a- Aux origines des villes vivaroises

On distinguera ici quatre cas de figure. Il s’agit tout d’abord des agglomérations dont le développement est antérieur au Moyen Age. Ensuite, nous considérerons le cas des bourgs monastiques issus du haut Moyen Age, avant d’en arriver aux villes d’accession, pour finir par les villes de fondation.

Le legs antique

Il n’est pas dans notre propos ici de cartographier le semis urbain antique dans son ensemble, mais uniquement d’envisager les origines prémédiévales de quelques villes, les centres urbains gallo-romains n’ayant pas connu de postérité au-delà du haut Moyen Age ne nous intéressant pas ici.

Comme presque partout, la principale ville médiévale d’origine antique est la cité épiscopale, mais le cas de Viviers est complexe. En effet, la cité antique des Helviens n’est pas Viviers, mais Alba Augusta, située une quinzaine de kilomètres à l’ouest de la cité épiscopale médiévale. Seuls cinq évêques se sont succédé sur le siège d’Alba avant qu’il ne soit transféré à Viviers ( 2133 ). Il n’en demeure pas moins très difficile de préciser quand ce transfert à lieu, mais l’examen attentif des listes épiscopales et de la Carta vetus permet de le placer dans le dernier tiers du Vè siècle ou au début du VIè siècle ( 2134 ). Bien que n’étant pas la cité primitive, le site de Viviers n’est pas pour autant inoccupé avant l’arrivée du siège épiscopal. L’archéologie a révélé sans ambiguïté l’existence d’un habitat protohistorique et gallo-romain relativement important, même s’il est présomptueux de parler de vicus. Le véritable essor du lieu est quand même probablement lié à l’implantation du siège épiscopal ( 2135 ). Parallèlement, Alba ne disparaît pas brutalement sous les coups des invasions barbares comme le voudrait l’historiographie locale dans une vision catastrophiste et simpliste, puisque l’archéologie atteste qu’un habitat organisé se maintien encore pendant au moins un siècle ou deux ( 2136 ). La solution de continuité entre la cité antique d’Alba et le castrum d’Aps n’en est pas moins totale, ce dernier étant implanté deux ou trois kilomètres au sud de la ville antique, sur un site manifestement vierge d’occupation antérieure ( 2137 ).

La seconde agglomération probablement d’origine antique est Annonay. Malgré l’absence d’opération archéologique conduite scientifiquement, ce qui interdit de formuler toute conclusion assurée, les découvertes fortuites, notamment monétaires, sont nombreuses dans l’ensemble de la ville ( 2138 ). De plus, l’urbanisme annonéen ne doit rien au château, ni sans doute à l’église Notre-Dame ( 2139 ). Un ensemble grossièrement ovoïde apparaît par contre au nord-ouest de la ville, que n’expliquent pas les conditions topographiques ou l’existence d’un pôle particulier ayant aggloméré l’habitat. En l’état de nos connaissances sur la ville, il constitue le premier noyau de peuplement lisible dans le parcellaire et on peut éventuellement y voir un noyau de peuplement issu de l’Antiquité ou du haut Moyen Age. Annonay est en effet un centre de viguerie attesté à de très nombreuses reprises dès 814 ( 2140 ), alors que l’église Notre-Dame est mentionnée comme archiprêtré dès 805 ( 2141 ). Par ailleurs, nous avons déjà signalé qu’au XVIIIè siècle, un cimetière dit « Saint-Jean » est associé à l’église Notre-Dame, rappelant peut-être la présence d’un ancien baptistère altimédiéval. Pour finir, fait rare, en 889, Annonay est appelée vicus Sainte-Marie ( 2142 ). Occupé durant l’Antiquité, centre de pouvoir laïc et religieux aux siècles carolingiens, Annonay témoigne probablement alors déjà d’un niveau de développement urbain significatif, pour autant que l’on puisse en juger sur des éléments aussi ténus.

La situation de Tournon est relativement proche de celle d’Annonay. Largement peuplés dès l’Antiquité, l’ensemble du site de la ville médiévale et ses abords ont livré des structures en place des Ier-IIIè siècles de notre ère, alors que des sépultures pouvant limiter l’extension de l’agglomération antique vers le sud ont été mises au jour au niveau du lycée, en bordure du Rhône. En outre, plusieurs caves de maisons situées à l’intérieur des remparts médiévaux ont livré du matériel antique ( 2143 ). Durant le haut Moyen Age, Tournon est le siège d’une viguerie attestée au Xè siècle ( 2144 ), alors que l’un des seuls châteaux publics altimédiéval connu en Vivarais y est probablement mentionné ( 2145 ). Pourtant, si on admet une occupation antique et du haut Moyen Age importante sur le site de Tournon, elle n’est plus perceptible dans la topographie urbaine de la fin du Moyen Age. En effet, la ville prend la forme d’un castrum classique, aggloméré sur les pentes du rocher supportant le château et la continuité de l’habitat de l’Antiquité jusqu’au plein Moyen Age n’est pas assurée.

Toutes les agglomérations d’origine antique qui ont subsisté jusqu’à la seconde moitié du Moyen Age, pour autant qu’on puisse les cerner à partir d’une documentation archéologique rare, sont situées dans la vallée du Rhône ou à proximité. Néanmoins, sauf pour la cité épiscopale, ou éventuellement pour Annonay, la continuité de l’habitat n’est pas manifeste, et il est difficile d’affirmer que ces villes sont directement héritières d’agglomérations antiques. Le déclin de plusieurs vici bien attestés, comme Ruoms ( 2146 ), Le Pouzin ( 2147 ), Saint-Etienne-de-Fontbellon ( 2148 ) ou Soyons ( 2149 ), montrent même que des origines antiques ne prédisposent en rien à un développement médiéval.

Notes
2133.

) Esquieu (Y.) : « Alba, groupe cathédral Saint-Pierre », art. cité.

2134.

) Outre l’historiographie ancienne, qui s’est surtout attachée à compliquer le problème en avançant l’idée, absolument infondée, que le siège épiscopal serait passé à Mélas avant son implantation définitive à Viviers, cf. Lauxerois (R.) : Le bas-Vivarais à l’époque romaine. Recherche sur la cité d’Alba, op. cit., p. 190 et ss qui fait le point sur nos connaissances à ce sujet.

2135.

) Esquieu (Y.) dir. : Viviers, cité épiscopale, op. cit., p. 9-22.

2136.

) Les fouilles archéologiques en cours ont mis au jour de nombreux niveaux du très haut Moyen Age qui permettraient d’affiner une chronologie de l’abandon d’Alba, mais elles ne sont pas encore publiées. En l’absence de travaux plus récents, et surtout plus complets, cf. Lauxerois (R.), André (P.) et Jourdan (G.) et alii : Alba, de la cité gallo-romaine au village, op. cit., p. 16.

2137.

) Sondages archéologiques et prospections réalisés par Eric Durand en 1997 (Centre de documentation archéologique d’Alba, Ministère de la Culture).

2138.

) Pour avoir un état à jour des découvertes archéologiques annonéennes, cf. Fraisse (Ch.) : Carte archéologique de la Gaule, Ardèche, à paraître, notice n° 10.

2139.

) L’église médiévale Notre-Dame n’était pas à l’emplacement actuel, mais se trouvait place de la Liberté, qui a été ouverte en rasant l’ancien édifice.

2140.

) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, op. cit., t. I, p. 94.

2141.

) Charvet : Histoire de la sainte église de Vienne, op. cit., preuves, p.  653-655.

2142.

) Chevalier (U.) : Cartulaire de Saint-Barnard de Romans, 817-1093, op. cit., n°4, p. 5-7.

2143.

) Fraisse (Ch.) : Carte archéologique de la Gaule, Ardèche, à paraître, notice n°324.

2144.

) Chevalier (U.) : Cartulaire de Saint-Barnard de Romans, 817-1093, n°61, p. 73-74.

2145.

) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 87-89.

2146.

) Travail de maîtrise en cours sur Ruoms (Nicolas Clément, université Jean Moulin, Lyon III).

2147.

) Charrel (V.) : L’occupation du sol sur le rivage rhodanien et dans son arrière pays entre l’Eyrieux et la Payre, du I er siècle av. J.-C. au Moyen Age (communes de La Voulte, Rompon, Saint-Julien-en-Saint-Alban, Le Pouzin, Saint-Symphorien et Baix), op. cit.

2148.

) Saumade (H.) : « L’implantation gallo-romaine dans la région albenassienne », art. cité.

2149.

) Darnaud (O.) : Le site médiéval de Soyons, VI è -XIII è siècles, recherches archéologiques et apports documentaires, op. cit.