A- D’Annonay à Serrières, cartes n° 14 et 15

Au nord du Piedmont, une route reliait Annonay et Serrières, dans le sillon rhodanien. Tout au long de son parcours, aux deux derniers siècles du Moyen Age, elle est dite route de Serrières à Annonay ( 2468 ) ou encore de Serrières à Boulieu ( 2469 ).

Au départ d’Annonay, elle empruntait le pont de la Deûme mais elle ne se rendait pas comme la route actuelle à Davézieux qui semble alors desservi uniquement par des chemins locaux ( 2470 ). Ce n’est que la construction ex nihilo au XVIIIè siècle de la « Nouvelle route d’Annonay à Serrières », figurant sur les cadastres napoléoniens, qui y fera passer l’itinéraire Annonay-Serrières.

Le tracé ancien figure encore sur le cadastre à la sortie d’Annonay sous le nom « d’ancienne route d’Annonay à Serrières ». Nous savons qu’en 1446 elle passe à proximité de la Magnam maladeriam ( 2471 ) où le cadastre napoléonien indique encore « l’Ancienne route d’Annonay à Serrières », au quartier de la Reclusière ( 2472 ). Ensuite, l’ancienne route continue vers le nord, passant au lieu-dit de Chabetou ( 2473 ) puis au Mas ( 2474 ) et au bois d’Aumas ( 2475 ) pour arriver à Goudanel. La via quo itur de Prologo apus Annoniaco y est mentionnée en 1329 comme confront d’une terre des Célestins de Colombier-le-Cardinal ( 2476 ). Au niveau de Gourdanel, sur le cadastre napoléonien, notre route porte encore le nom de route de Boulieu à Peaugres ( 2477 ).

Au-delà de Gourdanel, le chemin est encore très lisible sur le cadastre et les cartes, continuant par le Bois de Lagrasse ( 2478 ) et Lagrasse ( 2479 ) pour arriver à Peaugres. Peu avant Peaugres, au lieu-dit de Bièron, le chemin figurant sur les cartes et sur le cadastre de 1832 tourne vers le nord, mais la disposition des limites parcellaires et l’amorce d’un petit chemin vicinal laisse penser que le chemin ancien continuait droit vers Peaugres où il arrivait sensiblement face à l’église. Le tracé suivi d’Annonay à Peaugres est donc très différent de celui de la route construite au XVIIIè siècle. Il a dû alors être abandonné ce qui expliquerait qu’il apparaisse encore très nettement et de manière continue sur nos cartes, n’ayant pas fait l’objet de travaux au cours des trois derniers siècles puisque réduit depuis à l’état de chemin vicinal ou de sentier.

A partir de Peaugres, deux itinéraires descendent en direction de Serrières, sans compter la route du XVIIIè siècle.

Le premier, le plus méridional, n’apparaît pas dans la documentation antérieure au XVIè siècle, mais l’absence de terrier couvrant le sud-est de la paroisse de Peaugres explique sans doute ce fait. Son tracé permet toutefois de supposer qu’il est bien médiéval. Au départ de Peaugres, il est dans le prolongement du chemin venant d’Annonay. C’est en fait ce dernier qui continue jusqu’à Serrières par-delà le village de Peaugres, cette continuité laissant penser qu’il est contemporain de la section Annonay-Peaugres qui, elle, est par contre bien attestée au Moyen Age. Il quitte donc Peaugres par l’est en direction du lieu-dit de Gresseras de Saint-Roch ( 2480 ), puis descend ensuite très directement par la Côte du Vernat, vers le quartier de Saint-Sornin à Serrières. L’inscription du chemin dans le parcellaire est un élément supplémentaire plaidant en faveur de son ancienneté. Sur le cadastre napoléonien, aucune limite de parcelle ne se prolonge des deux cotés du tracé, qui est donc antérieur à la mise en place du parcellaire. Dater cette dernière fournirait ici un ante quem au chemin. Sans pouvoir affirmer quoi que ce soit de précis en la matière faute d’étude spécifique, nous pouvons toutefois penser que le parcellaire est déjà bien en place au XVIIè siècle. En effet, la route établie dans la première moitié du XVIIIè siècle, qui passe une centaine de mètres plus au nord, est nettement surimposée au parcellaire existant qui lui est donc forcément antérieur. Il ne fait donc pas de doute que cet axe, bien que non mentionné dans les textes anciens, ait déjà été en place à la fin du Moyen Age.

Pour sa part, le second chemin de Peaugres à Serrières suit un cheminement tout autre. Au sortir de Peaugres, il se sépare de l’axe sud en direction du nord, passant au hameau de Praclaux, où il est attesté comme confront d’une terre en 1463, ainsi qu’à la Nouherie la même année, puis en 1473 à Gilbergeon ( 2481 ). Plusieurs reconnaissances pour des terres tenues des clarisses d’Annonay, mal localisées mais situées dans ces quartiers, confrontent le chemin qui va à Serrières ou à Boulieu ou encore à Annonay ( 2482 ). Ensuite, le chemin, encore très nettement visible sur les cartes I.G.N., et à plus forte raison sur le cadastre, passe par les lieux de La Remise et Bénévis pour descendre ensuite en longeant le ruisseau de Vergelet ( 2483 ) jusqu’au castrum de Serrières. En 1377, une terre y « iouxte le chemin d’Andance à Serrières ou soit d’Annonay à Serrières » ( 2484 ). La liaison entre les deux axes sud et nord permet d’établir une chronologie relative certaine entre les deux : le chemin du nord est postérieur à celui du sud sur lequel il vient se raccorder perpendiculairement

L’importance de la route du XIIIè au XVè siècle ne fait pas de doute. Un péage portant tant sur les marchandises transitant par le Rhône que sur les produits originaires ou à destination du Piedmont annonéen, et au-delà vers le Velay, se lève à Serrières ( 2485 ). Serrières apparaît de plus à de très nombreuses reprises entre les XIIIè et XVè siècles comme un port important, qu’il s’agisse de traverser le fleuve ou de débarquer et d’embarquer des marchandises ( 2486 ). D’un point de vue technique, c’est un port qui apparaît comme l’un des meilleurs de cette section du Rhône, ses berges comptant parmi les plus sûres et les plus commodes ( 2487 ).

Le rôle clef de Serrières dans les relations entre le Velay et la vallée du Rhône est clairement mis en évidence en 1275 lorsque Arnaud de Lamastre, prieur de Saint-Sauveur-en-Rue, d’une part, et Vivien et Guillemet, pontonniers du port de Serrières, de l’autre, transigent sur les droits de passage au-delà Rhône exigés du prieuré de Saint-Sauveur ( 2488 ). Les pontonniers s’engagent à passer au port de Serrières, pour les besoins de la grange de la Chalmeta, le prieur, ses familiers, ses envoyés et les animaux de la grange, moyennant une quarte de blé à la mesure de Serrières et un repas à prendre au prieuré de Saint-Sauveur lorsque ceux-ci iront à Notre-Dame du Puy ou lorsqu’ils en reviendront. Les troupeaux du prieuré de Saint-Sauveur qui traversent le Rhône sont sans doute des troupeaux transhumants passant l’hiver dans les plaines du sillon rhodanien et regagnant par Serrières, Annonay, Bourg-Argental et la vallée de la Deûme leurs pâturages d’été sur le rebord nord-est du plateau vellave ( 2489 ).

Les marchands de la région romanaise se rendant en rive droite du Rhône pour y acheter draps et bétail déclarent en 1514 traverser le Rhône à Peyraud, non loin au sud de Serrières, gagnant ensuite l’intérieur du Vivarais et Annonay où ils commercent par notre route ( 2490 ).

Par-delà des transports commerciaux et des mouvements très certainement liés à la transhumance, la route d’Annonay à Serrières est un axe de pèlerinage conduisant au Puy. Ceci nous est rappelé par la transaction de 1275 lorsque les pontonniers de Serrières, en échange de leurs largesses vis-à-vis du prieuré, obtiennent d’y passer la nuit lorsqu’ils vont ou reviennent de Notre-Dame du Puy. L’emploi de l’hagionyme « Notre-Dame du Puy » et non simplement du toponyme « Le Puy » ne laisse subsister de doute sur les mobiles du voyage.

Il est difficile de préciser l’ancienneté de l’itinéraire faute de textes mais nous avons toutefois un faisceau de présomptions permettant de penser raisonnablement que la route de Serrières à Annonay est certainement antérieure au Xè siècle, sans aller plus avant dans la précision.

En effet, remarquons que la branche sud du chemin qui se sépare en deux à partir de Peaugres, n’arrive pas au castrum de Serrières qui est à la fin du Moyen Age le pôle d’habitat le plus peuplé mais qu’il dessert au contraire la vieille église Saint-Sornin, à proximité de laquelle se trouvait certainement le premier noyau de peuplement et le port du haut Moyen Age, antérieurement à l’implantation du château. Il est toutefois difficile de situer avec précision l’apparition de Saint-Sornin, mais notons que la première mention de l’église de Serrières date du Xè siècle ( 2491 ). Retenons aussi le vocable de l’église de Serrières, Saint-Saturnin en occitan, qui peut-être considéré comme un bon marqueur d’une église du très haut Moyen Age, certainement antérieure au VIIIè siècle ( 2492 ). L’occupation du site de Saint-Sornin dès cette époque voire dès l’Antiquité est donc fortement probable ( 2493 ). La route existait-elle déjà ? Nous ne pouvons l’affirmer, mais retenons en la possibilité.

En outre, dès le Xè siècle, le Rhône est traversé très régulièrement et sans difficulté. En effet, en 970, Ascherius, chanoine de Saint-Maurice-de-Vienne, et ses frères, donnent à la mense des chanoines de cette église, que préside l’archevêque Teutbaldus, divers biens dans l’ager d’Annonay dont l’église Saint-Sornin, au port de Serrières et une part de leur héritage contenant trois manses limités par le Mons Vercingus, par la voie publique qui va de Serrières à Salicibus et par le Rhône ( 2494 ). Le lieu de Salicibus n’est autre que Salaise-sur-Sane, la route reliant dons les deux rives du fleuve.

A l’inverse, le second itinéraire passant plus au nord se dirige directement vers le castrum dont l’apparition fournit un terminus a quo à la création de cette branche nord : les premières mentions textuelles que nous ayons du château de Serrières sont du courant du XIIè siècle ( 2495 ). La route d’Annonay à Serrières apparaît comme un bon exemple des évolutions d’un itinéraire. Dirigé dans un premier temps vers le port de la fin du haut Moyen Age et l’église Saint-Sornin qui constitue le premier pôle structurant l’habitat, il se détourne ensuite de sa destination ancienne du fait de la fondation du château et de la création du castrum. L’incastellamento aboutit ainsi à un déplacement du centre de Serrières vers le nord que la route suit, sans doute dans le courant du XIIè siècle.

La seconde route d’Annonay au Rhône conduit pour sa part à Champagne, à quelques kilomètres au sud de Serrières.

Notes
2468.

) AD 07, 11H, sac 2, pièce F2.

2469.

) AD 07, 90H 10.

2470.

) AD 07, 11H, sac 1, pièce H 1.

2471.

) AD 07, 90H 98.

2472.

) Annonay, cadastre de 1826, section de Vicenty feuillle D1.

2473.

) Annonay, cadastre de 1826, section de Vicenty feuille D1.

2474.

) Davézieux, cadastre de 1826, section de la Croix de la Justice feuille A1.

2475.

) Davézieux, cadastre de 1826, section de la Croix de la Justice feuille A1.

2476.

) AD 07, 11H, sac 1, pièce N 1.

2477.

) Saint-Clair, cadastre de 1826, tableau d’assemblage.

2478.

) Carte I.G.N. 1/25000è, Serrières, 3034 ouest.

2479.

) Peaugres, cadastre de 1832, tableau d’assemblage.

2480.

) Peaugres, cadastre de 1832, section d’Artruc feuille B1.

2481.

) AD 07, 90H 10. Peaugres, cadastre de 1832, section de Praclos feuille A2.

2482.

) AD 07, 90H 10.

2483.

) Carte I.G.N. 1/25000è, Serrières, 3034 ouest.

2484.

) AD 07, 11H, sac 2, pièce F 2.

2485.

) Cf. t. I, annexe n°13.

2486.

) Cf infra, p. 618-620.

2487.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve..., op. cit., t. I, vol. 2, p. 355.

2488.

) Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, n°CCXIV

2489.

) Cf. t. I, p. 253-254.

2490.

) AM Romans, CC 472, f°345.

2491.

) Chevalier (U.) : Chartes de Saint-Maurice-de-Vienne, de Léoncel et de l’église de Valence, op. cit., (cartulaire de Saint-Maurice-de-Vienne), n°115*.

2492.

) Aubrun (M.) : La paroisse en France, op. cit. p. 17. Si la qualité de marqueur chronologique de certains vocables évoqués par Michel Aubrun doit être reconsidérée (comme Saint-Pierre par exemple qui dans la région désigne même des chapelles castrales à l’image de celle de Privas), d’autres comme Saint-Etienne ou Saint-Martin par exemple, mais aussi dans le cas qui nous occupe Saint-Saturnin, peuvent encore être tenus pour spécifiquement issus du très haut Moyen Age.

2493.

) Aucun travail de carte archéologique ne vient apporter une vision d’ensemble de l’occupation antique du site de Serrières, néanmoins, la région paraît largement peuplée et à Serrières même, un sarcophe antique a été utilisé en réemploi dans une construction post médiévale (renseignement Pierre-Yves Laffont).

2494.

) Cartulaire de Saint-Maurice-de-Vienne, n°115*

2495.

) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitat en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., t. III, p. 344.