Jalonner la route

Ce groupe ne rassemble qu’un nombre réduit d’occurrences, liées à des jalons bordant la route. Les plus fréquents sont les dérivés de petra, rencontrés à neuf reprises sous la forme la plus simple Petra, Peyra, ou Peyre. Néanmoins, nous ne pouvons considérer tous ces toponymes comme des jalons routiers liés à la présence d’une borne. Pays de rocaille érodée, le paysage vivarois laisse apparaître de multiples rochers remarquables par leur forme, que l’homme a pu baptiser de divers noms. C’est évident pour des toponymes comme Peyre Blanc, au Cheylard, ou Peyreplane à Jaujac, qui sont bien loin de toute route. Aussi, nous ne retiendrons qu’une seule Peyre comme jalon routier, car il ne fait aucun doute qu’elle est associée à l’axe. Elle se situe à Thines, connue dès 1255 sous la forme Peyra ( 1707 ), son contexte permettant d’en faire un jalon routier assuré. Le col de Peyre est assurément un carrefour majeur des Cévennes vivaroises où se rejoignent les routes venues de Joyeuse et des Vans avant de continuer vers Luc ou Pradelles. Le passage est d’ailleurs suffisamment important pour qu’une auberge y soit implantée en 1464 ( 1708 ). Pour les autres Peyre, nous restons dans l’expectative, et la prudence nous commande de ne pas trancher.

Plus nets sont les dérivés de Petra Plantata que l’on rencontre au total à sept reprises. Une fois sous la forme occitane Peyra Plantada en 1464 à Planzolles ( 1709 ), une fois sous la forme hybride Peyreplantade aux Salelles et à cinq reprises sous la forme française Pierre-Plantée, deux fois à Montselgues, une fois à Vagnas et une dernière à La Sauvetat. La pierre plantée de Vagnas est facilement identifiable : il s’agit du milliaire sud n°XXX de la voie d’Antonin le Pieux. On ne peut donc douter que cette pierre plantée ait été dressée pour jalonner la route qui est toujours en service au Moyen Age. La Peyra Plantada de Planzolles est plus énigmatique. En effet, si elle est bien localisée, il est difficile de savoir s’il s’agit d’un menhir ou d’une borne routière. Fichée sur le tracé de la route, on pourrait penser qu’il s’agit bien d’une borne, sa section assez réduite l’éloignant du mégalithisme protohistorique. En outre, ce serait l’un des rares exemples de menhir ardéchois. Les deux autres Pierres-Plantées se succèdent sur la route de Joyeuse à Luc par Montselgues et ne semblent nullement s’apparenter à des monuments mégalithiques.

Le dernier toponyme construit autour de petra éventuellement associé à la route est Peyrefiche rencontré à deux reprises, ou sa variante Peyrefit, n’apparaissant qu’une seule fois. Là encore, le terme désigne une pierre dressée de main d’homme, mais il est impossible d’affirmer qu’il ait un rapport direct avec une route. En effet, les exemples retrouvés ne semblent pas clairement liés à un contexte routier.

A ces Pierres-Plantées, il faut ajouter un toponyme unique, Peyra Abeilha en 1531 ( 1710 ), puis Peyrebeille de nos jours. Construit sur la base Peyra, il renvoie probablement à une borne, implantée à l’intention des troupeaux transhumants, les Abeilhars, dont on sait qu’ils passaient là pour relier le Bas-Vivarais depuis le Velay. Le toponyme précède en effet la fondation de la célèbre auberge par l’abbaye de Mazan en 1532 ( 1711 ).

Les Montjoies constituent un autre jalon toponymique fréquent des axes routiers, au moins de ceux à vocation pérégrinante ( 1712 ). Néanmoins, c’est un toponyme rarissime dans l’espace étudié, puisque nous ne l’avons rencontré que deux fois, non loin d’Yssingeaux, sur la route de Vienne au Puy, et à proximité de Chamborigaud, sur le chemin de Régordane. Cette rareté contraste nettement avec la profusion de mentions relevées au coeur du Massif Central, en Rouergue, Gévaudan et Auvergne ( 1713 ). Bien qu’étant un toponyme rare, le terme montjoie, désignant les amoncellements de pierres destinés à guider le voyageur, n’en est pas moins connu dans la région. Ainsi, un enquêteur de l’Intendance de Montpellier note en 1736 qu’il « sera nécessaire que les montjoies fussent plus fréquents à la cham du Tor » ( 1714 ) et en 1750, au même endroit, il est question « des guides en maconnerie de huit pieds de hauteur qu’on appelle suivant 1’usage du pays des monchoires » ( 1715 ).

Notes
1707.

) AD 48, E 248

1708.

) AD 07, C 605.

1709.

) AD 07, C 893.

1710.

) Merle-Comby (M.-Ch.) : « Quand les troupeaux de l’Hôtel-Dieu hivernaient en Provence », art. cité, p. 118.

1711.

) André (M.) : « La fondation de l’auberge de Peyrebeille », art. cité, p. 102-103.

1712.

) Bar (F.) : « Montjoie et Moultjoie », art. cité.

1713.

) Baby (F.) : « Toponomastique du pèlerinage en Languedoc », art. cité, p. 59-62. L’auteur se livre à une très sévère critique linguistique à l’issue de laquelle le nombre de Montjoie se trouve considérablement réduit, éliminant des formes approchantes, mais présentant d’autres étymologies.

1714.

) AD 48, C 1665, n°11.

1715.

) AD 34, C 3153.