b- De Bourg-Argental à Yssingeaux

Passé Bourg-Argental, la route emprunte la vallée de la Deûme, cheminant parallèlement à la rivière en rive gauche, passant par le lieu de La Tuillière où elle est mentionnée en 1322 ( 2422 ). Elle ne franchit pas la Deûme et semble suivre le même tracé que celle figurant sur la carte de Cassini qui est aussi celui de la route départementale 503 actuelle : l’exiguïté de la vallée ne lui permet de toute façon pas de divaguer largement et de se déplacer au cours des siècles. Pour suivre un autre tracé, il lui aurait fallu traverser la Deûme à deux reprises ce qui paraît bien improbable.

Elle arrive ensuite à Saint-Sauveur-en-Rue où il est possible qu’elle soit mentionnée dès 1061, servant de confront à des terres vendues au prieuré de Saint-Sauveur. Ces parcelles sont situées in territorio ecclesie Sancti Salvatoris sub via iuxta rivetum qui aliquando decurrit in rivum qui appelatur Deuma ( 2423 ). Même si l’origine et la destination de cette via ne sont pas mentionnées dans l’acte, la disposition des lieux laisse penser que ce chemin correspond à la route du Rhône au Puy, sur laquelle est établie la route départementale actuelle dans sa traversée de Saint-Sauveur. De nos jours, à proximité du prieuré, sous celui-ci et en direction de la Deûme, la route croise en effet un modeste ruisseau, affluent de la Deûme, dans une topographie similaire à celle décrite en 1061.

En 1265 elle est mentionnée à Saint-Sauveur sous le nom de strata Sancti Maximi ( 2424 ), en raison du vocable de l’hôpital routier se trouvant non loin de là, sur le tracé de la route au pas du Tracol ( 2425 ). Sa montée vers le col figure nettement sur la carte de Cassini, où le lieu est désigné sous le nom de « Côte du Tracol » et rien ne permet de supposer qu’un autre tracé ait existé au Moyen Age. Néanmoins, quelques virages en lacets à la sortie de Saint-Sauveur et plus loin au niveau de Chaveneyriol témoignent probablement d’aménagements de roulage modernes destinés à adoucir la pente particulièrement rude. Un chemin vicinal, passant au plus près de la Deûme et présentant une très bonne continuité de Saint-Sauveur au Tracol, peut être l’héritier du tracé médiéval.

L’importance de la route pour la population de Saint-Sauveur est manifeste lorsque le 28 novembre 1398, elle est exemptée du péage de Malleval par le bayle comtal de Malleval ( 2426 : placé sur l’axe commercial, le village vit sans doute comme beaucoup d’autres du transport et ces franchises lui permettent de s’assurer de revenus commerciaux plus larges.

Un autre acte nous renseigne implicitement sur le passage de la route du Rhône au Puy à Saint-Sauveur-en-Rue. Il s’agit d’une transaction visant à régler un différend survenu en 1247 entre Girard Ricols, miles du château de Serrières, d’une part et Artaud Pagan, prieur de Saint-Sauveur-en-Rue, de l’autre. Girard revendiquait alors un repas au prieuré à l’aller et au retour de ses voyages au Puy, preuve qu’il empruntait sans doute la route de la vallée de la Deûme, au moins depuis Bourg-Argental, localité qu’il gagnait selon toute vraisemblance par Annonay ( 2427 ).

Le col du Tracol marque l’entrée sur le plateau du Velay. La route continue ensuite par Riotord. Au niveau de Riotord se greffe sur la route du Puy un axe secondaire venu d’Annonay par Villevocance et les crêtes séparant les vallées de la Deûme et de la Cance ( 2428 ). A la sortie de Rieutord, alors que la route actuelle oblique vers le sud en franchissant la Dunières, il est net que le tracé initial dont la continuité est encore conservée passe par le Collet puis Chapitel et Leygas avant de gagner le Pont de Faurie, à un kilomètre au sud-est de Dunières. Le pontem de Faurias, mentionné dès 1468 ( 2429 ), lui permet de traverser la Dunières pour gagner Montfaucon-en-Velay. La route n’est toutefois pas documentée sur ce tronçon, mais la carte de Cassini associée à la lecture du cadastre et à quelques indications toponymiques permet de restituer son tracé probable. A la différence de la R.D. 501 actuelle qui effectue un long détour après avoir traversé le pont des Fauries, la route ancienne subsiste encore probablement sous la forme d’un chemin vicinal direct partant dans l’alignement du pont et gravissant assez brutalement la pente en ligne droite jusqu’au sud du hameau du Crouzet. Ensuite, elle passe au droit du hameau de Malataverne situé juste avant Montfaucon.

Après Montfaucon en se dirigeant vers Yssingeaux, différents tracés encore lisibles sur les cartes actuelles et sur le cadastre sont les héritiers probables de la route ancienne. A partir des Lardons, le tracé ancien et celui de la R.D. 105 semblent se confondre jusqu’à la Détourbe. De là, il est net que la R.D. 105 se surimpose totalement au parcellaire et au réseau viaire vicinal, ce qui implique que ce n’est qu’une création relativement récente, sans doute à associer à des aménagements de roulage du XVIIIè siècle, voir du XIXè. Le tracé ancien se poursuit au contraire au nord de la R.D. 105, facilement identifiable par la Bruyerette avant de rejoindre la Chambertière. Seule une section de quelques centaines de mètres autour la Chambertière a aujourd’hui disparu. Passé ce hameau, plusieurs limites de parcelles matérialisées par des haies vives laissent penser que la route se poursuivait jusqu’aux Champs avant de gagner le pont de la Sainte par Libeyre et le lieu-dit évocateur de Montjoie, marquant un carrefour avec un chemin conduisant de Grazac à Tence.

Le pontem vocatur de la Saynta sert de confront dans un échange conclu entre l’abbaye de Saint-Chaffre et la commanderie de Saint-Jean-de-Jérusalem du Puy en 1273 ( 2430 ). Nous savons avec certitude qu’il livrait le passage à la route du Rhône au Puy. En effet, le 9 janvier 1371, le Roi concède un barrage exceptionnel pour une durée de deux ans à compter du mois de mars afin de subvenir aux travaux indispensables à effectuer sur le pont de l’Enceinte étant donné qu’il est sur l’itinere publico eundo de villa Anicii ad riperiam Rodani, dans la mesure où le pont est multum ruinosus et maxima reparatione indigeat ( 2431 ). Par ailleurs, le pont de la Sainte est un poste de perception du péage du château de Laptes mentionné dès 1285 ( 2432 ).

Passé le pont de l’Enceinte, le chemin actuel trace un long détour en direction du sud afin d’aborder tangentiellement le flanc ouest de la vallée du Lignon. Les contraintes de relief permettent de penser qu’il en était de même au Moyen Age, la pente étant trop brutale pour être gravie de face. La route s’élève donc vers les Rives puis Lestrade, avant d’arriver à Yssingeaux.

Notes
2422.

) Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., n°36.

2423.

) Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., n°II.

2424.

) Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., p. 195.

2425.

) Le Tracollum est mentionné à de nombreuses reprises dans le cartulaire de Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., principalement p. 122, 149, 248 et 255.

2426.

) Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., n°79.

2427.

) Charpin-Feugerolles, Guigue (C.) : Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, op. cit., n°CXVI. Sur les chemins passant par Annonay, cf. infra p. 29-59.

2428.

) Cf. infra, p. 50-52.

2429.

) Chassaing (A.) et Jacotin (A.) : Dictionnaire topographique de la Haute-Loire, p. 215.

2430.

) Chevalier (U.) : Cartulaire de l’abbaye de Saint-Chaffre du Monastier, op. cit., pièces complémentaires n°CCCCLVIII.

2431.

) AD 34, A6, f°95v°.

2432.

) Lascombe (A.): Répertoire général des hommages des évêques du Puy, op. cit., p. 241.