec les dérivés du cròs occitan désignant un creux, un trou ou toute autre forme de dépression. En effet, un terme comme La Crose désigne non pas un carrefour, mais un fossé profond ou un petit ruisseau, Crozet étant une forme diminutive et Crouzas un augmentatif.
) AD 07, C 608.
) Cadastre napoléonien.
) AD 07, C 608.
) Camproux (Ch.) : « Les noms de la voie de communication en Gévaudan », art. cité, p. 189.