Des agglomérations du haut Moyen Age ?

Si quelques villages monastiques existent, probablement issus du haut Moyen Age, comme Cruas et Le Monastier-Saint-Chaffre, où une foire est attestée au IXè siècle ( 2150 ), ce ne sont pas des centres urbains dans la seconde moitié du Moyen Age. Bourg-Saint-Andéol est aussi probablement d’origine altimédiévale, mais l’histoire de cette ville est difficile à cerner entre hagiographie et archéologie. Il est indéniable, malgré le caractère ténu des vestiges, que Bourg a pu correspondre à un habitat antique structuré ( 2151 ), mais rien n’assure son importance d’alors, ni sa continuité de l’Antiquité à la fin du Moyen Age. En effet, le parcellaire médiéval ne semble nullement tributaire de formes d’agglomérations antiques, à la différence d’autres localités, comme Soyons plus au nord. Au contraire, le plan de Bourg rayonne depuis l’église Saint-Andéol, qui apparaît comme le facteur principal de cristallisation de l’habitat. Une très large révision de l’historiographie régionale traditionnelle s’impose ici. Pour cette dernière, Burgitate antique et altimédiévale est une localité double, avec un pôle principal (au moins un vicus !) à la place de Bourg-Saint-Andéol et un faubourg en rive gauche du fleuve ( 2152 ). Néanmoins, le problème de la localisation du bourg principal doit être soulevé. En effet, dans la seconde moitié du VIè siècle, Burgitate apparaît clairement situé in Tricastinesis ( 2153 ). De même, Bergogiate est le siège d’une viguerie du Tricastin attestée dans le courant du Xè siècle ( 2154 ). Sauf à considérer de biens improbables, et en tout cas improuvables, variations des limites du Vivarais à l’est, la localité de Burgitate ne peut être en rive droite du fleuve, puisqu’elle est en Tricastin. Elle ne correspond donc pas à Bourg. L’histoire de la ville doit être reconsidérée à la lumière de la vie de saint Andéol et de la découverte de ses reliques. En 208, Andéol aurait prêché à Bergoïate, où il aurait été martyrisé le 1er mai par l’empereur Septime Sévère remontant le sillon rhodanien vers la Bretagne, son corps, enchaîné étant jeté au fleuve. Peu après, les flots l’auraient déposé sur la rive opposée, où une chrétienne secrètement convertie, l’aurait inhumé ( 2155 ). Il faut ensuite attendre 858 pour que les reliques de saint Andéol soient miraculeusement découvertes à Bourg, en rive droite ( 2156 ), alors que l’église Saint-Andéol de Bourg est mentionnée pour la première dans un diplôme impérial de 877 confirmant diverses possessions à l’église de Viviers ( 2157 ). L’ensemble de ces faits doit être reconsidéré d’un oeil critique car ils permettent, nous semble-t-il, de préciser les origines de la ville. Tout d’abord, la Vita Andeoli, forgée dans l’entourage de l’église de Viviers à la fin du haut Moyen Age, pose de nombreux problèmes. En particulier, elle intègre la traversée du Rhône qui ne figure pas dans d’autres traditions hagiographiques voisines dans lesquelles apparaît aussi Andéol, mais qui permet de « récupérer » le corps du saint martyr sur le sol vivarois ( 2158 ). Par ailleurs, le diplôme de 877 qui rattache Bergogiate à l’église de Viviers, seul acte liant ce lieu au Vivarais, semble avoir été interpolé, ce point précis n’apparaissant que dans la version du document provenant des archives de l’église cathédrale ( 2159 ). L’ensemble de ces remarques permet de supposer que l’église de Viviers a alors conduit, si ce n’est construit de main de maître, l’épisode de la découverte des reliques d’Andéol, mettant en forme une vita arrangeante, une invention de relique miraculeuse et un faux diplôme. De plus, les reliques d’Andéol sont découvertes à la période où celles de l’évêque Venance, inhumé à Viviers, sont volées et transférées à Soyons ( 2160 ). En outre, l’église de Viviers n’est alors pas dotée d’un martyr local. Seule l’invention des reliques d’Andéol lui permet finalement de se hisser au rang de ses voisines, comme Mende (saint Privat) ou Valence (saint Appolinaire). Si l’archéologie atteste une occupation antique à Bourg, nous avons expliqué qu’elle ne peut être liée à l’agglomération de Bergoïate, ou Burgitate, située en rive gauche du Rhône, alors qu’une lecture critique de la Vita Andeoli nous apprend que le culte d’Andéol est probablement une création du Xè siècle. Les origines de l’agglomération de la fin du Moyen Age se situent donc plus autour des IXè-Xè siècles, alors que la vénération des reliques de saint Andéol prend de l’importance, même si une totale solution de continuité depuis l’Antiquité est peu probable.

Notes
2150.

) Chevalier (U.) : Cartulaire de l’abbaye de Saint-Chaffre, op. cit., n°XXII.

2151.

) Lauxerois (R.) : Le Bas-Vivarais à l’époque romaine. Recherche sur la cité d’Alba, op. cit., p. 112-113.

2152.

) Courteault (H.) : Le Bourg-Saint-Andéol, op. cit., p. 1-13 ; Messié (J.) : Bourg-Saint-Andéol..., op. cit., p 18-19.

2153.

) Carta vetus publiée par Régné (J.) et Rouchier (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. I, p. 639.

2154.

) Brun-Durand (J.) : Dictionnaire topographique du département de la Drôme, op. cit., p. X.

2155.

) Pour l’essentiel, le dossier hagiographique et les faits qu’il est possible d’établir à partir de ce dernier ont été présentés de manière satisfaisante et détaillée dans Régné (J.) et Rouchier (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. I, p. 283-304, 521-568. Néanmoins, Jacques Rouchier ne pose aucun regard critique sur l’historicité de la Vita andeoli qui pose pourtant problème.

2156.

) Régné (J.) et Rouchier (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t. I, p. 420-425, publication du De inventione sacri corporis beati Andeoli, p. 645-646.

2157.

) Giry (A.), Prou (M.), Lot (F.), Tessier (G.) : Recueil des actes de Charles II le Chauve, op. cit., t. II, n° 443, p  493-497 ; Gallia christiana novissima, t. XVI, instr., col. 221-222.

2158.

) Cf. la critique très pertinente et argumentée qu’en fait Lauxerois (R.) : Le Bas-Vivarais à l’époque romaine. Recherche sur la cité d’Alba, op. cit., p. 205-221.

2159.

) Giry (A.), Prou (M.), Lot (F.), Tessier (G.) : Recueil des actes de Charles II le Chauve, op. cit., t. II, n° 443, p  49.

2160.

) Darnaud (O.) : Le site médiéval de Soyons, VI è -XIII è siècles, recherches archéologiques et apports documentaires, op. cit., p. 119-122.