Ces villes sont incontestablement les plus nombreuses et constituent l’essentiel de l’armature urbaine vivaroise. Nous sommes ici en présence de villages nés de la congregatio hominium autour des lieux de culte ou de l’incastellamento, qui ont par la suite connu un développement remarquable les élevant au-dessus des multiples agglomérations constituées en Vivarais dans le même mouvement ( 2161 ).
C’est ainsi que les villes d’Aubenas, Joyeuse et Pradelles se sont constituées à partir de castra attestés respectivement dès les années 1160 ( 2162 ), en 1218 ( 2163 ) et dans les années 1030 ( 2164 ). Tournon, bien que succédant à une forte occupation antique et du haut Moyen Age, prend aussi la forme d’un habitat castral, le castellum de Tornone étant attesté en 1064 ( 2165 ) et le castrum en 1211 ( 2166 ). A une échelle inférieure, celle des bourgs, Saint-Agrève est aussi un castrum : un lignage châtelain est attesté dès les années 1090 ( 2167 ), mais il faut attendre le premier tiers du XIIIè siècle pour que le castrum soit explicitement mentionné par la documentation ( 2168 ). Non loin de Saint-Agrève, au sud, Fay est aussi un bourg d’origine castrale mentionné dans les dernières années du XIIè siècle ( 2169 ), période à laquelle apparaissent aussi les castra de Montpezat ( 2170 ) et de Jaujac ( 2171 ), petits bourgs du nord des Cévennes. Pour finir, mentionnons encore les cas de Lamastre et du Cheylard, tous deux qualifiés de castrum à partir de 1224 ( 2172 ).
Par contre, la part des agglomérations d’origine ecclésiale est plus réduite : seules trois ou quatre ont atteint un niveau de développement significatif. Ce sont d’abord Les Vans qui se structurent autour du prieuré Saint-Pierre, possession de l’abbaye de Saint-Gilles, l’habitat étant attesté dès le début du XIIè siècle ( 2173 ). Le cas de Privas est plus complexe, puisque voisinent un château et un village ecclésial, ce qui entraîne des confusions historiographiques. Ainsi, Privas est qualifié de villa dans la deuxième moitié du XIè siècle ( 2174 ), puis encore en 1249 ( 2175 ) et en 1261 ( 2176 ). L’église Saint-Pierre est d’ailleurs topographiquement au centre de l’habitat qui rayonne depuis cette dernière. Par contre, un château est édifié à l’est du village ecclésial, sur le mont Toulon, où subsistent encore quelques maçonneries. Ce dernier, attesté en 1239 ( 2177 ), ne semble toutefois pas structurer l’habitat, ce que traduit le terme de fortalicium qui est le plus souvent employé pour le désigner jusqu’à la fin du XIIIè siècle ou au début du XIVè siècle ( 2178 ). L’évolution de Chalencon rappelle celle de Privas. Le château est certes attesté dès les années 1080, le castrum qui lui est associé apparaissant dans la documentation en 1096 ( 2179 ), mais la ville n’est pas pour autant d’origine castrale. Le castrum est isolé au sommet d’une serre et ne connaît qu’un développement médiocre. Par contre, le bourg se développe autour de l’église Saint-Pierre. Bien distinct du castrum, il est qualifié de villa en 1466 ( 2180 ), et le probable héritier d’un habitat issu des siècles carolingiens, puisqu’une viguerie de Chalencon est attestée au milieu du IXè siècle ( 2181 ). L’habitat urbain de la fin du Moyen Age, centré sur l’église, préexiste donc au castrum, mais rien ne permet de penser qu’il était important dès le haut Moyen Age.
Si les origines de ces villages sont relativement bien connues, la documentation enregistrant leur constitution, il est souvent difficile de dater leur développement. Les données manquent le plus souvent et les textes sont généralement trop laconiques pour nous renseigner à ce sujet avant la fin du XIIIè siècle. Finalement, seuls quelques jalons émergent pour de trop rares localités.
Le plan d’Aubenas témoigne de plusieurs phases d’expansion, dont la première, qui est aussi la principale, peut être située dans les dernières décennies du XIIè siècle et sur une large partie du XIIIè siècle. En effet, alors que le village initial, directement issu de l’incastellamento est nettement lisible, une très vaste extension urbaine l’entoure, existant déjà au moins partiellement en 1196. A cette date, le village initial est appelé alta ville, la ville haute, où se situe une maison donnée à l’abbaye cistercienne des Chambons ( 2182 ). Ceci implique que la ville basse existe déjà. De même, la rue du Trau, aussi parfois dite place du Trau, qui constitue l’axe principal de la première extension urbaine, existe en 1198 ( 2183 ). Par ailleurs, l’emprise de cette première extension, centrée sur le « château vieux », est limitée par le nouveau château, sans doute construit tardivement dans le courant du XIIIè siècle, voir au début du XIVè siècle ( 2184 ), ainsi que par les couvents franciscains et dominicains, et par l’hôpital des antonins. On peut donc penser que la première phase d’extension urbaine est déjà acquise lors de leur installation dans la première moitié ou au milieu du XIIIè siècle.
Concernant Tournon, la concession de franchises dès le début du XIIIè siècle, les premières de la région puisqu’elles interviennent en 1211 ( 2185 ), peut témoigner de l’importance qu’à déjà acquis ce lieu, mais c’est un argument à manier avec prudence. A Tournon, une évolution topographique en trois temps, similaire à celle d’Aubenas, est perceptible. Cependant, elle est plus difficile à caler chronologiquement par manque de sources. Le castrum se structure immédiatement au sud du château, suivi d’une vaste extension urbaine constituant l’essentiel de la ville. Cette extension est encore dite villa nova Turnonis en 1341 ( 2186 ). Il est malheureusement impossible de préciser quand elle se structure, probablement dans le courant du XIIIè siècle, alors que la dernière enceinte, englobant une étroite couronne d’habitat côté sud et un faubourg côté nord date des années 1360 ( 2187 ).
A Pradelles, la documentation est plus précise. Dès 1230, elle distingue nettement le castrum du burgus. Le premier correspond à l’enceinte villageoise enserrant un premier ensemble structuré autour du château, alors que le burgus désigne l’extension urbaine ( 2188 ). On pourrait objecter que le castrum est en fait le château stricto sensu, alors que le burgus désigne le village. Néanmoins, en 1269, il est question de la population du castrum et du burgus, ce qui signifie que le terme castrum désigne bien l’habitat, dans une acception très courante, et non le château ( 2189 ).
Pour les autres localités, il est difficile de préciser la chronologie de l’urbanisation, mais les quelques cas mieux renseignés laissent penser que l’essor urbain prend racine dans la seconde moitié du XIIè siècle et qu’il devient significatif au plus tard dans les premières années du XIIIè siècle. En tout cas, la première moitié du XIIIè siècle est probablement la période principale d’expansion de ces agglomérations nées de châteaux. Malheureusement, rien ne permet d’envisager la situation des bourgs d’origine ecclésiale Les Vans, Privas, ou Chalencon. L’essentiel de l’expansion urbaine est assurément acquis à la fin du XIIIè siècle, le XIVè siècle n’apportant qu’une croissance limitée, coupée par la Peste Noire : les fortifications de la fin du Moyen Age n’englobent d’ailleurs que des faubourgs de taille réduite. La chronologie vivaroise est donc très proche de celle constatée en Forez voisin, quoi que peut-être un peu plus précoce, mais les données fragmentaires dont nous disposons interdisent d’être affirmatifs ( 2190 ).
) Sur le rythme et les formes de l’incastellamento en Vivarais, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoir et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 348-352.
) Cf. Lascombe (A.) : Répertoire général des hommages de l’évêché du Puy, op. cit., p. 335.
) Cf. Devic (Cl.), Vaissette (J.) : Histoire Générale du Languedoc, 2ème éd., op. cit., t. V, vol. 2, p. 604-605.
) Alaus (P.) et alii : Cartulaire des abbayes d’Aniane et de Gellone, cartulaire de Gellone, op. cit., n°CVI, p. 92-93.
) Chevalier (U.) : Cartulaire de Saint-Barnard de Romans, 817-1093, n°61, p. 73-74.
) AN, K 1175, n°5.
) Chassaing (A.) : Cartulaire de Chamalières-sur-Loire en Velay, prieuré conventuel dépendant de l’abbaye de Saint-Chaffre, op. cit., n°10, p. 8.
) Lascombe (A.) : Répertoire général des hommages de l’évêché du Puy, op. cit., p. 198.
) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. III, p. 121.
) Le château de Montpezat n’est pas très clairement attesté, mais plusieurs indices convergeants laissent penser qu’il peut être de la seconde moitié du XIIè siècle, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoir et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. II, p. 229 et t. III, p. 236.
) AD 48, 6J 1, f°21.
) AD 38, B 3894.
) Le pape Calixte II confirme les possessions de l’abbaye de Saint-Gilles dont Sancti Petri de Vannis cum villa [Robert (U.) : Bullaire du pape Calixte II (1119-1124), n°22, p. 31-34].
) Paya (J.-B.) : Cartulaire de Saint-Julien-d’Orcival, op. cit., n°11, p. 9.
) AD 38, B 3522.
) AD 38, B 3525.
) AD 38, B 3520.
) Cf. Mazon (A.) : « Chartes des libertés et franchises de Privas », art. cité, p. 543 ; AD 38, B 2632.
) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècle, op. cit., t. II, p. 70.
) Fonds privé, chartrier de Solignac, fragment de registre de notaire n°28.
) Chevalier (U.) : Cartulaire de l’abbaye de Saint-Chaffre, op. cit., n°CCC, p. 101.
) AD 07, 1H 1.
) Acte perdu, cité dans Columbi (J.) : De rebus gestibus episcoporum vivarensium, op. cit., p. 104.
) La datation est proposée à partir du plan de l’édifice, mais surtout, à partir de l’examen du donjon. De module carré, il est beaucoup plus vaste que les donjons du premier âge castral. De même, il présente des aménagements intérieurs tardifs (escalier à vis dans l’épaisseur des murs par exemple) et des éléments défensifs élaborés (ouvertures de tir nombreuses, et surtout crénelage sommital). La comparaison peut être soutenue avec le donjon de Villeneuve-de-Berg, lui ressemblant en tous points, qui est bien daté. Il a été construit après 1284, date de fondation de la bastide.
) AN, K 1175, n°5. La charte de Tournon est à considérer comme étant la première dans la mesure où celle de Largentière, théoriquement de 1208, est probablement un acte interpolé. En effet, retenons tout d’abord sa très médiocre tradition : elle n’est nullement mentionnée dans les deux chartes de franchise de la ville dont nous avons conservé les originaux, datant de 1367 et de 1449 [AM Largentière, AA 1 et AA 5], qui ne la confirment pas, de même qu’elle n’apparaît pas dans l’inventaire des archives municipales dressé en 1787 [AM Largentière]. Elle n’apparaît, en outre, dans aucun fonds médiéval et n’est connue uniquement par une copie qu’en donne Etienne Baluze [B.N.F., Collection Baluze, Ms. 19, f°72]. C’est à partir de cette source unique qu’elle est ensuite reprise dans la Gallia christiana novissima [t. XVI, instr. coll. 230-233] puis par l’érudition locale sans que son autenticité ne soit mise en doute. Son texte pose ensuite de nombreux problèmes. D’un point de vue anthroponymique, tout d’abord, plusieurs Louis figurent à diffférents moments dans le texte alors que ce nom n’apparaît pas dans la région avant le milieu du XIVè siècle. Apparaît même un Louis de Montlaur, totalement inconnu au début du XIIIè siècle [Sur les aspects anthroponymique, cf. Laffont (P.-Y.) : Château, pouvoir et habitat en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 13].
) AD 07, G 222.
) AD 07, G 232.
) Lascombe (A.) : Répertoire général des hommages de l’évêché du Puy, op. cit., p. 252.
) AD 43,2E 1597.
) Fournial (E.) : Les villes est l’économie d’échange en Forez aux XIII è et XIV è siècles, op. cit., p. 55.