De Saint-Félicien à Lalouvesc

Après Saint-Félicien, la route médiévale suit certainement un tracé plus direct que la route actuelle en direction du col du Gibet, tracé restant encore relativement lisible sur le cadastre. Il est net que la route principale du cadastre entre Saint-Félicien et le col du Gibet n’est pas la route médiévale. Elle n’en présente aucun caractère, serpentant fidèlement le long des courbes de niveau, de même qu’elle ne vient que très mal s’inscrire dans le parcellaire napoléonien qu’elle recoupe le plus souvent. Au contraire, une succession continue de plusieurs tronçons de chemins et de limites parcellaires rectilignes permet de restituer un axe direct passant au sud du hameau d’Amont semblant plus correspondre au chemin médiéval ( 2646 ). Il est ici intéressant de noter l’évolution des tracés. Le chemin médiéval « coupe » le relief en droite ligne, n’hésitant pas à franchir un dénivelé important mais n’allongeant nullement la distance par de quelconques détours superflus. Le chemin du XVIIIè siècle, passant plus au sud, présente déjà un tracé au profil plus doux, et ceci au prix d’un allongement sensible de la distance. La route actuelle, construite ex nihilo et ne figurant pas sur le cadastre napoléonien, pousse ce parti à l’extrême puisqu’elle effectue un détour de trois à quatre kilomètres afin d’offrir un profil sans aucune forte pente.

A partir du col du Gibet la route traverse le nord de la paroisse de Pailharès. Nous la retrouvons al Vernelh dès 1276 à proximité du lieu de Letraco ( 2647 ), désignée sous le nom d’iter de Letraco ( 2648 ). Le lieu-dit de Letraco est à identifier avec le lieu de Létra actuel ( 2649 ). En 1294, c’est l’iter de Turnone apud La Louves qui passe au lieu-dit de Vernelh ( 2650 ). Sur ce tronçon, la route actuelle se confond avec le chemin qualifié sur le cadastre « d’ancien chemin », le tracé dit alors « grande route » passant plus au nord. Sur cette section, elle est mentionnée en 1478 comme confront d’une terre vendue au territoire de Longa Roveyra, située au mandement de Seray, que la route longe alors sur sa limite sud ( 2651 ). Circulant sur la limite des mandements de Rochebloine au sud et de Seray au nord, la route longe le flanc méridional de la serre de la Graille puis passe au sud du mas d’Oternaud ( 2652 ) où l’itinere regio tendente de Alovesco apud Turnone confronte une terre vendue dans la seconde moitié du XVè siècle ( 2653 ).

Après la serre de la Graille ( 2654 ), le chemin continue par Grimaud jusqu’au col du Marchand, au nom évocateur, puis par le col du Faux. Au niveau de ces deux cols, la route de Tournon à Lalouvesc et au Puy croise la route allant de Pailharès à Annonay que nous avons déjà évoquée. Avant d’arriver au col du Marchand, la strata de Valisventis versus Alovesco, qui n’est autre que la route de Tournon au Puy, sert de limite à la Cham de Bastencs en 1281 ( 2655 ).

Sur cette section, le chemin traverse le nord du mandement de Rochebloine. Dans l’étendue de ce dernier se lève peut-être un péage attesté une seule fois en 1310 ( 2656 ). Nous ne savons toutefois pas où celui-ci se levait, le château de Rochebloine étant implanté plusieurs kilomètres au sud de la route. Peut-on suggérer qu’un poste de perception existait au lieu-dit de Létra ? L’association du lieu-dit et de la route est étroite ainsi qu’en témoigne peut-être le toponyme ( 2657 ). En outre, le lieu de Létra n’est jamais localisé dans les textes par rapport au chef-lieu de paroisse, en l’occurrence Pailharès, comme c’est généralement le cas, mais toujours par rapport au chef-lieu de mandement, pourtant très éloigné, de Rochebloine. Pour finir, notons que la route prend parfois le nom de strata de Letraco. Ne peut-on pas proposer que cette appellation porte sur la section sur laquelle s’étendent les droits de péage de Létra? Restons toutefois prudents.

Notons encore qu’à partir du col du Gibet et presque jusqu’à Lalouvec, la route sert de limite de paroisse entre Pailharès et Vaudevant puis entre Lalouvec et Satillieu sur une distance de huit kilomètres, signe de l’ancienneté du tracé.

La route, enfin, arrive à Lalouvesc où nous la retrouvons mentionnée à de très nombreuses reprises du XIIIè siècle au XVè siècle. En 1294, c’est l’iter de Turnone apud La Louves qui confronte une terre située dans le mandement de Rochebloine ( 2658 ), et en 1478, l’itinere publico quo itur de Alovesco apud Vallisventum et Sanctum Victorum confronte une terre dans le mandement de Seray ( 2659 ). Lalouvec est en outre un poste de perception du péage du mandement de Mahun, que l’on retrouve mentionné conjointement avec le poste de Satillieu. En effet, le château de Mahun ( 2660 ), centre d’un vaste mandement s’étendant sur plusieurs vallées, n’est pas lui-même situé sur un axe de circulation commercial développé. Le péage ne semble donc pas s’y percevoir directement mais se lève au contraire sur les marges du mandement qui, comme à Lalouvesc au sud, est bordé de routes importantes ( 2661 ).

Notes
2646.

) Saint-Félicien, cadastre de 1836, section A1 dite de Saint-Félicien.

2647.

) Actuellement, lieu-dit de Létra, commune de Pailharès, carte I.G.N. 2935 est, Satillieu.

2648.

) AN, P 494, cote 1410.

2649.

) Pailharès, cadastre de 1837, section A3 dite de Colin.

2650.

) A. Nat.,P 494, cote 1456.

2651.

) AD 58, 2F 820, pièce 2.

2652.

) Commune de Vaudevent, carte I.G.N. 1/25000è n°2935 est, Satillieu.

2653.

) AD 58, 2F 822, pièce 2.

2654.

) Pailharès, cadastre de 1837, section A1 dite de Colin.

2655.

) AD 07, 13J 7.

2656.

) AN, P 1397/1, cote 469 ; cf. t. I, annexe n°13.

2657.

) Les linguistes ne se prononcent pas totalement sur l’étymologie de Létra, proposant deux solutions. Il peut s’agir soit d’un toponyme formé de Let suivi du suffixe -acus ou bien d’un dérivé classique de strata. [Discussion avec M. Georges Massot, professeur-agrégé de lettres classiques au lycée d’Aubenas, toponymiste vivarois]

2658.

) AN, P 494, cote 1456.

2659.

) AD 58, 2F 820, pièce 2.

2660.

) Sur le château de Mahun et son mandement, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats, X è -XIII è siècles, op. cit., vol. III, p. 193.

2661.

) Sur le péage de Mahun et le poste de perception de Lalouvesc, cf. t. I, annexe n°13.