b- Un réseau routier d’origine altimédiévale ?

Il peut paraître singulièrement imprudent de poser la question en l’état de la documentation conservée, et devant l’absence presque totale de fouilles archéologiques portant sur cette période. Néanmoins, quelques indices issus de constats dressés à partir de la situation de la fin du Moyen Age peuvent permettre de formuler des embryons d’hypothèses à manier avec prudence.

Tout d’abord, on peut être attentif au décalage constaté entre le nom donné à une route à la fin du Moyen Age, l’origine et la destination qui servent à la désigner, et sa réalité du moment. Ainsi, la route antique d’Yssingeaux à Saint-Paulien n’est plus au XIVè siècle qu’un axe strictement local qui n’a nulle raison d’être qualifiée en 1344 « route de la Sainte à Saint-Paulien », si ce n’est d’être l’héritière d’un axe antique majeur ( 1807 ). Ce constat peut-être formulé pour deux axes éventuellement altimédiévaux du Vivarais central.

Ainsi, la route de Chalencon à Privas est attestée en 1328, n’ayant alors qu’une importance secondaire ( 1808 ). Plus encore, ces deux localités sont séparées par plusieurs accidents de reliefs définissant deux ensembles géographiques bien différents, formant deux bassins qui, sans se tourner le dos, ne sont pas en contact régulier. Par contre, remarquons qu’avant d’arriver à Privas, la route traverse Pranles, chef-lieu d’une viguerie carolingienne s’étendant sur les Basses-Boutières ( 1809 ), alors que Chalencon est aussi le chef-lieu d’une même circonscription couvrant le nord du pagus de Viviers ( 1810 ).

Il en est de même avec la route de Chalencon à Saint-Alban attestée en 1396 ( 1811 ). Si Chalencon a une certaine importance à la fin du Moyen Age, il n’en est pas de même pour Saint-Alban, modeste castrum de la basse vallée de l’Ouvèze et cette destination ne s’explique nullement par la situation des XIIIè-XVè siècles. Comme Saint-Alban est l’ancien siège d’une viguerie carolingienne bien attestée, s’étendant sur la vallée de l’Ouvèze et les Basses-Boutières, on peut penser que la route est alors l’héritière d’un tracé reliant les deux centres du pouvoir public.

Sans doute ces deux axes sont-ils antérieurs à la période carolingienne, mais il semble que leur essor, à cette époque, soit lié à la mise en place de circonscriptions territoriales subalternes et au souci de les relier entre elles. La route prend alors une individualité marquée qui se perpétue jusqu’à la fin du Moyen Age, même si elle n’a alors plus de sens.

Un autre cas de route dont l’essor est peut-être lié à la géographie administrative carolingienne peut être évoqué. Il s’agit de la route d’Annonay à Saint-Agrève passant par Pailharès. Quittant Annonay, chef-lieu de viguerie, cette route est ensuite attestée comme via publica dès 996 ( 1812 ) dans le territoire de la villa de Satillieu, puis elle passe à Pailharès, chef-lieu de viguerie voisin d’Annonay au sud. Ensuite, on remarque qu’elle constitue l’axe de structuration de la paroisse de Pailharès, cette dernière s’étendant loin vers l’ouest de part et d’autre de la route. Pour finir, elle rejoint à Saint-Agrève la route venant de Tournon par la vallée du Doux et constitue l’un des axes de développement du castrum de Saint-Agrève. Structurant le village, c’est la preuve qu’elle lui est bien antérieure ( 1813 ).

On peut aussi envisager le cas des routes traversant des régions pas ou très peu peuplées à l’Antiquité et au très haut Moyen Age, mais qui commencent à faire l’objet d’une mise en valeur aux siècles carolingiens. Ce sont par exemple les Hautes-Boutières, le coeur des Cévennes, ou encore les abords nord de la vallée du Doux et le plateau de Vernoux-Chalencon ( 1814 ). Certes, l’absence de peuplement ne signifie pas que ces régions n’étaient parcourues par aucune route, mais il est inévitable que la densification de leur mise en valeur a entraîné une multiplication des axes routiers. C’est ainsi que nous ne pouvons faire remonter avant la période carolingienne la majorité des routes vivaroises que nous avons considérées comme des routes de seconde ou troisième catégories, doublant des axes plus importants. Par exemple, les routes des Hautes-Boutières à partir du Cheylard ne semblent pouvoir prétendre à plus grande ancienneté ( 1815 ), de même que les routes encadrant la vallée de la Glueyre qui passent par Saint-Pierreville ( 1816 ). C’est aussi le cas des routes du sud et de l’ouest du plateau annonéen et des abords de la vallée du Doux, comme celle reliant Tournon à Saint-Bonnet-Le-Froid par Lalouvesc ( 1817 ) ou encore celle de la vallée de la Cance joignant Annonay et Saint-Bonnet-Le-Froid ( 1818 ). Remarquons qu’une évolution similaire du peuplement à la période carolingienne, entraînant probablement une densification du réseau routier, est constatée au coeur de l’Auvergne ( 1819 ).

Il apparaît donc que la période carolingienne, pour autant que l’on puisse en juger, a été féconde en axes nouveaux. L’essor du peuplement de nombreux secteurs restés jusqu’alors vides d’hommes, ou peu s’en faut, s’accompagne, en effet, probablement du renforcement du réseau routier de ces régions. C’est alors semble-t-il que la majorité des axes routiers connus à la fin du Moyen Age se mettent en place, ou au moins connaissent un développement induit par la densification de la présence humaine. Quelques axes particuliers peuvent même spécifiquement être perçus comme des routes reliant deux centres vicariaux.

Cependant, nous ne possédons pas le moindre renseignement sur l’état de ce réseau routier, qu’il s’agisse des routes antiques encore utilisées, ou des axes de désenclavement nouveau.

Notes
1807.

) Perrel (P.) : Yssingeaux et le pays des sucs, op. cit., t. 1, p. 31-32.

1808.

) AD 07, C 196, f° 146, cf. t. II, p. 243 et ss.

1809.

) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 109.

1810.

) Ibidem, p. 101.

1811.

) AD 07, 2E 1565, f°105, cf. t. II, p. 241 et ss.

1812.

) Cartulaire de Saint-André-le-Bas, n°157, p. 115.

1813.

) Cf. t. II, p. 52-55 et p. 112-116.

1814.

) Sur la mise en valeur de ces régions à la période carolingienne, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoir et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 118.

1815.

) Sur le tracé et une proposition de datation de ces itinéraires, cf. t. II, p. 196-206.

1816.

) Cf. t. II, p. 206-216.

1817.

) Cf. t. II, p. 92-112.

1818.

) Cf. t. II, p. 45-49.

1819.

) Fournier (G.) : Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Age, op. cit., p. 117.