Au-delà d’Yssingeaux, la route continuait vers Le Puy en empruntant le même tracé que celui qu’a suivi la R.N. 88 jusqu’aux années 1990. Dès la sortie d’Yssingeaux, elle est mentionnée au lieu-dit de Choumourou en 1309 ( 2433 ). De là, le chemin est encore net en direction du col du Perthuis, son passage étant attesté en 1349 au droit de Bessamorel puis au col même ( 2434 ). Au XIVè siècle le col du Perthuis était un poste de perception du péage du mandement de Queyrières ( 2435 ).
Du col du Perthuis jusqu’au Puy, il est certain que le dépouillement approfondi du chartrier de l’Hôtel-Dieu du Puy apporterait son lot de précisions sur le tracé de la route. Néanmoins, loin de notre domaine d’étude nous n’avons pu nous y livrer et nous suggérons seulement l’axe général suivi par la route. Après le col, la route se dirige vers Saint-Hostien, mais il est net que l’itinéraire ancien n’oblique pas vers l’ouest à l’image de la route actuelle. Au contraire, il s’oriente directement au sud vers la Veysseyre, ne rejoignant le tracé actuel qu’au niveau de Valaugères, peu avant Saint-Hostien. Quelques kilomètres avant ce village s’en sépare un chemin se dirigeant ver le nord du Puy, en direction de Chaspignac et de Peyredeyre ( 2436 ). De Saint-Hostien, cheminant au nord de l’axe actuel, la route se dirige vers le château de Lardeyrol, prétexte à la perception d’un péage connu à compter du XIVè siècle ( 2437 ). Le toponyme « Les Roches de Malpas » jalonne ensuite le tracé à l’approche de la vallée de la Sumène, rivière qui est traversée par un pont mentionné dès le XIVè siècle ( 2438 ). Finalement, la route rejoint l’axe venu de Tournon et Saint-Agrève au niveau de Doue avant de descendre par la côte de Malescot vers la Loire qui est traversée soit au pont de Brives, soit à celui de Charensac. Ensuite, la route entre au Puy par la porte nord-est de la ville dite « Porte de Vienne », nom éminemment évocateur de la destination sur laquelle elle ouvre ( 2439 ).
L’importance de cet axe ne fait pas de doute. Tout d’abord, rares sont les chemins à être aussi fréquemment désignés par une origine et une destination aussi lointaine : Le Puy d’un côté et Vienne ou au moins le Rhône de l’autre. De plus, au moins quatre péages se prélèvent sur son tracé : Malleval-Maclas au départ, Argental ensuite, Laptes-La Sainte et enfin, Lardeyrol-Le Pertuis. De même, son tracé est jalonné d’au moins quatre hôpitaux dont nous avons conservé la trace : Malleval, Saint-Appolinard, Bourg-Argental et. Saint-Maxime du Tracol, sans compter le prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue qui doit comme tout établissement bénédictin entretenir une hôtellerie.
Cette route desservant le Puy doit en outre être parcourue par nombre de pèlerins ainsi qu’en témoigne encore le pontem romeu de Malleval mentionné en 1363 ( 2440 ), le toponyme de Massa pelerino à Véranne en 1375 ( 2441 ) ou celui de Montjoie proche d’Yssingeaux. L’importance du Puy comme centre de pèlerinage, par-delà le culte marial déjà attractif en lui-même, est renforcée par la position de la cité comme point de départ de l’une des quatre routes conduisant à Compostelle décrite dans le célébrissime Guide du pèlerin de Saint-Jacques. Item a Burgunionibus et Theutonicis per viam Podiensem ad Sanctum Jacobum pergentibus ( 2442 ). L’origine des pèlerins passant prioritairement au Puy nous est donnée. Pour gagner la cité mariale depuis la Bourgogne, le chemin le plus logique consiste à suivre la vallée du Rhône par Lyon jusqu’à Vienne, où affluent aussi les pèlerins venus du nord-est de l’Europe par Chambéry, Aoste et Bourgoin ( 2443 ).
Outre le passage des pèlerins, nous avons plusieurs mentions directes du trafic empruntant le chemin. Ainsi, nous avons déjà souligné que Girard Ricols, miles de Serrières, empruntait en 1247 la route pour se rendre au Puy et demandait alors à être accueilli au prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue. De même, les habitants de Saint-Sauveur bénéficient au XIVè siècle de franchises au péage de Malleval, ce qui marque vraisemblablement leur participation aux flux commerciaux empruntant la route. Plus directement, les contrebandiers rouerguats transportant du billon et se rendant du Massif Central aux foires de Genève en 1424 traversent le Rhône au niveau de « la Gorge de Chavanay », ayant selon toute vraisemblance emprunté la route du Puy au Rhône ( 2444 ).
Si cette route compte parmi les plus importantes de la région, elle peut aussi être considérée comme l’une des plus anciennes. Plusieurs éléments laissent en effet penser qu’elle est pour le moins altimédiévale, sinon assurément antique.
Il est difficile de déterminer avec précision si la route de Vienne à la région du Puy est d’origine antique. Plusieurs éléments convergeant le suggèrent néanmoins fortement, au moins pour une partie de son tracé, entre le Rhône et Yssingeaux, si ce n’est jusqu’au col du Perthuis. Rappelons ici que la cité antique vellave n’est pas le Puy mais Saint-Paulien, situé quelques kilomètres au nord de la cité mariale. Un acte de 1344 mentionne encore un chemin allant du pont de la Sainte à Saint-Paulien ( 2445 ). Comment expliquer qu’à cette date Saint-Paulien soit encore le terme d’un si long chemin alors que ce n’est qu’un village tout à fait secondaire à la fin du Moyen Age ? Sans doute faut-il voir dans ce tracé et dans sa dénomination l’héritier d’un axe antique ayant perduré jusqu’au XIVè siècle, même s’il a alors perdu toute importance. Par ailleurs, nous avons signalé que la route se scindait en deux après le passage du Pertuis : un axe se dirigeant vers le nord et Saint-Paulien par Peyredeyre se sépare de la route conduisant au Puy, probablement qualifié de strata veteri au XVè siècle. Ne peut-on pas voir dans ce chemin, absolument continu et formant presque tout le long une limite de paroisse, le vestige d’un tracé antique gagnant la cité vellave ? Il est très logique que deux chefs-lieux de cités voisins comme Vienne et Saint-Paulien soient reliés par un axe routier important, d’autant plus que Vienne compte au nombre des cités majeures. En outre, le tracé de cette route est assez étroitement jalonné de sites antiques entre Saint-Paulien et Yssingeaux, sur les plateaux vivaro-vellaves, par ailleurs très pauvres et assez largement vides d’hommes avant le Moyen Age ( 2446 ). Si la concentration de sites archéologiques ne constitue en elle-même pas une preuve du passage d’une route, leur localisation dans une bande de quelques kilomètres de part et d’autre de l’axe médiéval au milieu d’un désert humain est un indice significatif. Seule la section la plus montagneuse entre Yssingeaux et Bourg-Argental traverse des secteurs où l’archéologie n’a révélé encore aucun site antique.
Si seules quelques indications ténues permettent de penser que cette route est d’origine antique, nous sommes mieux renseignés pour la période carolingienne. En effet, de retour d’Aquitaine en 767, Pépin-le-Bref suit l’ancienne via Bolena, route de Bordeaux à Lyon, qu’il délaisse au Puy pour gagner Vienne par la route que nous venons de décrire ( 2447 ).
Ensuite, la route est mentionnée dès 1061 dans sa traversée de Saint-Sauveur-en-Rue comme nous l’avons déjà expliqué.
De même, le port de Boeuf auquel aboutit la route et qui permet de traverser le fleuve existe déjà dans les toutes premières années du XIè siècle, puisqu’il est donné entre 1001 et 1003 par Artaldus et son épouse Pétronille, à l’abbaye de Saint-André-le-Bas avec l’église de Saint-Martin et sa terre à partir du Rhône jusqu’à la stratam superiorem ( 2448 ). Il est difficile de savoir si la strata superiorem correspond à notre chemin du Rhône au Puy. C’est toutefois très probable puisque cette strata n’est assurément pas la route de la vallée du Rhône circulant tout à fait à côté du fleuve alors que sa situation « haute » permet de penser qu’elle s’élève sur le coteau rhodanien comme la route du Puy. Le terme de strata semble exclure qu’il s’agisse d’un chemin de desserte locale. Le tracé de cette stratam superiorem ne correspond toutefois sans doute pas à celui de la route de la fin du Moyen Age que nous venons de décrire. En effet, à proximité de l’église Saint-Martin, bien localisée au sud de Saint-Pierre-de-Boeuf, passe un itinéraire très rectiligne et encore continu de nos jours reliant en droite ligne le port de Boeuf et Saint-Appolinard où il rejoint le tracé de la fin du Moyen Age. Sur une longue section, il sert de limite de paroisse entre Malleval et Saint-Pierre-de-Boeuf, signe de son antériorité par rapport au réseau paroissial. Ce chemin perdure encore à la fin du Moyen Age puisque nous le retrouvons mentionné sur la paroisse de Maclas en 1352 sous la forme du chemin de Saint-Appolinard à Boeuf ( 2449 ). Ce premier tracé, pouvant correspondre à l’axe antique et altimédiéval s’est ensuite déplacé pour passer à Malleval, centre d’une châtellenie importante et lieu de marché ( 2450 ). Le château a ici très manifestement attiré la route tout comme il a attiré l’habitat aboutissant à la formation d’un castrum. La situation est la même pour l’axe allant de la Gorge à Maclas, qui est manifestement antérieur à la fixation des limites paroissiales.
De plus, l’occupation altimédiévale de plusieurs lieux où passe la route ne fait pas de doutes. Ainsi, Maclas est chef-lieu d’ager aux IXè et Xè siècles ( 2451 ) et l’église de Bourg-Argental, beaucoup plus loin du Rhône dans la haute vallée de la Deûme, est mentionnée au milieu du IXè siècle ( 2452 ).
Un autre élément peut plaider en faveur de l’ancienneté de la route, et peut-être dès lors, de son importance. Une puissante famille alleutière du Xè siècle étend ses domaines de façon très linéaire sur toute la partie viennoise du tracé de notre route depuis le Rhône jusqu’au col du Tracol au débouché sur le plateau vellave. Ce lignage possède alors dans la région des biens à Maclas, Roisey, Saint-Pierre-de-Boeuf et Burdignes. Il est également à l’origine des deux lignages châtelains d’Argental et de Malleval dont les domaines jalonnent eux aussi la route de Vienne au Puy. C’est d’ailleurs le lignage d’Argental qui fonde le prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue et qui en est le bienfaiteur principal jusqu’à sa disparition ( 2453 ). L’association entre le tracé de la route et ces domaines est telle qu’il faut bien admettre qu’elle a sans doute été un élément géographique déterminant dans la gestion et la structuration du patrimoine de cette famille de puissants alleutiers du Xè siècle et dans l’orientation des seigneuries châtelaines qui lui succèdent.
Tous ces éléments permettent donc de penser que la route existait déjà dès les siècles carolingiens au moins et qu’elle connaissait dès lors une importance non négligeable, tout comme à la fin du Moyen Age. Malgré quelques changements ponctuels de tracés comme au niveau de Malleval, elle semble toutefois avoir conservé son tracé général jusqu’au XVè siècle.
) Ibidem, p. 427.
) AD 43, Hôtel-Dieu, 1B 529, n°5.
) Lascombe (A.): Répertoire général des hommages des évêques du Puy, op. cit., p. 120.
) Nous n’avons trouvé aucun texte médiéval mentionnant cet axe, mais il est continu de bout en bout et son tracé sert encore de limite de commune sur presque toute sa longueur, ce qui implique qu’il est très probablement ancien. Seule une transaction du milieu du XVè siècle entre Dragonet de Saint-Vidal, seigneur de Glavenas, et le représentant de l’abbé de Mazan au sujet des terres du monastères situées autour du col du Perthuis peut éventuellement la mentionner sous le nom de strata veteri [AD 07, 3H 1].
) Perrel (P.) : Yssingeaux et le pays des sucs, op. cit., t. 2, p.16.
) Chassaing (A.) : Dictionnaire topographique de la Haute-Loire, op. cit.
) Rivet (B.) : Une ville au XVI è siècle, Le Puy-en-Velay, op. cit., p. 368.
) AD 42, B 1057, f°189v°.
) AD 42, B 2037, f°9.
) Vieillard (J.) : Le guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, op. cit., p. 48.
) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve, recherches sur le Rhône médiéval, op. cit., t. I : Reconstitution d’objet, vol. 2, p. p. 310.
) Bautier (R.-H.) : « Marchands, voituriers et contrebandiers du Rouergue et de l’Auvergne. Trafics clandestins d’argent par le Dauphiné vers les foires de Genève (1424) », art. cité, p. 674.
) Perrel (P.) : Yssingeaux et le pays des sucs, op. cit., t.1, p. 31-32
) Provost (M.), Rémy (B.) et Pin-Carré (M.-C.) : Carte archéologique de la Gaule n°43, la Haute-Loire, op. cit., 169, 171 et 172.
) Rouche (M.) : L’Aquitaine, des Wisigoths aux Arabes, op. cit., p. 253.
) Cartulaire de Saint-André-le-Bas, n°179, p. 127-129.
) AD 42, B2035, f°3.
) AD 42, B 2037, f°9.
) Batia (J.) : Recherches historiques sur le Forez Viennois, op. cit., p. 16-17.
) Cartulaire de Saint-Maurice, n° 57 p. 23
) Sur cette famille d’alleutiers, sur les lignages châtelains des Argental et des Malleval qui en descendent, comme sur leurs domaines, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitat en Vivarais, X è -XIII è siècles, vol. I, p. 147, vol. III, p. 12.