Pour finir, l’accueil du voyageur le long de la route a laissé d’assez nombreux toponymes. Trente-trois occurrences ont été relevées dans cette catégorie.
Huit ont rapport avec la présence d’un hôpital, donnant le plus généralement un toponyme sous la forme l’Hôpital, plus rarement l’Espital (une seule occurrence), et le Mas de l’Hôpital. A ces derniers, il faut associer les maladreries, dont la toponymie a conservé le souvenir sous les formes La Maladière, La Maladerie, La Maladrerie ou La Maloutière dérivant du toponyme occitan Malouteyra que l’on rencontre à la fin du Moyen Age. Très fréquente, cette catégorie de toponymes devance très nettement celles des hôpitaux avec vingt-quatre occurrences. Comment expliquer cette différence notable entre hôpitaux et maladrerie dans le patrimoine toponymique ? Il est impossible de savoir avec certitude si les maladreries sont plus nombreuses que les hôpitaux, ce qui semble néanmoins être le cas, mais on remarquera que dans la plupart des cas, les hôpitaux sont implantés dans des villages ou des bourgs et de ce fait, ils ne donnent pas naissance à un toponyme spécifique, sauf parfois une rue de l’hôpital. Par contre, l’implantation des maladreries en rase campagne peut effectivement déboucher sur la formation de toponymes nombreux et bien individualisés.
Neuf toponymes liés à l’hospitalité dérivent de taverna, le plus souvent sous la forme francisée Taverne ou Les Tavernes, avec parfois le préfixe péjoratif Mala qui donne alors Malataverne, renvoyant probablement à la piètre qualité de l’établissement. Outre Taverne, forme francisée actuelle, on rencontre aussi la forme occitane Thavernol ou mal francisée Tavernolle.
Ensuite, la documentation nous a livré l’existence de sept Beguda, francisées en Bégude ou La Bégude. Remarquons que si pour les Tavernes nous avons des qualificatifs sur la piètre qualité de l’établissement, ce n’est pas le cas ici. Nous savons seulement que celle située face à Vals-les-Bains est dite en 1501 Beguda Alba ( 1716 ), sans doute en raison de la couleur de l’établissement, et que les deux Bégudes situées non loin du chemin de Régordane à Saint-Julien-des-Points, sont actuellement dites haute et basse, en raison de leur altitude d’implantation différente.
Hoste apparaît pour sa part cinq fois, et Ostal une fois. Le plus souvent Hoste se trouve seul, sans indication précise sur l’éventuel nom de l’établissement, ce qui donne généralement L’Hoste, Les Hostes, ou Hostesse. Néanmoins, deux noms d’établissements semblent s’être conservés dans la toponymie : L’Hoste du Fau à Lalevade-d’Ardèche, et L’Ostal de la Gauchayra, à Borée en 1464 ( 1717 ).
Mentionnons quatre toponymes l’Habitarelle, rencontrés dans les Cévennes, à Beaumont, Malbosc, Altier et Naves. Ce secteur, limité au sud-ouest de l’espace étudié est la pointe extrême en direction de l’est de la vaste zone s’étendant des Cévennes à l’Atlantique, et englobant le sud du Massif-Central, le Toulousain, les Pyrénées et l’Aquitaine, dans laquelle les Vitarelle, Bitarelle ou Habitarelle abondent ( 1718 ). Il est intéressant de noter ici que toutes les Habitarelles rencontrées en Vivarais, exception faite de celle de Beaumont, s’appliquent à un point très précis, voire spécifiquement à un bâtiment bien identifié dont on peut penser qu’il s’agit de l’ancienne auberge, ou au moins qu’il est construit sur son emplacement. Sans doute une étude archéologique de ces derniers apporterait des éléments nouveaux sur l’hôtellerie médiévale.
Pour finir, il a été proposé d’identifier les très nombreux toponymes La Baraque rencontrés dans la région avec des auberges, ou au moins des tavernes ( 1719 ). Pour séduisante qu’elle puisse paraître de prime abord, nous ne pouvons souscrire à une telle assertion. Etymologiquement, rien ne rattache l’accueil du voyageur et la Baraque, même si d’un point de vue sémantique, on peut concevoir une certaine proximité pouvant expliquer la confusion. Certes, ces Baraques sont très majoritairement localisées au bord des routes, mais remarquons que la documentation médiévale ne nous a jamais livré un tel toponyme, qui linguistiquement se rattache au français et nullement à l’occitan. De formation récente, il est significatif de le rencontrer le plus souvent le long des routes ayant fait l’objet de travaux importants au XVIIIè siècle, et on peut supposer qu’il s’agit de simples baraques cantonnières liées aux travaux. Le lien entre la baraque et la route existe donc bien, mais il est tout à fait tardif d’une part, et ne concerne pas directement l’accueil du voyageur, mais probablement celui du terrassier. Signalons aussi que La Baraque se rencontre en forêt jusqu’à l’heure actuelle dans un sens tout à fait proche de celui employé sur la route moderne ( 1720 ).
Pour conclure, retenons que la route est désignée par de nombreux termes, strata, via, iter, itinere, caminus, carreria, ou encore carralem et draya. Cette multiplicité ne doit pas faire illusion. Seuls strata, via, iter et itinere sont d’un usage courant ; de nettes différences apparaissent d’une période à une autre, tendant à un appauvrissement lexicologique certain. Alors que nous avons remarqué que le réseau routier est très structuré, force est de constater que le vocabulaire employé pour désigner les différents axes le composant est globalement peu précis, ne reflétant pas la hiérarchisation des itinéraires observée. L’usage de qualificatifs vient parfois tempérer ce flou et cette imprécision, mais le plus souvent, seul le statut juridique du chemin est pris en compte, la nature de ce dernier, les transports l’empruntant, ou encore ses caractères matériels étant ignorés. A l’exception unique du chemin de Régordane, aucun axe ne porte de nom propre sur une distance supérieure à quelques kilomètres et sans doute doit-on y voir la conséquence du caractère anastomosé du réseau routier : il est difficile d’isoler un axe qui ne se confonde jamais avec un autre sur quelques kilomètres et qui pourrait ainsi porter un nom propre de bout en bout. On peut donc proposer que la hiérarchisation des itinéraires mise en évidence n’est pas directement perçue par la population locale. Pour la comprendre, il faut en effet connaître la situation régionale dans son ensemble, ce que le paysan médiéval désignant la route qui borde son champ ignore, de même probablement que le notaire choisissant tel terme plus que tel autre.
Pour finir, la toponymie d’origine routière, très riche sur l’ensemble de la région, avec plus de trois cents toponymes recensés, apporte de nombreuses précisions sur le réseau routier. Outre les noms de lieux dérivés des noms communs désignant la route, l’apport toponymique le plus intéressant pour nous est incontestablement composé des noms renseignant sur celle-ci, qu’il s’agisse de son mauvais état ponctuel (Malpas), ou encore de tel ou tel point de traversée de rivière (Le Saut, La Planche, Le Gua), ou encore de la forte pente à affronter (Tracol, Révicole, Echelette). Cette richesse toponymique témoigne aussi du rôle prépondérant de la route dans la structuration de l’espace. Elle sert à en désigner les limites (de parcelle ou de terroir), mais elle peut même caractériser un quartier (territorio de Lestrada), comme d’autres sont désignés par leur faculté agricole (loco dicto de Camporum bonorum), leur climat (territorio de Vallis frigida) ou la nature de leur sol (Costa de Arena).
) AD 07, 3H 3, f°12.
) AD 07, C 626.
) Soutou (A.) : « L’Habit et l’Habitarelle », art. cité, p. 2.
) Clément (P.-A.) : Les chemin des Cévennes et du Bas-Languedoc..., op. cit., p. 23.
) Brenac (L.) : « Le toponyme Baraque a-t-il eu en matière forestière une signification aujourd’hui oubliée », art. cité.