Les dépendances des autres abbayes présentes dans la région

D’autres abbayes possèdent quelques prieurés et églises en Vivarais, comme Cluny, ou encore Saint-Oyend, Pébrac et Conques, mais dans tous les cas, il s’agit d’une présence trop diffuse, moins de dix établissements tous types confondus, pour en tirer des conclusions valables. Dans le cas de Cluny, qui possède trois prieurés conventuels importants dans la région, Rompon, Ruoms et, marginalement, Saint-Saturnin-du-Port, seul ce dernier est implanté sur une route majeure. Le prieuré de Ruoms se trouve sur la voie d’Antonin, mais elle est déjà probablement d’importance secondaire lorsqu’il est fondé au Xè siècle. Pour sa part, Rompon est dans une situation particulièrement isolée au centre d’un causse calcaire dominant le sillon rhodanien.

A l’issue d’un tour d’horizon global des dépendances des abbayes les mieux renseignées ou les mieux étudiées, on ne peut remarquer aucun lien particulier unissant le développement de telle ou telle congrégation et le réseau routier. Les églises dépendant des établissements pris en compte ne se répartissent nullement en fonction des axes routiers comme cela a pu être suggéré, mais bien au gré des donations et des restitutions, ou des intégrations d’autres établissements, qui constituent le mode d’accroissement principal des domaines ecclésiaux des abbayes de la région. Une influence probable du réseau routier se lit toutefois dans l’implantation des principaux prieurés conventuels, ceci étant valable aussi bien pour l’abbaye de Saint-Chaffre, pour la Chaise-Dieu et, dans une moindre mesure, pour Saint-Gilles. En cela, le Vivarais est proche du Forez voisin ( 2061 ). Il est pourtant difficile de comprendre le lien qui unit les routes et ces prieurés, exceptée une éventuelle pratique de l’accueil du voyageur ( 2062 ). Même les routes conduisant au Puy ne semblent faire l’objet d’aucune sollicitude de la part de Saint-Chaffre, l’implantation de l’abbaye de Saint-Gilles le long de la route de Régordane ayant, à l’évidence, une autre explication.

La volonté d’asseoir solidement une zone d’influence en terme de jeu de pouvoir pourrait expliquer que certains établissements s’attachent à étendre leur influence le long de tel ou tel axe, comme c’est par exemple le cas pour Cluny dans la traversée du Jura ( 2063 ). Le problème se pose ici avant tout pour l’abbaye de Saint-Chaffre, le Vivarais apparaissant comme sa terre d’expansion privilégiée, puisque 69 des églises et prieurés de sa dépendance, soit plus de la moitié, y sont implantés ( 2064 ). S’il est certain que cette abbaye, émanation de Lérins, se tourne dès ses origines vers le Midi ( 2065 ), il ne semble pas que cette expansion privilégiée suive un axe routier particulier, elle s’étend en fait comme une coulée dans tout l’espace vivarois selon des modalités déjà évoquées.

On peut éventuellement proposer une autre explication liée à leur fonction, permettant de justifier l’adéquation entre l’implantation des principaux prieurés et le réseau routier. Ces établissements conventuels apparaissent comme de véritables relais entre la multitude de prieurés simples, d’églises, d’oratoires et de chapelles, ou même de dîmeries et de domaines fonciers, et l’établissement principal, qu’il s’agisse de Saint-Chaffre, de la Chaise-Dieu ou de Saint-Gilles. L’exemple est caractéristique avec le prieuré d’Ucel, dépendant de l’abbaye de Saint-Chaffre, auquel sont rattachées les autres possessions chaffriennes de la confluence de l’Ardèche et de la Volane, qu’il s’agisse de l’église de Saint-Julien-du-Serre, de celle d’Arlix, de la chapelle de Vals, ou encore de l’église de Saint-Privat. Un autre exemple peut être retenu avec le prieuré de Mariac, dont dépend l’église de Brion, celle d’Accons, ou encore celle de Saint-Genest-Lachamp et plusieurs autres situées à la confluence des vallées de l’Eyrieux et de la Dorne. Une situation similaire se laisse appréhender pour les dépendances de Saint-Gilles sur les confins du Vivarais, de l’Uzège et du Gévaudan : l’ensemble des possessions est nettement dominé par le prieuré Saint-Pierre des Vans. Pareillement, le prieuré de Vesseaux, dépendant de la Chaise-Dieu, se trouve au centre d’un semis d’églises s’étendant sur le rebord ouest du massif du Coiron et dans le nord du Bas-Vivarais calcaire. L’implantation routière de ces derniers tient donc peut-être à leur situation hiérarchique intermédiaire entre l’abbaye et les plus modestes de ses dépendances imposant une ouverture sur l’extérieur et, donc, des circulations facilitées. Serait ici à envisager le rôle du prieuré conventuel comme lieu de collecte et de stockage des redevances domaniales et des dîmes, avant qu’elles ne soient éventuellement revendues, ou encore expédiées vers la maison mère, comme on le constate avec le vin de l’abbaye de Saint-Chaffre ( 2066 ). Dans ce cadre, la proximité d’une route serait alors un atout non négligeable. Cependant, aucune étude sur l’économie monastique de la région n’a encore abordé la fonction de ces établissements.

Les liens qu’entretiennent lieux de culte et routes sont donc divers, variant en fonction du statut des établissements ecclésiaux, de la période à laquelle ils sont fondés et des régions considérées.

Concernant le réseau ecclésial puis paroissial dans la première moitié du Moyen Age, la différence est nette entre des secteurs très peu ou pas peuplés, présentant probablement de très vastes espaces vides d’hommes, et ceux densément occupés. Dans les premiers, la route sert de guide à la pénétration humaine et à la christianisation, ce qui explique l’étroite association unissant routes et premières églises. A l’inverse, dans les régions d’occupation ancienne, ce sont les principaux centres de peuplement secondaires, des vici pour l’essentiel, qui attirent les premières églises, ce explique leur implantation en bordure de route, mais sans qu’un lien direct puisse être observé entre les deux. Parallèlement, les églises d’origine privées se fixent au gré des centres domaniaux, ignorant de ce fait les routes. En cela, le Vivarais se rapproche de l’Auvergne, où les implantations paroissiales primitives coïncident soit avec les pôles urbains subsistant de la période antique, soit, dans les régions de peuplement nouveau, avec les vallées suivies par les principales routes ( 2067 ).

Autre aspect de la question, difficile à cerner d’un point de vue conceptuel, les relations entre établissements ecclésiastiques et routes ne sont pas aisées à analyser. Les quelques exemples retenus montrent que si les établissements bénédictins, les commanderies templières et hospitalières sont situés en bordure de routes, ou à défaut non loin, logiquement, ce n’est pas le cas des cisterciens et des chartreux. La dépendance des principales abbayes de la région ne témoigne pas, non plus, d’une implantation privilégiée le long de quelques axes pouvant avoir une importance particulière à leurs yeux. Remarquons cependant ici que les principaux prieurés conventuels sont en bordure d’axes non négligeables, sans que l’on parvienne clairement à expliquer pourquoi.

Notes
2061.

) Debout (M.) : « Les routes et l’implantation des monastères en Forez du Xè au XIIIè siècles », art. cité, p. 60-61.

2062.

) Cf. supra, p. 176-178.

2063.

) Piquard (M.) : « La Franche-Comté, zone de passage entre l’Italie et le nord de la France pendant le haut Moyen Age », art. cité, p. 33-34.

2064.

) Les bénédictins de Saint-Chaffre du Monastier, histoire et archéologie d’une congrégation, op. cit., carte hors texte.

2065.

) Sur ces aspects, cf. Lauranson-Rosaz (Ch.), Ganivet (P.) : « Saint-Chaffre, des origines aux lendemains de l’An mil : une abbaye en marge », art. cité.

2066.

) Cf. supra, p. 211.

2067.

) Fournier (G.) : Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Age, op. cit., p. 406-407.