Alors que le semis initial d’églises paroissiales s’étoffe, par création d’oratoires domaniaux privés ou par initiative épiscopale ( 2033 ), ces nouvelles fondations du haut Moyen Age constituent le contretype parfait des églises paroissiales primitives. Pour autant que l’on puisse les identifier, et la Carta vetus nous aide beaucoup ici, elles sont toutes ou presque situées loin du réseau routier. Ainsi, l’église Saint-Martin-de-Beyssac, dotée dans la première moitié du VIè siècle par Venance, évêque de Viviers, est-elle loin de toute route. Il en est de même pour celles apparaissant alors sur le rebord du Coiron, comme l’église Saint-Laurent, ou encore Saint-Etienne, à Mirabel, qui sont toutes deux attestées au VIIè siècle. Des exemples d’édifices nullement établis au bord d’une route, mais que l’on peut penser centrés au coeur des domaines auxquels ils sont rattachés, pourraient être multipliés. La même situation, étudiée de près, se rencontre en Limousin, où les paroisses issues d’églises domaniales sont à l’écart du réseau routier ( 2034 ).
Le rôle de l’axe de circulation est alors différent. S’il ne joue pas un rôle dans le choix de l’implantation de l’église elle-même, il intervient fréquemment dans la délimitation des ressorts paroissiaux qui, dans la région, se fixent à la fin des siècles carolingiens ( 2035 ). Les limites de ces paroisses, nées d’oratoires ruraux implantés à l’écart des routes, suivent les principaux axes. C’est très net sur le piedmont annonéen, où le relief n’offre pas de limite naturelle forte. Ainsi, la route de Tournon à Annonay sépare les paroisses de Lemps et d’Etables puis de Saint-Jean-de-Muzols et Lemps ( 2036 ). C’est encore le cas de la route d’Annonay à Champagne qui constitue la limite des paroisses de Saint-Cyr et de Peaugres, puis de Bogy et de Saint-Cyr, de Bogy et de Saint-Désirat et enfin de Bogy et Champagne sur plus de sept kilomètres ( 2037 ). On observe la même situation à de nombreuses autres reprises, comme dans le bassin de Privas, où la route du Pouzin au Puy sépare les paroisses de Saint-Priest et de Saint-Pierre de Veyras puis de Saint-Priest et de Saint-Julien de Pourchères. Plus loin, peu avant le col de l’Escrinet, elle sert encore de limite aux paroisses de Saint-Priest et de Saint-Martin de Gourdon ( 2038 ). Il en est peut-être de même dans d’autres secteurs au relief plus accidenté, mais les contraintes topographiques influent ici trop fortement pour pouvoir dégager ce qui est construction humaine et prégnance géographique. Ainsi, nombre de routes passent sur des lignes de relief, tout comme les limites paroissiales, mais il est alors impossible de savoir si c’est la route qui a servi de limite, ou la crête, qui a elle-même attiré la route.
Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples pour montrer que la route joue un rôle très réduit, pour ne pas dire aucun rôle, dans l’implantation des églises dans les régions fortement occupées dès les premiers siècles chrétiens. Les centres urbains secondaires attirent manifestement les premières églises, qui par conséquent se trouvent près des routes, bien que ces dernières ne soient pas le facteur attractif premier, alors que les oratoires privés se multiplient au coeur des domaines, donc le plus souvent à l’écart des routes.
A l’inverse, l’église ou la paroisse du haut Moyen Age a pu attirer la route et induire des déplacements d’itinéraires qu’il n’est toutefois pas facile de saisir étant donné l’ancienneté de la période la période à laquelle sont intervenus de tels changements. Ceux-ci peuvent toutefois être mis en évidence au nord du sillon rhodanien. Les églises Saint-Pierre de Cornas et Saint-Pierre de Saint-Péray ( 2039 ) sont en retrait par rapport à l’axe antique, mais à un moment indéterminé antérieur au milieu du Moyen Age, elles captent les circulations, détournant la route vers l’ouest sur plusieurs kilomètres, l’axe alors nouvellement créé servant encore de nos jours ( 2040 ). On mentionnera encore par exemple, toujours dans le sillon rhodanien, le déplacement de la route présumée antique au niveau de Vion et de Saint-Jean-de-Muzols, cette dernière cheminant en ligne droite au bord du Rhône, alors que la route attestée au Xè siècle passe par les centres paroissiaux Saint-Martin et Saint-Jean ( 2041 ).
) Aubrun (M.) : La paroisse en France des origines au XV è siècle, op. cit., p. 36-38.
) Aubrun (M.) : L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XI è siècle, op. cit., p. 234-235.
) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 68.
) Cf. t. II, p. 42.
) Cf. t. II, p. 34.
) Cf. t. II, p. 227.
) Les vocables Saint-Pierre, associés respectivement à un toponyme en –acum (Aticum) et un en –ate (Cornate) permettent de penser que les paroisses de Saint-Péray et de Cornas sont sans doute du très haut Moyen Age.
) Cf. t. II, p. 640-641.
) Cf. t. II, p. 627-629.