B- D’Annonay à Champagne, cartes n°16 et 17.

Le « grand chemin d’Annonay à Champagne », pour sa part, est mentionné en 1455 au lieu-dit de Gurin « proche du lieu de la grosse pierre ronde », non loin au sud de Peaugres comme confront d’une terre des célestins de Colombier-le-Cardinal ( 2496 ). Si cette énigmatique « grosse pierre ronde » demeure non localisée sur nos cartes, le lieu de Gurin est par contre facilement identifiable, ce qui permet avec l’aide du cadastre de retrouver le tracé du chemin.

Au départ d’Annonay, le chemin sort lui aussi de la ville par la porte et le pont de Deûme, comme tous les axes se dirigeant vers l’est. Il passe ensuite au sud de la Grande Maladrerie d’Annonay, le chemin de Serrières passant pour sa part au nord. Son tracé, aujourd’hui bouleversé par l’établissement des zones industrielles de l’est d’Annonay est encore visible sur le cadastre. Il passe par La Lombardière ( 2497 ) puis continue par la Croix de Justice ( 2498 ). Il est difficile de préciser si ce toponyme marque la limite de deux juridictions, mais notons toutefois qu’il borde la route et qu’il est sans doute le témoin de la présence de fourches patibulaires plantées symboliquement en bordure de l’axe routier. Au-delà, la route passe par Charameille ( 2499 ) et La Pelouse, sur la commune de Colombier-le-Cardinal, à proximité du quartier de Gurin où il est mentionné en 1455. A partir de La Pelouse, le chemin constitue la limite des paroisses de Saint-Cyr et de Peaugres, puis de Bogy et de Saint-Cyr, de Bogy et de Saint-Désirat et enfin de Bogy et Champagne sur une distance de plus de sept kilomètres, traversant le plateau annonéen en droite ligne. Sur la paroisse de Bogy, au lieu-dit du Suc de Juvet, s’en détache la route que nous avons déjà présentée reliant Champagne à Saint-Julien-Molin-Molette et au-delà à la vallée du Gier.

La descente sur Champagne n’est pas renseignée par les textes médiévaux, mais le cadastre apporte des éléments, de même que la carte I.G.N. Le chemin, suivant alors la limite paroissiale entre Champagne et Bogy, s’oriente vers le nord et descend sur le coteau rhodanien au lieu-dit de la Cote du Panel pour rejoindre Champagne et entrer dans le bourg par l’ouest, face à l’église.

Si aucun péage ne semble peser sur les marchands empruntant la route d’Annonay à Champagne, hormis celui d’Annonay, c’est sans doute parce que cette route ne sort que peu du très vaste mandement d’Annonay et ne traverse manifestement aucun autre mandement entre Annonay et le Rhône. Il ne faut donc pas y voir la marque de l’éventuelle faible importance de notre chemin mais simplement le résultat du découpage des mandements. Au débouché de la route, le port de Champagne apparaît comme un point important, permettant de traverser le Rhône ou encore de débarquer et d’embarquer des marchandises sur le fleuve qui draine quantité de marchands ( 2500 ). Ainsi, les Dauphinois commerçant le drap et le bétail avec le Vivarais déclarent en 1514 passer par le port de Champagne, donc très certainement par la route d’Annonay pour gagner les régions d’élevage de l’intérieur du Vivarais ( 2501 ). Nous avons par ailleurs déjà mentionné les contrebandiers rouerguats transportant du billon d’argent en direction des foires de Genève qui traversent le Rhône à Chavanay en 1424. Dans le même temps, un second convoi descendu du Massif Central plus au sud, par Privas, traverse le Rhône à Champagne ( 2502 ). Certes, leur route ne passe pas par Annonay, mais leur passage à Champagne témoigne de l’activité du port.

De plus, de l’autre côté du Rhône en rive gauche arrive face à Champagne une route permettant de rejoindre le bas Grésivaudan et de là Grenoble et les Alpes, en passant par la vallée de la Valloire ( 2503 ).

Les caractères de la route permettent de penser que son tracé remonte selon toute vraisemblance au très haut Moyen Age, si ce n’est à l’Antiquité. En effet, il est net qu’il a servi de limite aux paroisses, scellant son antériorité par rapport à ces dernières. En outre, le nord du Piedmont annonéen, tout comme le rivage rhodanien au niveau de Champagne, comptent parmi les régions du nord du Vivarais les plus peuplées dès l’Antiquité ( 2504 ). De plus, de la route de Champagne, part la route de Saint-Julien-Molin-Molette que nous tenons, elle aussi, pour altimédiévale, voire antique.

Champagne s’affirme donc comme un point de départ important pour les routes pénétrant à l’intérieur du Vivarais au haut Moyen Age. Seule l’archéologie pourrait toutefois apporter des éléments précis sur le niveau de développement ancien de cette localité que quelques découvertes fortuites laissent entrevoir.

Notes
2496.

) AD 07, 11H, sac 2, pièce 11.

2497.

) Davézieux, cadastre de 1826, section B.

2498.

) Davézieux, cadastre de 1826, section de la Croix de Justice, feuille A2.

2499.

) Aujourd’hui Sarameille, Davézieux, cadastre de 1826, section de la Croix de Justice, feuille A2.

2500.

) Cf. infra, p. 622.

2501.

) AM Romans, CC 472, f°345.

2502.

) Bautier (R.-H.) : « Marchands, voituriers et contrebandiers du Rouergue et de l’Auvergne. Trafics clandestins d’argent par le Dauphiné vers les foires de Genève (1424) », art. cité, p. 677.

2503.

) Rossiaud (J.) : Réalité et imaginaire d’un fleuve..., op. cit., t. I, vol. 2, p. 358.

2504.

) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., vol. I, p. 51 et 52.