Le cas de Largentière

Le cas de Largentière, très problématique, doit être traité spécifiquement tant il est difficile de le faire entrer dans une catégorie générale. En effet, si la ville semble être d’origine castrale, la situation que laissent entrevoir quelques rares chartes et la morphologie urbaine est plus complexe. L’intérêt porté aux mines de plomb argentifère à la fin du XIIè et au début du XIIIè siècle par les évêques de Viviers, les comtes de Toulouse, les Anduze, les Ucel et les comtes de Valentinois, mais aussi l’enchevêtrement de leurs droits ne permettent pas de saisir clairement l’évolution de la ville de Largentière. Dès les années 1174-1191, probablement en 1192 ( 2201 ), Raymond V, comte de Toulouse, Nicolas, évêque de Viviers, et les propriétaires des mines d’argent de Tauriers, Ségalières et Chassiers, concluent un accord par lequel Raymond renonce à ses droits sur ces mines, promet de ne faire aucune violence contre leurs propriétaires, entre autre, de ne pas leur enlever leur château ou leur fortification, de ne pas construire lui-même de nouveau fort et de n’aider personne à en construire. Est-il dès lors question dans cet acte du château de Largentière ? Il est impossible de l’affirmer, dans la mesure où il peut s’agir de ceux de Tauriers et de Chassiers. Ensuite, en 1198, le château de Ségalières est attesté clairement et sans ambiguïté ( 2202 ), mais se pose alors le problème de l’identification de ce site. Par facilité sans doute, l’érudition locale a considéré que ce dernier était le château de Largentière. Il n’existe pourtant aucune preuve confortant cette identification. Elle est uniquement basée sur le fait que les principales mines épiscopales indiquées par la documentation du XIIè siècle sont situées à Ségalières, alors que Largentière est de son côté la principale implantation de l’évêque dans le secteur : l’adéquation a été rapidement établie entre les deux. La prudence impose de considérer que le château de Ségalières ne peut être celui de Largentière. En effet, il existe encore de nos jours un mas de Cigalière, attesté en 1501, à un ou deux kilomètres au sud de Largentière ( 2203 ), alors que la porte sud de la ville est dite Porte de Ségalières en 1368 ( 2204 ). Largentière et Ségalières sont donc proches mais ne peuvent être confondus. Il est vrai que le château de Ségalières ne serait maintenant plus visible, mais ce n’est pas un argument pouvant être opposé à son existence en ce lieu : l’absence de prospection archéologique systématique ne permet pas de conclure. Il faut finalement attendre 1210 pour voir mentionner la possible existence d’un château à Largentière même, lorsque l’évêque reçoit, par transaction avec Raymond VI de Toulouse, le droit de faire construire une fortification dans le territoire de Largentière, en réponse à la construction de celui de Fanjeau, édifié par Raymond sur la colline qui fait face à la ville ( 2205 ). L’examen du château de Largentière confirme l’hypothèse d’une construction tardive, en tout cas postérieure au premier âge castral : le donjon quadrangulaire de fort module (10 mètres de côté) avec ses aménagements intérieurs (quatre niveaux dont trois voûtés, escalier à vis dans l’épaisseur du mur, etc.) ainsi que le choix d’implantation évoquent en effet plutôt les fortifications de la fin du XIIè siècle et du XIIIè siècle. Le lien topographique qui unit château et ville ne plaide pas non plus en faveur d’une origine castrale de cette dernière. Un important hiatus, vide d’occupation, sépare les deux. Une campagne de fouilles de sauvetage n’a en outre pas permis d’y mettre en évidence de façon nette une occupation importante pouvant correspondre à un habitat ( 2206 ). La seule enceinte, attestée en 1299 ( 2207 ) et restaurée en 1367 ( 2208 ), englobe le château, l’église et l’ensemble de l’habitat dans un même programme de construction. Elle ne s’apparente nullement à une enceinte castrale classique, partant du château pour englober peu à peu les différentes phases de croissance de l’habitat, mais intègre tardivement l’ensemble des éléments enclos en une seule fois. Pour finir, remarquons que Largentière n’est jamais qualifié de castrum, mais bien uniquement de villa.

Si l’origine de Largentière n’est pas castrale, l’agglomération existant dès avant l’implantation du château, sa formation est donc à expliquer par d’autres facteurs. Nous ne sommes pas manifestement en présence d’une agglomération antique ayant subsisté jusqu’en plein Moyen Age, aucune découverte gallo-romaine significative n’étant signalée dans ou à proximité de la ville. Les mines de plomb argentifère ont pu jouer un rôle majeur dans l’implantation de la ville, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs sont nom. Malheureusement, elles ne sont pas renseignées avant la fin du XIIè siècle. Elles constituent alors un véritable bassin minier qui couvre les abords des vallées de la Lande, de la Ligne et du Roubreau, et non une exploitation ponctuelle ( 2209 ). Seule l’étude archéologique des sites pourrait permettre de préciser la chronologie de l’exploitation, non seulement pour ses origines, mais aussi pour son extinction, probablement à placer dans le courant du XIIIè siècle ou au plus tard dans les premières années du XIVè siècle. En effet, il n’est plus jamais fait référence aux mines après 1218 ( 2210 ), bien que l’atelier monétaire épiscopal de Viviers fonctionne encore en 1294, ce qui laisse penser qu’une extraction subsiste encore ( 2211 ). Cependant, à partir du moment où la documentation devient plus conséquente, au milieu du XIVè siècle, il n’est mentionné ni mine, ni mineur, ni atelier de frappe. De plus, à compter du XVè siècle, l’administration royale s’attache à protéger les droits du souverain et des ateliers monétaires languedociens par plusieurs ordonnances et lettres patentes qui mentionnent de nombreuses mines d’argent et plusieurs rivières où l’orpaillage est pratiqué, sans que Largentière n’apparaisse jamais ( 2212 ). De même, la documentation locale qui mentionne à plusieurs reprises des mines de charbon ( 2213 ) et de fer ( 2214 ), reste muette sur Largentière.

A l’issue de ce tour d’horizon rapide des origines des villes et des bourgs du Vivarais, il apparaît que la part due à l’Antiquité est réduite : hormis la cité épiscopale, qui n’est d’ailleurs pas la cité gallo-romaine, seules quelques agglomérations sont édifiées sur des substructions antiques, mais souvent, rien n’atteste la continuité d’un habitat significatif tout au long du haut Moyen Age. Le cas de Tournon est exemplaire, puisque l’agglomération médiévale prend la forme d’une ville castrale classique, ignorant totalement les structures antiques qui la précédent. La majorité des vici identifiés demeure même de simples villages ne connaissant aucun essor dans la seconde moitié du Moyen Age. La ville naît donc avant tout du castrum, et beaucoup plus secondairement de villages ecclésiaux, comme en Forez voisin ( 2215 ), ou dans d’autres régions plus lointaines, Bretagne ( 2216 ) et Flandres ( 2217 ) par exemple. Le réseau urbain médiéval se développe donc largement sur ses propres bases, indépendant de l’urbanisation antique.

Notes
2201.

) Léonard (E.-G.) : Catalogue des actes de Raymond V de Toulouse (1149-1191), op. cit., n° 117 p. 82-83 ; traduction dans Roche (A.) : Armorial généalogique et biographique des évêques de Viviers, op. cit., t. I, p. 172-173. Sur la datation de l’acte, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. I, p. 262.

2202.

) Columbi  : De rebus gestis episcoporum Vivariensium, op. cit., p. 104-108.

2203.

) AD 07, 3H 3, f°140 et 142.

2204.

) AD 07, 1J 529, f°73v°.

2205.

) Gallia christiana novissima, op. cit., t. XVI, instr., col. 233-237.

2206.

) Renseignements fournis par Anne Allimant, responsable de l’opération conduite en 1993-1994. Cf. compte rendu très sommaire dans Ardèche archéologie, 1995, p. 69.

2207.

) AM Largentière, DD 1.

2208.

) AD 07, 1J 529, f°60v°.

2209.

) Pour une première approche archéologique des mines de Largentière, cf. Bailly-Maître (M.-Ch.) : « Prolégomènes à une étude des mines de Largentière en Vivarais », art. cité, p. 7-9 ; Girard (J.) : Les mines médiévales de Largentière, Ardèche, op. cit., p. 35-113.

2210.

) Gallia christiana novissima, op. cit., t.  XVI, Instr. col. 243.

2211.

) Devic (Cl.), Vaissette (J.) : Histoire générale du Languedoc, op. cit., t. X, preuves, coll. 299-300.

2212.

) Combes (J.) : « La monnaie de Montpellier et les gisements d’or et d’argent des Cévennes méridionales au XVè siècle », art. cité. AD 34, A 12, f°76, 169, 253 ; A 13, f°215v° ; A 14, A 14, f°52.

2213.

) Billot (C.) : « Les mines d’Alès dans le chartrier de Castrie », art. cité.

2214.

) En 1343 à Alès : AD 30, A1, f°238-241 ; En 1548 à Mayres : AD 07, 2E 1537, f° 357v°.

2215.

) Fournial (E.) : Les villes et l’économie d’échange en Forez aux XIII è et XIV è siècles, op. cit., p. 38-40.

2216.

) Leguay (J.P.) : Un réseau urbain au Moyen Age, les villes du duché de Bretagne aux XIV è et XV è siècles, op. cit., p. 8-18.

2217.

) Ganshof (F.-L.) : Etude sur le développement des villes entre Loire et Rhin au Moyen Age, op. cit., p. 16.