C- Le rôle des autorités municipales et des états naissants

Parallèlement à l’autorité royale et seigneuriale, sans doute même en raison de leurs défaillances, les communautés urbaines, puis les Etats, naissant à la fin du Moyen Age, assument des responsabilités dans l’entretien des routes, s’attachant principalement à l’entretien et à la réfection des ouvrages d’art. Ainsi, dès le milieu du XIIIè siècle, les autorités municipales de Tournon prennent en charge la reconstruction du pont sur le Doux qu’une crue vient d’emporter, nommant en 1252 des pontonniers chargés du nouvel ouvrage ( 2002 ). De même le pouvoir municipal joyeusain s’occupe de la construction du pont sur le Beaume en 1342 ( 2003 ), tandis qu’en 1436, les consuls d’Alès lèvent un subside spécial pour reconstruire le Pont Neuf sur le Gardon ( 2004 ). Des localités de moindre importance, dépourvues de structures municipales fixes, prennent aussi leur part à l’entretien du réseau routier. C’est le cas de la population de Vogüé, qui en 1456, se lance dans la construction ex nihilo d’un pont sur l’Ardèche ( 2005 ). Toutefois, jamais les autorités municipales ne semblent financer des travaux sur les routes en rase campagne, loin de tout ouvrage d’art. C’est une différence significative opposant les communautés peu structurées et peu puissantes du Vivarais aux forts pouvoirs urbains d’autres régions, tels que ceux du Nord ( 2006 ). En Provence, les archives des communautés d’habitants, ô combien nombreuses, indiquent que plusieurs villes et bourgades effectuent des travaux en rase campagne ( 2007 ). Il en est de même en Gascogne, où les principales communautés prennent en charge l’entretien du réseau routier, ce qui tranche nettement avec la situation vivaroise ( 2008 ).

Il est toutefois difficile d’expliquer cette différence d’attitude entre les communautés de régions finalement relativement proches, comme la Provence. Certes, la prudence s’impose lorsque l’on formule ce type de remarque dans la mesure où les sources documentaires municipales sont rares en Vivarais, et qu’elles abondent en Provence, ce qui peut être à l’origine des différences constatées qui ne seraient alors que le fruit des aléas documentaires. Néanmoins, le total silence des quelques fonds vivarois conservés incite à penser que ce n’est pas la seule raison, sans que nous puissions pour autant en trouver une autre.

Le plus souvent, les communautés d’habitants se font concéder par le roi un droit de barre temporaire portant sur le trafic passant en un point donné, destiné à financer tel ou tel ouvrage, à l’image de ce qui se fait pour les ouvrages d’art de taille supérieure ( 2009 ). Ces droits ne sont nullement à confondre avec des péages, puisqu’ils sont strictement casuels et théoriquement limités dans le temps. Ainsi, en 1371, un droit de barre est concédé pour la réfection du pont de la Sainte ( 2010 ), sur la route de Vienne au Puy par le Pilat. De même, en 1351, les consuls de Tournon s’en font concéder un afin de financer la reconstruction du pont du Doux ( 2011 ). En 1436, ce sont encore les habitants d’Alès qui obtiennent le même droit pour restaurer le Pont Neuf enjambant le Gardon ( 2012 ). Néanmoins, une fois concédés, ces droits devaient être difficiles à supprimer. Les travaux de pontonnage ne sont pas de ceux qui se terminent en quelques années, et la tentation devait être grande de les faire perdurer plus que de raison. C’est ainsi que les barrages perçus au Pouzin, à La Voulte, à Annonay ou à Beauchastel au milieu du XIVè siècle doivent être levés par une décision royale qui met fin à leur maintien illégal ( 2013 ). C’est donc une entrave supplémentaire à la circulation qui s’ajoute aux multiples péages recensés.

Les Etats du Vivarais, de même que les Etats du Languedoc, s’intéressent au réseau routier. Il est vrai que la bourgeoisie marchande, qui tient une place prépondérante dans ces assemblées, est la première concernée par l’entretien des routes.

Pour leur part, dès 1405, les Etats de Languedoc se plaignent du mauvais entretien du réseau routier et demandent au roi que de fortes « contraintes » soient imposées aux péagers manquant à leurs devoirs, doléance formulée à nouveau en 1483 ( 2014 ), puis en 1498 ( 2015 ) et en 1502 ( 2016 ). Ils n’entendent pas pour autant déroger au principe voulant que l’entretien de la route relève de la responsabilité des seigneurs péagers, et les quelques rares subsides routiers qu’ils distribuent ne concernent pas le Vivarais ( 2017 ). En outre, pour cette question, ils s’en remettent le plus souvent aux assemblées d’assiettes diocésaines, donc en ce qui nous concerne, aux Etats du Vivarais.

Les Etats du Vivarais ont une approche plus directe de la question, puisqu’en 1500, ils subventionnent eux-mêmes à hauteur de 40 livres, somme il est vrai dérisoire eu égard au coût global des travaux, la construction d’un pont sur l’Ardèche, à son embouchure avec le Rhône ( 2018 ). A la fin du Moyen Age, la voirie ne fait cependant pas directement partie des attributions de cette assemblée, et elle ne s’en empare que progressivement, timidement, n’ayant pas de politique suivie en la matière avant les XVIè et XVIIè siècles ( 2019 ).

L’action municipale, de même que celle des Etats, reste limitée, désordonnée et finalement peu efficace, sauf peut-être en ce qui concerne la construction des ponts, largement prise en charge par les municipalités. A leur décharge, il est vrai que les municipalités et les Etats n’ont théoriquement aucune compétence en la matière et, surtout, ne peuvent compter que sur des rentrées fiscales ponctuelles et limitées.

La route médiévale est incontestablement un enjeu de pouvoir. Attribut du pouvoir régalien au haut Moyen Age, la notion même de route publique est rapidement balayée au XIè siècle, pour laisser la place à une route contrôlée par les seigneurs châtelains. Elle devient alors un bien susceptible, dans certains cas, de devenir un fief à part entière. La profonde et rapide désagrégation des structures publiques en Vivarais ne laisse subsister aucun contrôle public sur la route et le nombre de péages se multiplie alors de manière frénétique dès que la route devient une source de revenus potentielle, dans la seconde moitié du XIIè siècle et plus encore au XIIIè siècle. Le Velay voisin offre là un contre-exemple intéressant, puisqu’un pouvoir comtal subsiste, qui interdit partiellement la privatisation des droits routiers et la multiplication des péages.

A la fin du Moyen Age, alors que la monarchie s’implante en Vivarais, cette dernière tente timidement de faire valoir ses droits sur les principales routes, ce qui semble relativement bien réussir. L’essor des « routes royales » en témoigne, mais aussi les quelques cas où une personne demande à l’administration royale l’autorisation de déplacer un chemin, ou encore, le seul exemple que nous connaissons d’action intentée contre un contrevenant ayant dégradé une route royale. La monarchie ne prend cependant jamais l’entretien de la route en charge et le laisse prudemment aux bons soins et aux dépenses des seigneurs péagers, même si la volonté de lutter contre la prolifération des péages est quelques rares fois affichée.

Si les seigneurs péagers peuvent éventuellement engager des dépenses pour réparer les routes, c’est finalement aux communautés d’habitants que cette charge revient pour l’essentiel. Elles finançent généralement pour une large part la construction des ponts, ce qui est indiscutablement le plus coûteux. Elles ne s’engagent nullement dans l’entretien des routes elles-mêmes, sans doute laissées le plus souvent dans un état de relatif abandon.

Notes
2002.

) AD 07, 52J 114, f°225.

2003.

) AD 07, 2E (MJ) 1, f°14.

2004.

) AD 34, A 11, f°72.

2005.

) de Vogüé (E.-M.) : Une famille vivaroise, histoires d’autrefois racontées à ses enfants, op. cit., pièce justificative n°51.

2006.

) Derville (A.) : « La première révolution des transports continentaux (c. 1000 – c. 1300) », art. cité, p. 188.

2007.

) Grassi (M.-C.) : Les voies de communication en Provence orientale de l’époque romaine à la fin du XVIII è siècle, op. cit., p. 159-160.

2008.

) Taher (M.) : Recherches sur la circulation terrestre en Aquitaine occidentale au Moyen Age, aspects politiques et religieux, op. cit., p. 100-101.

2009.

) Mesqui (J.) : Le pont en France avant le temps des ingénieurs, op. cit., p. 26-28.

2010.

) AD 34, A 6, f°95v°.

2011.

) AD 07, 52J 56, f°398.

2012.

) AD 34, A 11, f°72.

2013.

) AD 34, A 6, f°50v°.

2014.

) AD 07, C 697, doléance n°13.

2015.

) AD 43, 501C 6988.

2016.

) AD 31, C 2276, f°48v°.

2017.

) Gilles (H.) : Les Etats de Languedoc au XV è siècle, op. cit., p. 225.

2018.

) Rouchier (J.), Régné (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. 2, p. 451.

2019.

) Le Sourd (A ) : Essai sur les Etats de Vivarais, op. cit., p. 204-207.