F- D’Annonay à Saint-Bonnet-le-Froid par la Cance, cartes n°24 à 26

Depuis Annonay, une route importante permet de gagner le Velay. Elle emprunte la vallée de la Cance qu’elle suit jusqu’au plateau vivaro-vellave où elle rejoint les autres itinéraires venus soit du Piedmont Annonéen, des abords de la vallée du Doux ou encore du massif du Pilat pour continuer vers Yssingeaux et Le Puy. Elle n’est pas extrêmement bien documentée sur la partie vellave de son tracé, mais il est toutefois possible d’en restituer le tracé avec une certaine précision, au moins en Vivarais, essentiellement grâce à une terre du milieu du XVè siècle couvrant la vallée de la Cance ( 2556 ).

La route quitte Annonay par la place du Champ, en direction de la vallée de la Cance ( 2557 ). Au sortir d’Annonay, en 1479, une vigne localisée in territorio Annoniaci vocato de Cornas, confronte l’iter regium qua itur de Annoniaco versus Valliscanciam ( 2558 ). Ce lieu de Cornas est sans doute à identifier avec le toponyme actuel de Cornieu, sur la commune d’Annonay ( 2559 ). Au-delà de Cornieu, la route est encore très visible sur le cadastre napoléonien ( 2560 ) mais son tracé a toutefois été modifié au XVIIIè siècle afin de rendre le roulage plus facile pour les charrois. Les travaux ont alors surtout consisté à allonger le parcours en repoussant le chemin jusqu’au fond des différents vallons qui descendent vers la Cance ( 2561 ). Le tracé ancien, dont subsistent plusieurs segments de sentier, passe donc par les lieux de Cornieu, Des Aygas, des Barraques et enfin du pont de Tines. Le chemin rejoint la vallée de la Cance au lieu de La Vigneronde, circulant ensuite en fond de vallée par Les Roberts et Plat jusqu’à Villevocance ( 2562 ).

Après Villevocance, la route continue vers Vocance par un tracé qui en 1458 « jouxte la Cance » ( 2563 ). Il traverse celle-ci au lieu-dit du Pont de Paillas ( 2564 ) où figure un pont sur le cadastre napoléonien, pont dont nous ne savons pas s’il existait au Moyen Age. Après le pont, la route passe au lieu-dit la Détourbe, puis arrive à Vocance. A Vocance, elle traverse le village même, au plan linéaire caractéristique des villages rues rencontrés dans bien des vallées vivaroises ( 2565 ).

Au-delà, la route continue vers Saint-Julien-Vocance où elle est aussi mentionnée en 1458 ( 2566 ). Le cadastre napoléonien représente la route du XVIIIè siècle passant par Le Noyer puis Pratblanc, en suivant un tracé plus éloigné de la Cance que la route actuelle ( 2567 ). Cette route reprend selon toute vraisemblance le tracé antérieur, puisqu’il n’a pas été prévu d’y faire des travaux faute de crédits suffisants lorsque l’ensemble de l’itinéraire a été repris ( 2568 ).

De Villevocance au nord à Saint-Julien-Vocance au sud, la route traverse le mandement du château de Vocance dans l’étendue duquel se levait un péage mentionné à plusieurs reprises à partir du milieu du XIVè siècle ( 2569 ). Nous ne savons toutefois rien des postes où il était perçu.

Après Saint-Julien, la route continue en rive droite de la Cance en passant aux lieux-dits Le Villard, Lauthéal, La Veyrières et pour finir, Les Baraques ( 2570 ). Une fois au col des Baraques, la route obliquait vers le plateau vellave qu’elle atteignait au niveau de Saint-Bonnet-le-Froid, le terrier de 1458 mentionnant la route de Vocance à Saint-Bonnet ( 2571 ). Sur cette section, les travaux du XVIIIè siècle, toujours pour des raisons budgétaires semblent avoir été limités à quelques reprises de tracé au croisement du chemin avec les ruisseaux affluents de la Cance et à la réfection des ponceaux qui s’y trouvent, ne modifiant en rien le plan d’ensemble de la route.

Saint-Bonnet-le-Froid est l’un des postes où se percevait le péage et pulvérage du mandement de Beaudiner à propos duquel les seigneurs de Beaudiner et de Mahun transigent en 1264 ( 2572 ). En 1281, Guillaume de Beaudiner, en rédemption de ses pêchés et de ceux de ses parents, donne le péage de Saint-Bonnet à l’OEuvre du Saint-Esprit de Saint-Saturnin-du-Port ( 2573 ).

A Saint-Bonnet-le-Froid, le voyageur venant d’Annonay rejoint la route de Tournon au Puy qui l’emmène jusqu’à Yssingeaux où il rencontre la route de la vallée de la Deûme par laquelle il continue jusqu’à la cité vellave.

L’importance de cette route ne fait pas de doute, au moins pour les trois derniers siècles du Moyen Age. La multiplication des péages qui se prélèvent sur son trajet l’atteste. Sur la section vivaroise de la route, trois mandements sont traversés, qui tous trois donnent lieu à une taxation : Annonay au départ, Vocance ensuite et pour finir, Beaudiner. En outre, cette route est qualifiée d’iter regium dès le XVè siècle, signe certain de son importance ( 2574 ).

De plus, la donation du péage de Saint-Bonnet-le-Froid en faveur de l’OEuvre du Saint-Esprit de Saint-Saturnin-du-Port en 1281 reflète largement les relations qui se tissent entre le Velay et le sillon rhodanien par cet axe.

Un autre acte concernant le péage du mandement de Vocance atteste des circulations entre le Velay et le Piedmont annonéen par la vallée de la Cance. En 1475, un différend entre Jacques de Tournon, seigneur de Vocance, et les habitants de la seigneurie de Montregard qui se trouve sur le trajet vellave de la route est réglé par le commissaire du sénéchal de Beaucaire spécialement nommé à cet effet. Celui-ci contraint les habitants de Montregard à solder le péage de Vocance malgré leurs refus ( 2575 ). Le fait qu’un tel litige mette aux prises le péager de Vocance avec l’ensemble des habitants est révélateur de l’importance de la route pour ce village. Nous le verrons par la suite, c’est dans de telles localités que se recrutent le plus souvent les muletiers assurant les transports, ce qui nous semble expliquer l’importance que revêt à leurs yeux une éventuelle, mais non confirmée, exemption de péage ( 2576 ).

Pour finir, mentionnons l’évêque de Mende, Jean Petitdé, qui, se rendant de sa cité à Vienne en 1478, a sans doute emprunté la route de la vallée de la Cance. En effet, lors de son étape à Annonay, il décède pour des raisons qui nous sont inconnues. Il est aisé de restituer l’itinéraire emprunté pour rallier Vienne depuis le Gévaudan, passant certainement par Le Puy, Saint-Bonnet-le-Froid, la Cance puis Annonay. Ensuite son voyage aurait probablement dû se continuer, selon toute vraisemblance, par Peaugres et Serrières ( 2577 ).

Si l’importance de la route de la Cance ne fait pas de doute, il est beaucoup plus difficile de lui assigner une datation. Les premières mentions du chemin ne sont pas antérieures à la seconde moitié du XIIIè siècle et à la contestation qui s’élève en 1264 au sujet du péage de Saint-Bonnet-le-Froid entre le seigneur de Beaudiner et celui de Mahun, la présence d’un péage soutendant celle de la route ( 2578 ).

Tout au plus, pour les périodes antérieures, peut-on souligner que la région d’Annonay sur laquelle débouche cette route est anciennement et fortement peuplée. La vallée de la Cance, immédiatement en amont d’Annonay, apparaît elle aussi peuplée dès l’Antiquité ou le très haut Moyen Age, ainsi que l’attestent des toponymes de forme ancienne comme Vanosc, Vertrosc et Metrosc, par exemple, formés sur un radical de nom de personne suivi du suffixe -oscum ( 2579 ).

La vallée de la Cance forme explicitement, avec Annonay à son débouché sur le Piedmont, un archiprêtré du diocèse de Vienne qui en 805 est mentionné avec les huit autres archiprêtrés du diocèse sous la forme de Annoniaci et Valliscanti, lorsque Charlemagne dote l’église de Vienne après qu’elle ait été relevée de sa ruine par l’archevêque Volferius ( 2580 ).

En outre, preuve de l’importance de l’occupation ancienne de la vallée de la Cance et de ses abords, en 889, un puissant alleutier nommé Guigue donne à l’abbaye de Romans divers biens dans le pagus de Vienne et l’ager d’Annonay. Plus précisément, ces biens sont dits in locis que nominantur Valle Cantia (vallée de la Cance) sive Venosco (Vanosc). Ils sont situés à Bronna (Montbrun, cne de Villevocance ?), à Miseriaco (Misérieux, cne de Villevocance), à Escomelo (Escomel, cne de Villevocance), à Maxiano (Meyssat, cne de Vanosc), à Provincerias (Pervenchères, cne de Saint-Julien-Vocance) ainsi que dans de nombreux autres lieux situés dans la vallée de la Cance mais que nous n’avons pu identifier avec précision ( 2581 ).

L’importance du peuplement ancien dans la vallée de la Cance et sur ses abords immédiats induit implicitement l’existence d’un chemin circulant dans la vallée dès le haut Moyen Age, mais rien ne permet de penser que celui-ci ait eu alors une quelconque importance. A l’inverse, la région de Saint-Bonnet-le-Froid était pour autant que l’on puisse en juger, assez peu peuplée avant le milieu du Moyen Age ( 2582 ). Cela n’interdit néanmoins nullement le passage de la route qui peut tout à fait traverser des région semis désertes. Tout en retenant la possibilité que la route de la Cance ait existé dès les siècles Carolingiens au moins, les communications entre Annonay et le Velay devaient essentiellement se faire par la route de la vallée de la Deûme que nous avons déjà présentée et que nous tenons pour au moins altimédiévale.

Notes
2556.

) AD 07, 1J 274.

2557.

) AD 07, C 859, n°75.

2558.

) Acte de Me Guérin, notaire d’Annonay dont les registres sont perdus, mais transcrit partiellement dans Poncer (J.-A.) : Mémoire historique sur le Vivarais, op. cit., t. I, p. 159.

2559.

) Annonay, cadastre de 1826, tableau d’assemblage.

2560.

) Annonay cadastre de 1826, section de Châtinais feuille B2 et section de Toissieu feuille B3.

2561.

) AD 07, C 859, n°75.

2562.

) Villevocance, cadastre de 1826, section de Ville, feuilles A2 et A3.

2563.

) AD 07, 1J 274, f°71.

2564.

) Villevocance, cadastre de 1826, section de Ville, feuille A1 et section de Praillon, feuille B1.

2565.

) AD 07, 90H 50, pièce 19.

2566.

) AD 07, 1J 274, f°49.

2567.

) Saint-Julien-Vocance, cadastre de 1826, tableau d’assemblage.

2568.

) AD 07, C 797.

2569.

) Cf. par exemple : AN, KK 1230 et AD 07, C 96, f°231.

2570.

) Saint-Julien-Vocance, cadastre de 1826, section du Four, feuilles D1 et D2.

2571.

) AD 07, 1J 274, f°56v°.

2572.

) AN, H4 3082/1.

2573.

) Pont-Saint-Esprit, Gard, Brugier-Roure (L.) : Chronique et cartulaire..., op. cit., n°CXIX.

2574.

) Poncer (J.-A.) : Mémoire historique sur le Vivarais, op. cit., t. I, p. 159.

2575.

) AD 07, C 96, f°231.

2576.

) Cf t. I, p. 143-146.

2577.

) AD 48, G 1089.

2578.

) AN, H4 3082/1.

2579.

) Dauzat (A. ) et Rostaing (G.) : Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, op. cit., p. 707.

2580.

) Allut (P.) éd. : Claude Charvet, Mémoire pour servir à l’histoire de l’abbaye royale de Saint-André-le-Haut, op. cit., p. 653-655.

2581.

) Chevalier (U.) : Cartulaire de Saint-Barnard, op. cit., n°4, p. 5-7.

2582.

) Aucun site archéologique antérieur au VIIIè siècle n’est pour l’heure recensé sur la région de Tence - Saint-Bonnet-le-Froid, cf. Provost (M.) et Rémy (B.) : Carte archéologique de la Gaule romaine, Haute-Loire, op. cit., p. 170, 172.