b- Modalités pratiques et expression matérielle du contrôle royal

Afin d’asseoir son contrôle sur la route, la monarchie instaure en Languedoc des « commissaires royaux sur le fait des chemins », mais ces derniers ne semblent pas instrumenter régulièrement en Vivarais. Il est vrai qu’aucun de ces postes n’est permanent et ne correspond à une circonscription précise, mais qu’ils sont missionnés en fonction des problèmes spécifiques qui se rencontrent ( 1987 ). Tout au plus, en 1359, Raymond Guilhem est-il chargé par le sénéchal de Beaucaire de faire réparer les mauvais pas, ponts et chemins de la sénéchaussée ( 1988 ). Ensuite, en 1392, nous savons qu’un messager apporte à Baix une commission de la cour de Villeneuve-de-Berg sur le fait des chemins, sans que nous en connaissions plus la teneur ( 1989 ). En 1441, le sénéchal laisse la possibilité à son bailli de charger « des gens experts et connaissants en telles choses » d’inspecter les chemins du diocèse de Mende, mais il ne s’agit pas dans ce cas de commissaires spécifiquement désignés à cette fin, la responsabilité de l’inspection incombant en définitive au bailli, qui peut seulement se faire seconder ( 1990 ). En 1449, à Sétias, sur la paroisse de Meyras, une information est ouverte contre un paysan accusé d’avoir indûment labouré la route royale d’Aubenas au Puy. C’est alors le juge royal de Vivarais, siégeant à Villeneuve-de-Berg, qui se charge de poursuivre le contrevenant sans qu’intervienne un quelconque commissaire spécialisé en matière routière ( 1991 ). Ce n’est qu’en 1466 qu’est attesté en Vivarais le premier commissaire royal sur le fait des chemins. Il donne alors l’autorisation aux célestins du couvent de Colombier-le-Cardinal de déplacer la route de Boulieu à Champagne qui les gêne dans la jouissance d’un étang ( 1992 ). Deux années après, en 1468, le même problème se pose à nouveau pour un autre étang et ce n’est plus un commissaire spécialisé qui statue, mais le lieutenant du bailli de Vivarais ( 1993 ). Il apparaît donc que les officiers royaux spécialisés « sur le fait des routes » n’instrumentent presque jamais en Vivarais, cette tâche étant dévolue le plus souvent au bailli de Vivarais ou à ses subordonnés, ou encore au sénéchal et à ses hommes pour les causes plus importantes, touchant une région plus large que le seul Vivarais. Si une certaine structuration de l’action des services royaux en matière routière intervient en Bas-Languedoc ou en Gévaudan, rien ne permet de la percevoir clairement en Vivarais aux deux derniers siècles du Moyen Age ( 1994 ).

Pourquoi la monarchie est-elle appelée à intervenir en matière routière et comment le fait-elle ? On peut différencier trois cas : le premier rassemble les actions visant à faire respecter les droits du roi sur les routes, le second les actions attachées à la suppression des péages indus, et enfin, le troisième, celles destinées à remédier aux carences d’entretien du réseau routier.

Nous l’avons déjà expliqué, la notion de route royale apparue au milieu du XIVè siècle renvoie au sauf-conduit royal dont bénéficient normalement les voyageurs suivant de tels axes. Les exemples d’une réelle action en la matière sont cependant rares. La prudence s’impose en outre devant les lacunes des sources judiciaires royales en Vivarais et pour la sénéchaussée de Beaucaire dans son ensemble ( 1995 ). Nous ne possédons aucune trace d’intervention royale à l’encontre d’une personne ayant commis des méfaits envers un voyageur sur une route royale. Seul un acte rappelle opportunément le conduit royal en 1405, mais il s’agit là de s’opposer à plusieurs péagers, peut-être avec l’arrière-pensée de contester leurs droits ( 1996 ). Si on peut douter de l’exercice réel du conduit royal, l’exemple déjà évoqué des célestins de Colombier-le-Cardinal demandant à deux reprises au roi, en 1466 et 1468, l’autorisation de déplacer un chemin royal de quelques centaines de mètres laisse penser que l’administration veille au respect des droits royaux formels.

Il est intéressant de constater que le sénéchal est plus actif pour lutter contre la prolifération de nouveaux péages, intervenant, il est vrai, un à deux siècles après leur période de création massive. L’interdiction de nouveaux péages peut s’exercer à deux niveaux. Elle peut concerner un droit spécifique, comme lorsqu’en 1322, le sénéchal interdit au seigneur du château de Labeaume de lever un nouveau droit dans son mandement ( 1997 ). Elle peut aussi avoir une portée générale, ainsi en 1369, lorsque tous les nouveaux péages sont visés, sans précision d’ancienneté, de lieu et de péager ( 1998 ).

Les services de la monarchie s’intéressent finalement avant tout à l’entretien des routes. Ils ne font jamais faire de travaux à leurs frais, mais au travers de lettres patentes ou de commissions, les imposent aux seigneurs péagers défaillants, qu’il s’agisse là aussi de cas spécifiques, ou d’injonctions données à l’échelle de la sénéchaussée. Ainsi, en 1372, au titre des péages qu’il perçoit, Imbert de Burzet, seigneur de l’arrière-pays albenassien, se voit contraint de réparer la route d’Aubenas au Puy par Montpezat, son mauvais état constituant un danger pour les voyageurs ( 1999 ). Il en est de même en 1441 à l’échelle de l’ensemble du Gévaudan voisin, le sénéchal imposant de faire faire les travaux nécessaires au réseau routier très dégradé ( 2000 ). C’est encore ce que Louis XII demande par une lettre patente de 1501 concernant tout le Languedoc, où des travaux routiers doivent être entrepris « aux depens des peagers » ( 2001 ).

Dans tous les cas, aux deux derniers siècles du Moyen Age, le pouvoir royal n’exerce qu’un contrôle très limité sur les routes, ne parvenant jamais à battre durablement en brèche les détenteurs de droits féodaux. Tout au plus, l’administration royale rappelle-t-elle à quelques reprises les droits du souverain sur les routes, alors que les plus importantes sont dites « royales » à partir du milieu du XIVè siècle. Cela ne semble pourtant pas avoir de conséquence pour le voyageur, puisque nous n’avons aucun témoignage de l’exercice effectif et régulier d’un quelconque conductus. Le second axe d’action de la monarchie, interdire la prolifération de nouveaux péages, semble lui aussi d’une portée singulièrement limitée : le roi interdit de créer de nouveaux péages, mais ce mouvement touche à sa fin, puisqu’il essentiellement est à placer au XIIIè siècle. Pour finir, nous avons vu que le roi s’efforce de rappeler les féodaux péagers à leurs obligations d’entretien du réseau routier. Quelles sont les conséquences réelles de ces mises en demeure ? Outre le fait qu’elles soient rares, elles sont sans doute peu efficaces dans la mesure où elles concernent généralement de grands ensembles, un diocèse, voire la sénéchaussée, ou même le Languedoc. Les interventions ponctuelles, ayant sans doute plus d’effet puisque ciblées, ne sont pas le lot commun. Remarquons qu’en aucun cas le roi ne prend lui même en charge la réparation des routes, mais qu’il s’agit toujours d’en répercuter les frais sur les péagers : l’implication du pouvoir royal est donc très limitée.

Notes
1987.

) Mesqui (J.) : Les ponts avant le temps des ingénieurs, op. cit., p. 37.

1988.

) AD 34, A 5, f°78.

1989.

) AM BAIX, CC1, f°23.

1990.

) AD 34, A 11, f°242.

1991.

) AD 07, 2E 1566, f°72v°.

1992.

) AD 07, 11H, non coté, (ancienne cote : sac 2, pièce O1).

1993.

) AD 07, 11 H, non coté, (ancienne cote : sac 8, pièce Q1).

1994.

) Dognon (P.) : Les institutions politiques et administratives du pays de Languedoc du XIII è siècle aux guerres de religion, op. cit., p. 339 bis-340 et 373 bis.

1995.

) Seuls quelques registres de cours sont conservés pour la justice royale de Villeneuve-de-Berg, et encore s’agit-il de la justice seigneuriale du lieu appartenant pour moitié au roi, et non de la juridiction bailliagière [AD 07, 16B 1 à 5], alors qu’il ne subsiste que quelques lambeaux des archives du présidial de Nîmes [AD 30, B, non classé].

1996.

) AN, P 1398/2, cote 672 ; Huillard-Bréholles (J.-L.-A.) et Lecoy de La Marche : Titres de la maison ducale de Bourbon, op. cit., n°4601.

1997.

) AD 34, A 5, f°89.

1998.

) AD 34, A 6, f°49.

1999.

) AD 34, A 6, f°101.

2000.

) AD 34, A 11, f°242.

2001.

) AD 31, B 1900, f°192.