b- Le semis urbain vivarois au regard des estimes de 1464 et des rôles de taille de 1478

Une représentation graphique de ces deux données permet de visualiser rapidement leur cohérence et de dégager nettement quelques cas problématiques caractérisés par un écart important à la fiscalité moyenne constatée. En effet, le rapport entre nombre de feux et montant de la taille est assez régulier, autour de 3 à 4 livres par feu. Seules quelques aberrations qui ne peuvent correspondre à la réalité émergent, comme Vion par exemple, dont la population devrait s’acquitter de plus de 10 livres par feu, somme exorbitante s’il en est. Quatre catégories de localités se dégagent ainsi.

Au sommet, Aubenas et Annonay émergent nettement. Sans doute de même niveau de développement ou presque, elles arrivent systématiquement en tête dans les rôles fiscaux, qu’il s’agisse de ceux de 1478, de 1482 et de 1495, tout en étant les plus peuplées en 1464, même si en la matière Annonay prime légèrement sur Aubenas. En prenant le risque de généraliser la valeur du sous-enregistrement démographique constaté, 1/2 à 1/3 de la population seulement semblant enregistré, la ville d’Aubenas compterait environ 400 à 450 feux, et celle d’Annonay de l’ordre de 550 à 600.

Ces deux villes sont aussi les seules à posséder deux ou trois couvents mendiants. Les dominicains sont implantés à Annonay dès avant le milieu du XIIIè siècle, puisque leur couvent existe déjà lors de la création de la province de Bourgogne, décidée au Chapitre Général de Rome en 1239 (2121), bien qu’il ne soit pas attesté dans la documentation vivaroise avant 1264 (2122). Un couvent de clarisse est aussi implanté à Annonay. Il est attesté pour la première fois en 1275 ( 2123 ). La présence des cordeliers à Aubenas est connue à partir de 1269 ( 2124 ). Ils y côtoient un couvent de clarisses, fondé dans les années 1260 ( 2125 ), et les frères prêcheurs, dont le couvent a été fondé en 1264 (2126).

La ville de Tournon, troisième pôle urbain, se situe à bonne distance des deux précédentes : le nombre de feux au milieu du XVè siècle s’établit probablement entre 300 et 350. Tournon est dotée d’un couvent de carmes, implantés depuis 1334 ( 2127 ), auxquelles il faut ajouter tardivement les franciscains qui s’installent en 1473 (2128).

Bourg-Saint-Andéol est du même niveau démographique que Tournon, à quelques dizaines de feux près en 1464. Un couvent de mendiants y est fondé en 1473 ( 2129 ), mais il s’agit d’observants, considérés comme rétifs à une implantation trop urbaine. Cependant, leur installation est tardive, alors que leur rejet de la ville s’atténue ( 2130 ).

D’un point de vue fiscal, Viviers apparaît très nettement sous-évaluée par rapport au nombre de feux de 1464, ce qui s’explique probablement par une minoration artificielle de sa richesse, une large part des fortunes de la cité épiscopale relevant des clercs exempts de taille. Démographiquement, la ville se situe au même niveau que Tournon ou Bourg-Saint-Andéol avec au moins 300 feux, bien qu’il soit difficile d’estimer la population cléricale y résidant. Les ordres mendiants ne se sont pas implantés dans la cité épiscopale, à la différence de la majorité des cités voisines, Le Puy, Valence, Vienne, Uzès, Orange, etc. Ce n’est pas probablement pas signe d’une grande vitalité économique, à la différence de Montélimar, située en rive gauche du fleuve, presque face à Viviers, qui possède un couvent franciscain et un dominicain.

Un autre groupe se distingue par un niveau de population avoisinant ou dépassant les 150 feux aux estimes et/ou par des cotes fiscales comprises entre 350 et 500 livres, les villes précédentes étant nettement au dessus, entre 800 et 1000 livres. Entrent dans cette catégorie Privas, Joyeuse, Largentière et Pradelles, auquel on adjoindra Les Vans ( 2131 ), dont on peut penser que le nombre de leurs feux réels oscille entre 250 et 300. Toutes ces agglomérations sont sans couvent mendiant, à l’exception de Largentière, doté d’une maison franciscaine, mais leur cote fiscale et le niveau de leur population ne permet pas pour autant d’en faire de simples villages.

Le croisement des données fiscales et démographiques permet de dégager une quatrième catégorie de localités se distinguant des villages. Elle regroupe Chalencon, Jaujac, Montpezat, Saint-Agrève, Fay, Lamastre et Le Cheylard. Un peu moins imposées, mais aussi moins peuplées que les précédentes, entre 200 et 250 feux calculés à partir des données des estimes réévaluées, ces localités font démographiquement le lien entre les villages et les petites villes précédemment présentés.

Le Vivarais n’est donc pas, en termes strictement démographiques, une région fortement urbanisée : les grandes villes lui sont extérieures, comme Le Puy à l’ouest, Valence et Vienne à l’est, mais aussi, dans une moindre mesure, Montélimar et Alès. L’urbanisation du Vivarais est donc diffuse, caractérisée par une multitude d’agglomérations moyennes, la plupart n’atteignant que difficilement les 200 feux, seuil fréquemment retenu pour situer la limite inférieure des phénomènes urbains ( 2132 ). Ce n’est pas pour autant qu’il faut douter de leur caractère urbain, ce que confirment leurs fonctions.

Notes
2121.

) Ribaucourt (C.) : « Les mendiants du Midi d’après la cartographie de l’enquête », art. cité, p. 28.

2122.

) Chevalier (U.) : Inventaire des Archives des dauphins à Saint-André de Grenoble en 1277, op. cit., n°XV p. 42-43.

2123.

) AN, P 1361/2, n°974.

2124.

) AD 43, G 515, n°11.

2125.

) Mazon (A.) : « Les clarisses d’Aubenas », art. cité, p. 338.

2126.

) AD 07, 17H 1 f°2.

2127.

) AD 07, 9H 1.

2128.

) AD 07, 15H 1.

2129.

) AD 07, 10H.

2130.

) Le Goff (J.) : « Ordres mendiants et urbanisation dans la France médiévale », op. cit., p. 941-943.

2131.

) Qui ne figurent pas dans les estimes ou le rôle de 1478 car ressortant de l’Uzège, mais enclavé en Vivarais.

2132.

) Chevalier (B.) : Les bonnes villes de France du XIV è au XVI è siècle, op. cit., p. 37 ; Herlihy (D.), Klapisch (C.) : Les toscans et leurs familles. Une étude du catasto florentin de 1427, op. cit., p. 238 et ss ; Baratier (E.) : La démographie provençale du XIII è au XVI è siècle avec chiffres de comparaison pour le XVIII è siècle, op. cit., p. 122.