E- D’Annonay à Tournon par Quintenas et Etables, cartes n°20 à 23

L’itinéraire majeur partant depuis Annonay en direction du sud est la route de Tournon. Il apparaît à plusieurs reprises dans la documentation des deux derniers siècles du Moyen Age.

En 1446, il quitte Annonay par le pont de Cance (Pontem Cancie) et dès lors il est mentionné comme allant à Tournon ( 2531 ). En 1381, nous le retrouvons peu après, ultram Canciam ( 2532 ). Passée la Cance, au voisinage de la parve maladeriam d’Annonay et non loin du Pilas Roffiaci ( 2533 ), il est désigné en 1398 sous le nom de chemin qui va d’Annonay à Quintenas ( 2534 ). Le cadastre napoléonien permet de suivre son tracé jusqu’à Quintenas : après la maladrerie de Roiffieux, le chemin continue en relative ligne droite vers le quartier de Maure, aux confins des communes de Roiffieux, de Vernosc et de Quintenas ( 2535 ). A ce niveau, la route du XVIIIè siècle contourne la dépression du Lac d’Embrun par le sud-ouest alors que le chemin médiéval passe beaucoup plus directement au nord de celui-ci pour continuer jusqu’à Quintenas par un tracé parallèle à la route du XVIIIè siècle sur laquelle est établie l’actuelle R. D. 578. Le chemin médiéval est simplement décalé de cinquante à cent mètres vers l’ouest passant au lieu de Sinfonts ( 2536 ). La continuité du tracé sur cette section ne pose aucun problème et le tracé vient parfaitement s’inscrire dans le parcellaire, à la différence de la route du XVIIIè siècle qui lui est voisine.

Au sortir de Quintenas, la route ancienne suit toujours un tracé plus à l’ouest que la route du XVIIIè siècle, très nettement identifiable sur le cadastre au lieu-dit de la Chapelle ( 2537 ). Plus au sud, au lieu de Centuron ( 2538 ), le chemin croise le tracé antique ou alti médiéval de la route de Silon à Satillieu. A ce niveau, il entre aussi dans le mandement du château d’Ay dans l’étendue duquel se lève un péage au moins aux deux derniers siècles du Moyen Age ( 2539 ). Rien ne nous permet toutefois de savoir en quels points précis il était perçu. Encore plus au sud, au quartier Des Routes, le chemin coupe le tracé tardimédiéval de la route de Silon à Satillieu. Sur cette dernière route de Silon à Satillieu, mais non loin du carrefour avec celle de Tournon, se trouvait l’hôpital de Bille. N’étant pas implanté directement sur la route d’Annonay à Tournon, un court chemin, encore visible sur le cadastre sur lequel il forme une limite parcellaire nette, s’en écarte et y conduit le voyageur ( 2540 ).

Encore plus au sud, la route passe au lieu de Daillon, et selon toute vraisemblance devait traverser l’Ay non loin du lieu de Jaquier. En 1366, nous savons que le chemin passe à proximité d’un moulin malheureusement non nommé ( 2541 ) et que peu après avoir franchi l’Ay, s’en sépare la route de Préaux, Vaudevant et Saint-Félicien. Entre Daillon et Jaquier, la route figurant sur le plan napoléonien marque un grand virage vers l’ouest, mais un sentier direct pouvant correspondre au chemin médiéval continue tout droit. C’est sur ce dernier que le parcellaire vient s’appuyer, signe de son ancienneté relative, et non sur la route qui recoupe les parcelles laissant penser qu’au début du XIXè siècle, elle est de construction récente. La situation est similaire de l’autre coté de l’Ay, où la route serpente pour remonter vers Saint-Jeure alors que le chemin médiéval doit correspondre au chemin vicinal recoupant tous les virages en ligne droite.

Au sud de Saint-Jeure-d’Ay, la route n’est renseignée par aucun texte médiéval jusqu’à Etables. Le cadastre est donc notre seule source mais il demande à être abordé avec précautions. Il est tentant de tracer le chemin médiéval sur l’emplacement de la route figurant sur le plan cadastral, mais la chronologie du parcellaire et de la route rend cela impossible entre Saint-Jeure-d’Ay et le hameau de Bareyssac. En effet, la route cadastrée coupe très souvent le parcellaire figurant sur le plan, signe qu’elle ne peut être très ancienne et certainement pas médiévale. Selon toute vraisemblance, la route médiévale devait passer par Senovert puis par Les Grands Meyrieux, tracé sur lequel la continuité de l’itinéraire est évidente. Ensuite, à partir des Grands Mérieux, sur un kilomètre environ, le tracé est moins net, remontant par le vallon du ruisseau de Belhomme jusqu’à proximité du hameau de Fontanet où nous le retrouvons nettement. Sur cette section, le parcellaire marque toutefois une limite très rectiligne pouvant correspondre à l’ancien chemin sur lequel les parcelles se sont peu à peu étendues jusqu’à le faire disparaître. Le chemin continue ensuite, traversant la paroisse d’Etables ( 2542 ), par la Croix du Fraysse puis Crémolière, le Buisson, Bel Air et enfin Brouty pour arriver au-dessus de la vallée du Doux au niveau de Monéronne.

Sur cette section, à partir de Fontanet, la route se confond pratiquement tout le long de son tracé avec les limites paroissiales de Lemps et d’Etables puis de Saint-Jean-de-Muzols et Lemps.

Le tracé du chemin descendant de Monérone jusqu’au Doux a été modifié en 1719, mais les travaux ont avant tout consisté à établir des lacets serpentant autour du tracé ancien qui figure encore sur les cadastres sous la forme d’un sentier direct ( 2543 ). A ce niveau, la reconstruction du pont sur le Doux, à la fin du Moyen Age, a déplacé le point de franchissement de la rivière de 300 mètres vers l’aval environ. Ce dernier est passé du pont dit « de César », détruit par une crue au milieu du XIIIè siècle au « Grand Pont », achevé au début du XVIè siècle, un bac ayant fonctionné pendant ce long intervalle. En 1350, les consuls de Tournon justifient d’ailleurs l’autorisation demandée au roi de créer une imposition extraordinaire pour financer la reconstruction du pont en expliquant son importance puisqu’il permet d’aller non seulement à Lyon par la vallée du Rhône, mais aussi à Annonay ( 2544 ).

Passé le pont dit « de César », le bac ou le « Grand Pont », selon l’époque, le chemin continu par le détroit de Malpas. C’est la dernière difficulté au sortir des gorges du Doux. Ce point apparaît au milieu du XVIIIè siècle comme particulièrement dangereux, le voyageur risquant de verser dans la rivière. Ceci justifie les travaux d’élargissement engagés en 1759 ( 2545 ). Entre le Malpas et Tournon, le chemin circule au fond de la vallée du Doux, passant par le lieu d’Interaquis ( 2546 ). Ce toponyme, mentionné au nord de la route en 1437, demeure non localisé mais il est permis de penser qu’il désigne les terres se trouvant comprises entre le cours du Rhône et celui du Doux, correspondant aux quartiers actuels de Rochebonne ou des Sables. Si on localise Interaquis sur les berges du Doux, la route passant au sud de ce lieu, elle devait avoir un tracé proche de l’actuel R.D. 532. Les travaux de 1757 visant à la rendre insubmersible laissent toutefois penser qu’elle passait plus bas qu’aujourd’hui, en traversant la plaine du Doux ( 2547 ). L’entrée dans Tournon se faisait par la porte nord dite Portam Dulcis ( 2548 ).

Pour finir, mentionnons qu’un péage se lève dans le mandement de Tournon au moins depuis la fin du XIIè siècle, portant tant sur la navigation rhodanienne que sur les marchandises transportées par terre, donc sur la route qui nous intéresse ici ( 2549 ).

Retenons aussi une variante d’itinéraire sur la descente du coteau rhodanien vers le Doux. Il est possible que celle-ci se soit aussi effectuée en direction de Saint-Jean-de-Muzols depuis le quartier des Grands Bois. Ce chemin, bien que non mentionné dans la documentation ancienne, présente tous les caractères d’un axe ancien remanié au XVIIIè siècle pour le rendre carrossable. Nous sommes en présence sur le cadastre napoléonien d’un chemin dévalant assez directement la pente, coupée par une route en lacets postérieure s’apparentant à un tracé de roulage. En outre, ce chemin abouti à la Domus Hospitale Pontem Dulcis ( 2550 ) qui n’est autre qu’un membre de la commanderie des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem de Devesset généralement appelé de la Sainte-Epine ( 2551 ). De là, le chemin permet de gagner très directement Tournon en ne passant pas par le pont qui constitue un détour de 7 à 8 kilomètres, distance non négligeable lorsque l’on chemine à pieds. Ce « raccourci » n’est toutefois praticable que lorsque le niveau des eaux du Doux est bas, situation qui se présente durant le tiers ou la moitié de l’année, en été et en hiver. Pourquoi le pont n’a-t-il pas été construit au niveau de ce passage à gué ce qui aurait eu pour effet de ne pas allonger artificiellement la distance ? Le lieu de construction du pont, en retrait de la vallée du Rhône s’explique, sans doute par des raisons techniques, comme la recherche d’appuis rocheux solides. En effet, il n’y en a pas dans la plaine alluviale qui s’étend en aval du lieu choisi pour la construction.

L’importance de cet itinéraire ne semble pas faire de doute, au moins au niveau régional, puisque c’est la seule route reliant les deux villes principales du nord du Vivarais à la fin du Moyen Age. En 1446, il est d’ailleurs qualifié d’iter publicum et regale ( 2552 ).

La volonté affichée des consuls de Tournon d’aboutir à la reconstruction du pont du Doux, malgré les multiples incidents qui ont émaillé les travaux, ne semble avoir jamais faibli de la chute du premier pont en 1252 au début du XVIè siècle qui marque l’achèvement des travaux. C’est dire l’importance de cet axe pour la ville.

Les sources sont muettes en ce qui concerne l’ancienneté de la route antérieurement au XIIIè siècle. Un faisceau de présomptions permet toutefois de penser qu’elle peut être du haut Moyen Age ou pour le moins des siècles carolingiens.

Tout d’abord, cette route relie les chefs-lieux d’agri voisins de Tournon et d’Annonay, ce qui peut plaider en faveur de son ancienneté, sans pour autant préjuger de l’importance de l’itinéraire au haut Moyen Age.

Tout d’abord, son trajet est jalonné de plusieurs lieux occupés dès le haut Moyen Age dont le principal est sans doute Quintenas, paroisse existant déjà en 772 ( 2553 ) et archiprêtré du diocèse de Vienne depuis 805 au moins ( 2554 ). Cette paroisse constitue certainement avec Tournon et Annonay déjà cités, le troisième pôle important de peuplement du Haut-Vivarais altimédiéval.

Pour finir, notons aussi que la route a servi de limite entre les paroisses de Cheminas, d’Etables, de Lemps et de Saint-Jean-de-Muzols sur sept kilomètres de développement, ce qui laisse penser que ses origines sont anciennes. Nous ne possédons toutefois aucun renseignement assuré sur la période de fondation de ces quatre paroisses, et encore moins sur la fixation de leurs limites ce qui aurait pu apporter un terminus ante quem à l’apparition de la route d’Annonay à Tournon. Il est toutefois fort probable que ces églises, à l’image de celle des régions mieux documentées du sud du Vivarais, soient déjà pour l’essentiel en place aux VIIè ou VIIIè siècles. La fixation des limites paroissiales liées à l’achèvement des fondations d’églises paroissiales est toutefois généralement à placer aux IXè et Xè siècles ( 2555 ). Nous pouvons donc penser que cette route est antérieure à ces deux siècles, sans pouvoir apporter une quelconque précision supplémentaire. Rien n’indique assurément son importance d’alors mais toutefois, si elle a perduré sur une aussi longue durée, ne peut-on pas supposer que c’est en raison de son développement même dès le haut Moyen Age ?

Notes
2531.

) AD 07, 90H 98, f°15v°.

2532.

) AD 07, 90H 50, pièce 7.

2533.

) Ces deux lieux-dits figurent encore explicitement sur la carte I.G.N. 1/25000è n°2934 est, Annonay.

2534.

) AD 07, 90H 3, f°13v°.

2535.

) Vernosc, cadastre e 1832, tableau d’assemblage.

2536.

) Quintenas, cadastre de 1832, section du Bresnaud feuille A2.

2537.

) Quintenas, cadastre de 1832, section de Chizaret feuille C.

2538.

) Quintenas, cadastre de 1832, section de Chizaret feuille C.

2539.

) AD 07, 59J 54, p. 162.

2540.

) L’hôpital de Bille n’est mentionné par aucun document médiéval consulté. Seule la toponymie nous en rappelle l’existence. Le risque de confusion avec des possessions des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, ici éventuellement la commanderie de Devesset, est très réduit. En effet, le chartrier de cet établissement ne signale aucun bien, aussi petit soit-il dans le secteur. En outre, le toponyme s’applique précisément à un groupe de bâtiments nettement circonscrit et non à un quartier entier, comme ce serait plus probablement le cas avec une possession d’une commanderie.

2541.

) AD 07, 1E 1589, f°14v°.

2542.

) AD 07, G 305.

2543.

)AD 07, C 866, n°50.

2544.

) Mazon (A.) : Notes historiques sur Tournon et ses seigneurs des origines au XVIII è siècle, op. cit., p. 75.

2545.

) AD 07, C 866, n°15.

2546.

) AD 07, G 279.

2547.

) AD 07, C 866, n°8.

2548.

) AD 07, G 303.

2549.

) AN, Q1/31, n°9.

2550.

) AD 07, G 241.

2551.

) Patrié (Fl.) : « Deux membres de la commanderie hospitalière de Devesset en Haut-Vivarais et leurs chapelles : Sainte-Epine de Tournon et Saint-Georges d’Annonay », art. cité.

2552.

) AD 07, 90H 98.

2553.

) Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., vol. I, p. 65.

2554.

) Charvet (C.) : Histoire de la Sainte Eglise de Vienne, op. cit., p. 653-655.

2555.

) Lemps pourrait apparaître pour la première fois en 774 ou 776 dans un diplôme de Charlemagne en faveur de l’abbaye de Saint-Oyand [Mühlbacher (E.) : Die Urkunden Pippins, Karlmmans und Karls des Grossen, op. cit., n° 301, p. 452-453]. Cet acte semble toutefois, au moins en partie, faux. [Poupardin (R.) : « Etude sur les deux diplômes de Charlemagne pour l’abbaye de Saint-Claude », art. cit.].

Sur la mise en place du réseau paroissial, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., vol. I, p. 68.