Multiples, les péages sont omniprésents sur toutes les routes. Quelques textes nous apportent des précisions sur les modalités de perception de ces derniers.
La première question que l’on se pose est celle des lieux de perception. Si le château est très proche de la route, on peut penser que le péage s’y perçoit directement. Néanmoins, quelques centaines de mètres au mieux le séparent souvent de la route, ce qui impose alors d’implanter un poste de perception au bord même de l’axe. Au début du XVIIè siècle, à l’issue du tarif du péage d’Alès, il est précisé « qu’il doit estre permis au peager detablir des bureaux non seulement aux portes de la ville, mais encore a la campagne dans les maisons qui leur paraitront les plus propres a empescher les fraudes » ( 1903 ). L’existence de ces postes de péages est difficile à appréhender. Ils n’apparaissent le plus souvent pas dans les hommages nous renseignant sur le droit de péage lui-même, et seuls divers litiges ou des actes de la pratique nous les laissent découvrir. Heureusement, ces postes de perception ont souvent fait l’objet, après le Moyen Age, d’un affermage, voire d’une inféodation séparée du péage principal, ce qui nous fournit des renseignements, certes tardifs, mais précis. En outre, quelques toponymes Le Péage signent l’existence d’un poste de perception. Ce sont au total vingt-six des quatre-vingt-un péages pour lesquels nous connaissons assurément un ou plusieurs postes de perception.
Au XVè siècle, il est précisé que le péage de Châteaubourg s’étend au sud jusqu’au rou de la Golle, actuellement le ruisseau de la Goule ( 1904 ). En effet, ce dernier marque la limite sud de la juridiction de ce château et, encore à l’heure actuelle, la limite des communes de Cornas et de Châteaubourg. On comprend mieux l’attention portée par les seigneurs à rappeler que leur droit s’étend jusque-là, lorsque l’on sait que les bateaux remontant le fleuve ne pénètrent le mandement de Châteaubourg que sur quelques centaines de mètres à ce niveau, avant de changer de rive. Négliger ces quelques mètres de rivage aurait entraîné une perte considérable pour le seigneur du lieu. Le château de Fourchades est un autre exemple très caractéristique de ce fonctionnement avec un poste de péage séparé, à l’échelle du mandement ( 1905 ). Situé loin de toute route, au coeur des vallées des Hautes-Boutières, il n’est en mesure de contrôler aucune route importante. Un axe majeur, la route de Privas au Puy, traverse cependant cette châtellenie sur quelques kilomètres au niveau du mont Gerbier de Jonc. C’est donc non loin de celui-ci, au quartier de Clapas, qu’un poste de perception du péage de Fourchades est attesté en 1512 ( 1906 ).
Même si le château péager est implanté sur une route, il peut ne pas être en mesure de contrôler toutes celles passant dans son mandement, ce qui impose alors aussi d’implanter un ou plusieurs postes de perception ( 1907 ). Le château de Privas, bien que situé non loin de la route du Rhône au Puy par Mézilhac, est dans ce cas. Plusieurs postes de perception sont installés aux limites du mandement sur des axes ne passant pas par Privas, ou permettant d’éviter le château. Un poste se trouve sur la route d’Aubenas au col de l’Escrinet, contrôlant aussi celle venant de Villeneuve-de-Berg et allant vers Mézilhac. Un autre est implanté au Malpas, barrant la route en direction de Mézilhac, et enfin, le troisième poste connu est établi à Coux, au débouché de la vallée de l’Ouvèze dans la plaine de Privas ( 1908 ). Ainsi, les trois directions majeures sont maîtrisées.
Il est difficile de savoir comment se présentait un poste de perception de péage, seuls de trop rares documents nous apportent quelques renseignements explicites à ce sujet. On peut néanmoins penser que le poste se matérialise d’abord par une construction où est installé le péager ou l’un de ses agents. Est-ce alors une vaste construction où il loge en permanence, ou bien doit-on concevoir un édifice plus modeste, destiné à l’abriter pendant la journée seulement ? On peut uniquement constater qu’au début du XIXè siècle, le toponyme Le Péage, bordant la route de Baix à Privas, s’applique à une maison unique et bien individualisée, mitoyenne de la route ( 1909 ). D’autres cas assez semblables peuvent être observés, comme au lieu-dit du Malpas, où se lève le péage de Privas sur la route de Mézilhac. Une maison, tout à fait isolée au milieu d’hectares de landes désertes, semble pouvoir être l’héritière du poste de perception. Nous savons aussi qu’en 1393, le péage de Serrières se perçoit à la maison forte de « Carlat », que nous ne sommes pas parvenu à localiser. Sans doute située non loin du port, elle est donc proche du château, mais constitue une entité distincte ( 1910 ). En 1215, à Etoile, sur les bords du Rhône, il est question d’une rente à prélever in castro Stelle vel domo de pedagio qui est prope dictum castrum ( 1911 ). Le péage de Charbonnier se prélève à une borda située le long de la route de Régordane ( 1912 ). Dans ces trois cas, une construction bien spécifique existe.
Il est intéressant de constater que le poste de perception du péage peut même se doubler d’une tour ou d’un modeste château. Ainsi, le poste de perception du péage de Privas, situé à l’Escrinet, est-il implanté à la turrim Scrineto, attestée dès 1239 ( 1913 ). Cette dernière, n’étant pas chef-lieu de mandement, est rigoureusement en limite de la châtellenie de Privas, au carrefour des routes de Villeneuve-de-Berg à Mézilhac et de Privas à Aubenas qui se croisent au col de l’Escrinet. Une telle situation, rencontrée dans d’autres régions ( 1914 ), peut sans doute aussi être constatée dans la châtellenie de Montagut, avec la tour de Crau, attestée en 1452 ( 1915 ), implantée en limite du mandement, au bord de la route de Montagut à Mézilhac. D’autres exemples pourraient sans doute être interprétés de la sorte, s’ils étaient mieux documentés, comme par exemple la tour de Ville, à Aubenas, ou encore la tour de Brison. De même, plusieurs ponts sur lesquels se perçoivent des péages sont munis de tours, peut-être destinées à percevoir le péage. C’est par exemple le cas à Aubenas, où le pont enjambant l’Ardèche est surmonté d’une tour attestée dès 1274 ( 1916 ). Elle s’effondre au XVIè siècle ( 1917 ), mais son emplacement sur l’ouvrage est encore repérable. Pour sa part, le péage de Montpezat se lève au pont d’Aulière ( 1918 ) : une tour, attestée en 1452, se trouve à l’entrée de l’ouvrage ou immédiatement à proximité ( 1919 ). Dans les deux cas, on est loin de ponts fortifiés défendant l’entrée d’une ville ( 1920 ), comme le célébrissime pont Valentré, à Cahors, et la fortification ne semble nullement se justifier par des impératifs strictement militaires. La volonté de borner symboliquement l’espace de la seigneurie compte sans doute beaucoup plus ici, la tour étant l’expression matérielle de la limite, et le péage sa conséquence financière.
Quelques rares textes nous renseignent sur les modalités de gestion des péages. Dès la seconde moitié du XIIIè siècle, des droits de péage peuvent être aliénés et concédés à la bourgeoisie urbaine, comme à Bourg-Saint-Andéol, où des habitants de la ville rachètent dès 1252 des parts de péage à l’évêque ( 1921 ). Néanmoins, les premiers affermages de péage pour une durée déterminée, trois ou quatre ans en général n’interviennent, de même que pour les autres droits seigneuriaux, qu’à compter de la seconde moitié du XIVè siècle ( 1922 ). Il n’y a pas lieu ici de disserter longuement sur cette évolution, reflet des changements constatés à une échelle plus large dans la gestion des seigneuries, mais notons que les affermages peuvent ne concerner qu’une fraction du péage, ce qui a une incidence directe sur l’histoire routière. En effet, alors que la situation initiale est celle d’un droit de péage unique par châtellenie, cette situation aboutit à une multiplication des droits à acquitter pour passer. Pour autant que l’on puisse en juger, cette fragmentation des droits de péage se constate dès le XIIIè siècle dans le sillon rhodanien, prend de l’ampleur au XVè siècle, avant de s’étendre par la suite au reste de la région. La première attestation de cette situation concerne le péage de Baix et date de 1278. Alors que le péage est mentionné à partir de 1243 ( 1923 ), il est dit « péage vieux » en 1278 ( 1924 ). Ce qualificatif ne se comprend que par opposition au « péage des gentilshommes », désignant les droits détachés du péage châtelain pour être concédés à une noblesse de moindre rang. A Serrières, la situation est la même deux siècles après. On sait qu’en 1445 se lèvent multa pedagium (sic). L’un de ces multiples droits est cité : il s’agit du pedagium magnum, sous-entendant l’existence de droits subalternes ( 1925 ). Il faut attendre le XVIè siècle pour que ceux-ci soient désignés sous le nom de péage dit des « gentilshommes » ( 1926 ). Tout comme à Baix, on peut donc penser que des droits secondaires ont alors été cédés à une noblesse subalterne afin de multiplier le rendement du péage. A Bourg-Saint-Andéol, en 1488, le péage épiscopal est nettement différencié du pedagio dicto dels nobles ( 1927 ), échappant alors à l’évêque puisque partagé entre plusieurs nobles de moindre rang, comme noble Jean Fayn qui vend alors à Michel Vincent ce qu’il possède de ce péage secondaire. A la fin du Moyen Age, l’intérieur du Vivarais ne semble pas touché par cette évolution, et il faut attendre le XVIè siècle pour voir des péages se fragmenter, selon des modalités qui semblent nettement différentes. Ce sont alors des postes de perception qui sont affermés seuls, et qui peu à peu semblent devenir des péages autonomes, sans rapport avec une quelconque autorité châtelaine. Ainsi, le poste de perception du Clapas est-il affermé en 1512 séparément des droits de la seigneurie de Fourchades de laquelle il dépend pourtant ( 1928 ), de même, dès 1509, le poste de perception de la Taillade n’est plus lié au péage châtelain de Jaujac mais a gagné son autonomie ( 1929 ). Il est significatif que de nombreux péages supprimés au XVIIIè siècle par la commission des péages du Conseil d’Etat ne sont, au Moyen Age, que des postes de perception. Il en va ainsi de ceux de Boulieu et Chaumiène, qui en 1737 sont autonomes de tout pouvoir châtelain ( 1930 ) alors qu’ils ne sont, quatre ou cinq siècles auparavant, que des postes dépendant respectivement des châteaux d’Annonay et Mayres. Cette évolution n’est pas propre au seul Vivarais : elle se rencontre aussi après le Moyen Age sur le mont Aigoual, aux confins du Nîmois, du Gévaudan et du Rouergue. Quatre postes de perception du péage châtelain de Mandagout prennent alors leur autonomie, et sont traités par la Commission des péages comme quatre péages séparés ( 1931 ). Seul l’affaiblissement de la notion de seigneurie châtelaine, et pour finir sa dissolution, a été en mesure d’autoriser cette ultime fragmentation de droits initialement publics qui finissent alors entre les mains de personnes ne possédant à aucun titre cette autorité.
Quelle que soit la fragmentation des droits de péage et leur mode de gestion par leur détenteur, directe ou par affermage, il est certain que la perception du droit au quotidien nécessite un personnel au sujet duquel nous ne savons presque rien. Tout au plus sait-on qu’en 1219, Pons de Montlaur et l’évêque du Puy ont chacun leur propre sergent pour lever le péage indivis de Charbonnier, portant sur le chemin de Régordane ( 1932 ). Par la suite, seul un acte concernant le péage de Mézilhac rapporte l’existence de ce personnel. En 1344, le juge royal de Villeneuve-de-Berg acquitte de diverses accusations noble Olivier de Marcoux, fermier du péage de Mézilhac pour le seigneur de Roche, et Jean Ribeyrol son serviteur ( 1933 ).
) AD 30, C 163, pièce 19.
) AD 07, 2E 6895, f°15v°.
) La situation à l’échelle des mandements est la même que celle observée à un niveau plus élevé. Cf. Richard (J.) : « Le conduit des routes et la fixation des limites entre mouvances féodales, la frontière bourguignonne dans le comté de Bar-sur-Seine (XIè-XIIIè siècles) », art. cité.
) Fonds privé, photocopie du document communiquée par M. Laurent Haond, de Montpezat.
) Le cas extrême en la matière est le célèbre péage de Bapeaume, portant sur les routes reliant Flandres et France, et dont les postes de perception suivent les évolutions du trafic sur tout l’espace frontalier. Cf. Auduc (J.-L.) : « Bapeaume : un carrefour routier aux XIIIè et XIVè siècles », art. cité, p. 249-253.
) Poste de Coux : AM de Privas, AA 3, 4 et 5 ; postes de l’Escrinet du Malpas : AD 38, B 3522.
) Baix, cadastre de 1842, section A2 dite de Bruyon.
) AD 34, A 6, f°361.
) AD 26, E 605, n°2.
) AN, J 304, n° 50.
) AD 38, B 3520.
) Zimmermann (M.) : « Le statut de la bourgeoisie d’après les chartes de franchises : l’exemple de Villefranche-sur-Saône (1260) », art. cité, p. 221-223.
) AD 07, C 196, f°474.
) Lascombe (A.): Répertoire général des hommages des évêques du Puy, op. cit., p. 135.
) Mazon (A.) : « Le Pont d’Aubenas », art. cité, p. 53.
) AD 07, 39J 358, n°23 et 26.
) AD 07, 51J 139.
) Sur les ponts fortifiés isolés, cf. Mesqui (J.) : « A propos de la fortification du pont, pons castri et castrum pontis », art. cité, p. 222-223. L’auteur n’y prend toutefois pas explicitement en compte le cas de ponts péagers et s’attache avant tout au contenu militaire et stratégique des ouvrages.
) B.N.F., Collection Baluze, Ms. 19, f° 102.
) Annonay : 1364, AN, P 1360/1, cote 797 ; Serrières : 1367, AD 38, B 3901 ; Montpezat : 1385, AD 07, 39J 358, n°7 ; Alba : 1393, acte extrait du minutier “Semper” de Me Chabrier, f° 82, actuellement non localisé, cité par Filhet : « Aps féodal et ses dépendances », art. cité, p. 354.
) AM Baix, AA 2, n°1
) AD 07, 1J 499 ; AN, H4 3012/2, n°1.
) AD 38, B 2898.
) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve, recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. 1, vol. 2, p. 355.
) AN, 3AP, 16H. Ancienne cote citée par Courteault : Le Bourg-Saint-Andéol..., op. cit.
) Fonds privé, photocopie communiquée par M. Laurent Haond, de Montpezat.
) AD 07, 13H 2, f° 63v°.
) AD 34, C 1799.
) AD 30, C 163, n°125.
) Baluze : Histoire généalogique de la maison d’Auvergne, op. cit., t. II, p. 86-87 ; Layettes du Trésor des Chartes, t. I, n° 1370, p. 491-492 ; AN, J 304, n° 50.
) AD 07, 3J23, pièce 3, f°5v°.