A- Identifier les itinéraires antiques

Nous ne présenterons pas dans ces pages les différents critères qui ont généralement été employés pour déterminer l’ancienneté de tel ou tel axe, à la suite du célébrissime Manuel d’Archéologie d’Albert Grenier ( 1728 ), ou plus récemment et moins daté, de l’ouvrage de synthèse de Raymond Chevalier ( 1729 ), mais nous ne mentionnerons que ceux mis en oeuvre ici ( 1730 ).

Tout d’abord, bien évidemment, mentionnons la succession des bornes milliaires que l’on rencontre sur plusieurs axes, essentiellement bas-vivarois. Ces dernières constituent les jalons les plus assurés du passage d’une route. Néanmoins, plusieurs bornes, examinées anciennement, ont été considérées jusqu’à ces dernières années comme des milliaires alors qu’elles n’en sont sans doute pas. Malgré ces restrictions, le Vivarais demeure une région du sud de la France très bien pourvue en la matière, avec plus d’une vingtaine de bornes retrouvées et assurément identifiées. Parallèlement, l’environnement archéologique proche de la route a été pris en compte. Outre les mausolées, implantés en position ostentatoire au bord des routes, et les nécropoles les encadrant souvent, nous avons été attentifs à la présence de fana, puisqu’on sait maintenant que ces derniers sont fréquemment implantés sur une limite, à proximité d’un axe routier ( 1731 ).

Il a souvent été affirmé que les axes antiques étaient particulièrement rectilignes et ignoraient les centres d’origine médiévale. Il est bien évident qu’en Vivarais la notion même d’axe rectiligne n’a aucun sens et qu’aucune route, pas plus antique que médiévale ou contemporaine n’est droite. Cependant, il demeure vrai que, le plus souvent, les axes antiques avérés ne passent pas par les centres de peuplement d’origine médiévale, mais les ignorent.

Par ailleurs, antérieures à toutes les circonscriptions en place à la fin du Moyen Age, les routes antiques en constituent souvent les limites. Sans nier la pertinence de ce critère, nous pensons que son caractère systématique est à relativiser en région montagneuse. En effet, alors que les routes passent elles-mêmes sur des lignes de reliefs marquantes (lignes de rupture de pente...), il est souvent impossible de savoir si la limite paroissiale n’a pas suivi cette cassure orographique plus que la route, ce qui enlève toute valeur datante à cet argument. La topographie des lieux doit donc être observée systématiquement pour chaque cas de superposition d’une limite et d’une route.

Plus que tout, nous avons privilégié la lecture globale de l’ensemble des formes de peuplement connues dans les régions traversées par la route ( 1732 ). Dans ce cadre, la structure d’ensemble du réseau routier établi pour la fin du Moyen Age est alors à prendre en compte, l’insertion de chaque axe par rapport à ses voisins et par rapport aux lieux habités aux différentes époques concernées pouvant apporter des éléments de chronologie relative, mais aussi absolus pour la datation d’un axe ( 1733 ).

A l’inverse, nous avons écarté d’autres critères d’identification nous semblant peu assurés ou mal adaptés à la région.

Considérant que dans une région mal connue, au peuplement lâche, suivre une ligne marquante du relief est une solution commode pour ne pas s’égarer, il a souvent été admis que les routes de crêtes étaient généralement plus anciennes que les routes de plaine et de vallée. Cela ne nous semble cependant jamais avoir été clairement prouvé et relève donc avant tout d’un postulat, aujourd’hui d’ailleurs généralement abandonné par les antiquisants. Ce n’est donc pas un critère que nous retiendrons, d’autant que le relief régional impose de passer sur des crêtes, quelle que soit l’époque, ainsi que l’attestent plusieurs routes ouvertes au XVIIIè siècle.

L’onomastique a fréquemment été mise à contribution, les toponymes Lestrade étant considérés comme des marqueurs forts de l’existence d’un axe antique. Très nombreux, ils représentent la majorité des toponymes liés à la route, mais nous ne pouvons les retenir comme des marqueurs de voies antiques. En effet, ils ne comportent en eux-mêmes aucun élément chronologique. Certes, le latin s’efface comme idiome populaire dès avant le VIIè siècle ( 1734 ), ce qui pourrait laisser penser que ces toponymes ne peuvent être postérieurs. Ce serait cependant oublier trop rapidement que le gallo-roman méridional qui lui succède, puis l’occitan qui le supplante à partir du Xè siècle, connaissent tous deux estrada, signifiant aussi route et pouvant déboucher sur de tels toponymes mille ans ou plus après la fin de l’Antiquité.

Dans la détermination des routes antiques à laquelle nous nous sommes livrés, nous avons refusé de nous limiter à un seul de ces critères, quel que soit son degré de pertinence. Nous avons essayé de les associer tous, considérant que seule leur convergence était de nature à offrir une approche fiable de notre objet d’étude ( 1735 ).

Notes
1728.

) Grenier (A.) : Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine, op. cit., t. VI, p. 1-468.

1729.

) Chevalier (R.) : Les voies romaines, op. cit., p. 32-96.

1730.

) Aucun axe vivarois ne figure sur la Table de Peutinger, à la différence du Velay et du Gévaudan voisins [Desjardin (E.) : La géographie de la Gaule d’après la table de Peutinger, op. cit.].

1731.

) Fauduet (I.) : Les temples de tradition celtique en Gaule romaine, op. cit., p. 25-36.

1732.

) L’analyse du lien étroit unissant peuplement et route est actuellement l’une des pistes de recherche les plus prometteuses en matière d’histoire routière. A ce sujet, on consultera avec profit Vion (E.) : « Itinéraires et lieux habités : les deux pôles de l’analyse archéologique des réseaux routiers », art. cité

1733.

) Cf. sur ce type d’approche appliquée à un axe antique : Denimal (P.) : La voie aquitaine d’Agrippa de Lyon à Saintes, op. cit., p. 20-27.

1734.

) Massot (G.) : « Regard sur la toponymie vivaroise », art. cité, p. 481.

1735.

) Signalons que nous ne livrons dans les lignes qui suivent que les conclusions de ce travail, la longue liste des arguments plaidant en faveur de l’antiquité de tel ou tel itinéraire n’ayant pas sa place dans un ouvrage de synthèse. Nous les avons par contre exposés le plus exhaustivement possible dans le tome de monographies d’itinéraires, à la fin de la présentation de chaque route.