Recensement des péages vivarois

Région parcourue par de nombreuses routes, le Vivarais est aussi parsemé de multiples péages. Notre premier travail a donc été un recensement le plus exhaustif possible. Pour l’essentiel, peu de péages nous ont laissé des instruments de gestion : ils nous sont avant tout connus par les actes d’inféodation, les aveux, dénombrements et hommages des seigneuries en prélevant ( 1873 ). Dans l’ensemble de l’espace étudié, ce sont 81 péages qui ont ainsi été repérés aux trois derniers siècles du Moyen Age ( 1874 ). De l’ordre de 40 à 45 % des mandements de la fin du Moyen Age perçoivent donc un péage ( 1875 ). Plus encore que le nombre total de péages, c’est la situation concrète rencontrée par le voyageur qui est évocatrice. Ainsi, par exemple, pour se rendre de Valence au Puy, il est possible d’emprunter soit la route de la vallée du Doux, soit celle du plateau de Vernoux. Dans le premier cas, le voyageur doit payer à Crussol, Châteaubourg, Tournon, Boucieu, Lamastre, Retourtour, Saint-Agrève, Montusclat, et pour finir, à Brives. Par Vernoux, il doit payer à Crussol, Boffres, Châteauneuf-de-Vernoux, Chalencon, Saint-Agrève, Montusclat et Brives. Dans les deux cas, c’est donc une moyenne d’environ un péage pour 10 à 15 kilomètres au maximum. Qu’il souhaite par exemple éviter celui de Chalencon ? S’il passe au nord, il paye alors à Grozon et Lamastre. Par le sud, ce sont les péagers de Beauchastel, ou encore de Pierregourde et éventuellement du Cheylard qui l’attendent. Le maillage des châteaux péagers est tel qu’il est impossible de trouver un quelconque axe épargné par cette charge : éviter un péage revient systématiquement à en payer un ou plusieurs autres.

Il ressort que tout château ou presque pouvant percevoir un péage le fait. Les seuls à ne pas en percevoir sont généralement trop loin de tout axe routier, comme par exemple le château d’Aizac, ou encore celui de Solignac, dont les mandements ne sont traversés par aucune route importante. On peut toutefois être surpris que certaines seigneuries, particulièrement bien situées sur le parcours d’une route majeure, ne soient le prétexte à aucun péage. Sans nier les lacunes documentaires pour certains sites, la question reste valable pour beaucoup d’autres, très bien renseignés. Ainsi, pourquoi Aubignas ou Saint-Pons, ou encore La Roche-d’Aps, dont les mandements sont traversés par la route de Viviers au Puy, ou Don, qui l’est par celle d’Aubenas au Cheylard, ou encore Montréal qui l’est par celle de Tournon au Puy ne prélèvent-ils pas de péage ? Certains de ces châteaux, comme Don ou Montréal, ou encore Vals, par exemple, sont très bien situés, au contact même de la route. Il faut alors remarquer que ces châtellenies sont le plus souvent entre les mêmes mains que d’autres, généralement voisines, où passe aussi la route. Par exemple, les seigneurs d’Aubignas, de Saint-Pons et de La Roche-d’Aps ne sont autres que les seigneurs d’Alba qui prélèvent un péage en liaison avec ce château, centre de leurs domaines du pied sud du Coiron. Il en va de même avec Don. La famille de Roche qui en est seigneur contrôle aussi le château voisin de Mézilhac, où se lève un important péage. C’est sans doute dans ce sens qu’il faut interpréter la mention, en 1351, du « peage qui se levoit es foires de Don et Mezilhac » ( 1876 ). Sans doute faut-il aussi associer Montréal à Saint-Agrève, tous deux entre les mains des comtes de Valentinois. D’autres exemples pourraient être trouvés, tel le château de Durtail, dans le couloir rhodanien, qui ne prélève pas de péage alors qu’il domine le fleuve au niveau de la paroisse de Cornas, mais il est entre les mains des seigneurs de Tournon qui concentrent déjà la perception de plusieurs péages leur appartenant en cette ville ( 1877 ). Il semble donc que l’on puisse considérer que certains châteaux ne prélèvent aucun péage parce qu’ils sont intégrés à un ensemble de possessions plus vaste, au sein duquel les droits péagers semblent être centralisés au château principal du secteur. En effet, il ne faut pas oublier que prélever un péage rapporte, certes, mais impose aussi des charges, comme l’entretien d’un personnel affecté à cette tâche. De fait, concentrer la perception des droits péagers de plusieurs châteaux sur un même pôle induit dès lors des économies substantielles et augmente d’autant la rentabilité des péages.

En certaines régions, la documentation a livré l’existence de nombreux types de péages, portant manifestement sur tel ou tel type de mode de transport, sur le passage des ponts, des ports ( 1878 ). Cependant, cette diversité semble plus être le fait du haut Moyen Age et des régions septentrionales, que des périodes postérieures à l’An Mil et du midi ( 1879 ). Le terme de pedagium, pedatgium ou pedaticum est presque le seul à apparaître en Vivarais, auquel il faut toutefois associer les droits de portus, spécifiques aux bacs de traversée de rivières et aux ports rhodaniens, et les pulvérages (pulveraticum, ou plus encore pulveragium) levés sur les troupeaux transhumants.

Les droits spécifiques à la traversée d’un pont ne semblent pas exister en Vivarais, où les quelques péages perçus au franchissement d’un ouvrage d’art se rattachent tous à un droit châtelain et ne constituent que des postes de perception, ainsi localisés car il est simple de surveiller le passage sur un pont. C’est par exemple le cas du péage d’Aubenas qui se perçoit au pont d’Aubenas ( 1880 ), de celui de Laptes au pont de la Sainte ( 1881 ), ou encore de celui de Jaujac qui se lève au pont de la Taillade ( 1882 ), mais ils ne sont pas en eux-mêmes des droits spécifiques au pont. La seule mention explicite de droit de pontonnage, dissocié d’une campagne de travaux ou de la construction d’un pont, apparaît en 1188, lorsque Falcon, évêque de Valence, confirme aux frères de la Grande Chartreuse l’acte par lequel Odon, seigneur de Tournon, leur accorde, ainsi qu’aux autres maisons de l’ordre, l’exemption de tout droit de péage, leyde ou pontonnage ( 1883 ). Nous ne savons toutefois pas exactement à quelle réalité se rattache ce droit, mais sans doute s’agit-il du pont du Doux, seul grand ouvrage de la seigneurie de Tournon.

Les droits de guidagium et le balliatgium, qui s’apparenteraient à un droit de conductus, sauvegarde dans l’étendue d’une juridiction ( 1884 ), sont aussi fort rares, puisqu’ils n’apparaissent explicitement qu’à quatre reprises, en 1205 ( 1885 ) dans la seigneurie du Mézenc, alors aux mains des comtes de Valentinois, en 1235 ( 1886 ) dans la seigneurie de Roussillon, voisine du Vivarais, et pour finir, en 1248 ( 1887 ) et 1289 ( 1888 ) dans les terres des comtes de Valentinois. Remarquons que ces droits ne peuvent nullement être confondus avec le péage, puisque ce dernier figure aussi expressément dans ces actes. Néanmoins, est-ce bien une réalité vivaroise ? On peut en douter en constatant que les quelques mentions que l’on en possède sont toutes liées au Viennois ou au Valentinois. On peut même légitimement douter que le guidagium, le conductus ou le balliatgium aient alors réellement été perçus au XIIIè siècle. En effet, contrairement aux péages, nous n’en avons conservé aucun tarif ( 1889 ) et les quelques textes les mentionnant paraissent particulièrement stéréotypés, principalement celui de 1205 par lequel les comtes de Valentinois concèdent diverses franchises à l’abbaye de Mazan dans la terre du Mézenc. Y figure le fluviorum portum, ce qui n’a strictement aucun sens pour un domaine situé à plus de mille mètres d’altitude et où les seuls cours d’eau sont des torrents de montagne. Peut-être que ces mentions de droits ne correspondant manifestement nullement à la réalité sont les vestiges désuets de taxes plus anciennes, mais aucun texte ne vient confirmer cette hypothèse. La simplification déjà constatée au profit du seul appellatif itinere au détriment des strata et des via ( 1890 ) se serait alors opérée pour les péages, seul subsistant le pedagium.

Pour en finir quant au nombre de péages, remarquons que les deux secteurs de la région où nous avons constaté que les droits comtaux sur les routes étaient encore affirmés aux XIIè-XIIIè siècles sont peu touchés par la multiplication des péages. Ainsi, dans l’espace contrôlé par l’évêque de Viviers, en Bas-Vivarais calcaire, les seuls péages connus sont les siens. Les châteaux de Saint-Montan, de Gras, de Saint-Remèze, de Vallon, de Sampzon, ou encore de Lagorce, n’en prélèvent pas malgré leur position avantageuse le long d’axes routiers. Il en est de même autour du second pôle du temporel des évêques de Viviers, à Largentière, où aucun château ne perçoit de péage. Pourtant, ceux de Chassiers, Taurier, Joannas, Brison, Montréal ou encore Laurac, Uzer et Vinezac pourraient contrôler chacun une ou plusieurs routes. Il en est de même en Velay oriental, où les mandements de Chapteuil, de Servissas, de Solignac, de Cussac et d’Eynac n’en prélèvent pas. Les seuls châteaux vellaves péagers semblent être, d’une part, ceux éloignés de l’axe Le Puy-La Souche déjà évoqué, et d’autre part ceux éloignés de la cité du Puy elle-même, comme par exemple Montusclat, Châteauneuf-du-Monastier, ou Laptes, Lardeyrol, ou encore Queyrières. On pourrait peut-être ainsi expliquer pourquoi le château de Pradelles, pourtant remarquablement bien placé sur l’axe du chemin de Régordane, ne prélève pas de péage. En effet, nous savons qu’en 1204 il est aux mains de Pierre II d’Aragon, comte de Barcelone, ce dernier l’ayant obtenu en héritage des vicomtes de Gévaudan ( 1891 ), bien possessionnés sur les confins du gévaudano-vivarois ( 1892 ). L’absence de péage châtelain s’expliquerait par la présence encore forte d’un lignage vicomtal, comme en Velay. Cependant, seule une étude spécifique de l’évolution des droits comtaux routiers en Gévaudan pourrait permettre de conforter cette hypothèse. A titre de comparaison, soulignons que le même constat a été dressé très clairement dans d’autres régions, comme en Alsace, où les droits impériaux sur les routes sont réaffirmés jusqu’à une date avancée dans le courant du XIIIè siècle interdisant la multiplication des péages ( 1893 ).

Notes
1873.

) Les dossiers constitués par la commission des péages au XVIIIè siècle, rassemblés dans la série H4 des Archives Nationales et dans la série C des Archives départementales de l’Hérault constituent, de ce point de vue, une source incontournable, regroupant sous forme de copies ou d’analyses plus ou moins longues l’essentiel de la documentation péagère médiévale.

1874.

) Cf. liste complète et pièces justificatives, annexe n°13.

1875.

) En fait, 44 % des châteaux chef-lieu de mandement en 1300 perçoivent un péage. Néanmoins, quelques mandements sont créés aux deux derniers siècles du Moyen Age (exemples des mandements de Maisonseule à Saint-Basile, ou encore de la Chèze, au Cheylard), mais on ne peut en préciser le nombre exact dans la mesure où ils n’ont jamais fait l’objet d’études. Aussi, nous préférons rester prudents quant au pourcentage de mandements péagers aux XIVè et XVè siècles, en ne fournissant qu’une fourchette large de 5 %.

1876.

) AD 07, 3J23, pièce 3, f°8v°.

1877.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve, recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. 1, vol. 2, p. 367.

1878.

) Bautier (R.-H.) : « La route française et son évolution au cours du Moyen Age », art. cité, p. 79.

1879.

) Un bon exemple de ces multiples catégories péagères au haut Moyen Age dans les régions septentrionales est fourni par le diplôme de Thierry III concédé en 680 en faveur de l’abbaye de Saint-Denis, qui énumère les taxes de pont, de port, de transport, de voiture et d’entretien [Chartae Latinae Antiquitores, t. XIII, Francia, 1, p. 78].

1880.

) AD 07, 2E 272.

1881.

) Lascombe (A.) : Répertoire des hommages des évêques du Puy, op. cit., p. 241.

1882.

) AD 07, 13H 2, f° 63v°.

1883.

) Bligny (B.) : Recueil des plus anciens actes de la Grande-Chartreuse (1086-1196), n° LXV, p. 175-176.

1884.

) Richard (J.) : « Le conduit des routes et la fixation des limites entre mouvances féodales, la frontière bourguignonne dans le comté de Bar-sur-Seine (XIè-XIIIè siècles) », art. cité. p. 86.

1885.

) Régné (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. II, P.-J. n° I, p. 473-474.

1886.

) Huillard-Bréholles (J.-L.-A.) et Lecoy de la Marche : Titres de la maison ducale de Bourbon, op. cit., t. 1, n° 184.

1887.

) AD 26 E 3574.

1888.

) AD 38, B 3545.

1889.

) Seul le tarif du péage de Rochemaure et Montélimar, dit de 1204, mentionne la perception d’un balliatgium, mais ce texte est un faux grossier sur lequel il est impossible d’asseoir un propos historique. En effet, l’insertion de ce tarif dans un diplôme impérial apparaît déjà suspect, d’autant que l’empereur règnant alors est Philippe 1er, et non Frédéric. En outre, la monnaie tournois est la seule à figurer dans le tarif, alors qu’elle ne circule pas encore dans la région à cette date.

1890.

) Cf. supra, p. 335-339.

1891.

) Fernand (B.) : Recueil des actes des comtes de Provence apparentant à la maison de Barcelone, Alphonse II et Raymond Bérenger V (1196-1245), op. cit., t. II, n°33.

1892.

) Lauranson-Rosaz (Ch.) : L’Auvergne et ses marges (Velay, Gévaudan), du VIII è au XI è siècle. La fin du monde antique ?, op. cit., p. 110.

1893.

) Zundel (A.) : « Les routes en Haute-Alsace à la fin du Moyen Age », art. cité, p. 109.