Au sud de Saint-Félicien, un autre itinéraire important rejoint la bastide royale de Boucieu, dans la vallée du Doux. Mal renseigné, nous le retrouvons toutefois en 1414 au lieu-dit de la Cruce de Filhonerii, sur la paroisse de Saint-Félicien, alors qualifié d’iter publicum per quo itur de Turnone versus Anicium ( 2831 ). Le lieu de Filhonerii correspond à l’heure actuelle au quartier de Filhon, situé sur la commune de Saint-Félicien, en rive gauche de la Daronne. Un sentier encore cadastré descend directement vers la Daronne passant par le hameau de Jomard puis par celui de Filhon ( 2832 ). Ce chemin sert de limite entre les deux quartiers et passe par la Croix de Jomard-Filhon ce qui laisse penser que c’est bien le nôtre. Sur la dernière centaine de mètres avant la Daronne, le chemin semble se partager en plusieurs axes parallèles conduisant à divers gués possibles, compris entre le moulin de Pierragay et le lieu-dit évocateur de la Revicole ( 2833 ). Au-delà de la Daronne, le chemin entre sur la paroisse de Bosas. Là encore, il faut se fier au cadastre pour restituer son tracé. Sur toute la traversée de la paroisse de Bosas, le chemin, franchissant la Daronne au moulin de Pierragay, est continu jusqu’au pont de Boucieu sur le Doux. Si à l’heure actuelle, il n’existe plus sur certaines sections, il apparaît au cadastre napoléonien encore soit sous forme de modeste sentier, soit sous forme de voies vicinales, selon les tronçons. Il ne correspond en rien à la route de Saint-Félicien à Bosas qui passe plus à l’est. Ce chemin passe par le lieu-dit de Perdriolle, évite Bosas par l’est et continue au sud par le lieu-dit Les Extrats, évocateur du passage de la route ( 2834 ). A partir de ce point et presque jusqu’au Doux, la route sert de limite de paroisse entre Bosas à l’est et Arlebosc à l’ouest.
La traversée du Doux se fait, au moins à partir du milieu du XIVè siècle sur un pont mentionné dès 1351 ( 2835 ) existant encore pour partie de nos jours. Après cette traversée le chemin remonte par Boucieu en direction de la route de Tournon à Lamastre qui est rejointe non loin de Saint-Barthélemy-le-Plain.
L’importance de cet axe, lui aussi dit « route de Tournon au Puy », ne semble pas faire de doute à la fin du Moyen Age, même si elle n’est certainement pas comparable à celle de l’axe direct passant par Lamastre, Désaignes et Saint-Agrève que nous venons de décrire. La présence dès le XIVè siècle d’un pont permettant de franchir le Doux en toutes saisons est un argument supplémentaire plaidant en faveur d’un développement réel de la route. En effet, les circulations locales auraient sans doute tout à fait pu se contenter de traverser le Doux, rivière assez modeste durant une large part de l’année, à gué ou sur une simple « planche ». Il faut aussi verser au dossier de l’importance de la route le développement administratif de Boucieu qui devient de 1329 jusqu’au XVIè siècle une cour de justice royale ( 2836 ). Sans doute ces fonctions judiciaires ont-elles, même si cela reste difficile à cerner en raison de l’absence de document émanant de cette juridiction, drainé un nombre non négligeable de personnes vers la bastide nouvellement créée, participant ainsi aux circulations empruntant notre route qui relie très directement tout l’extrême nord du Vivarais à Boucieu.
Si le chemin nous paraît avoir une certaine importance à la fin du Moyen Age, il est difficile de savoir ce qu’il en est aux périodes précédentes. Un seul texte antérieur au XIIIè siècle mentionne des routes dans la région de Saint-Félicien. Autour de l’année 1084, Otmarus de Mirollo donne à Saint-Barnard de Romans tout ce qu’il possède dans la paroisse de Saint-Félicien. Les biens donnés sont a clauso veteri usque in rivum Daronam et sont confrontés par duas vias que tendunt ad molendinum, unam per villam Tavanosc, et alias per Crucem ( 2837 ). Il est difficile de localiser ces quelques lieux mentionnés dans l’acte et Ulysse Chevalier, l’éditeur du cartulaire de Saint-Barnard, propose d’identifier la villa de Tavanosc avec le lieu-dit de Terrenau, la Cruce avec le quartier de La Croix, voisin de Saint-Félicien, et enfin, le moulin, avec le moulin de Bosas ( 2838 ). Nous nous permettons de douter qu’il s’agisse ici du moulin de Bosas, situé non sur la paroisse de Saint-Félicien comme indiqué dans l’acte, ni même en limite de celle-ci, mais au contraire sur la paroisse de Saint-Victor, sur la Daronne, à la limite de Saint-Victor et de Bosas. Il semble donc qu’il faille chercher un moulin plus proche, localisé sur la paroisse de Saint-Félicien même. Certes, rien ne nous permet de savoir s’il s’agit ici de celui de Pierregeay au niveau duquel notre route traverse la Daronne, mais retenons la possibilité, ce qui attesterait alors que la route Saint-Félicien - Boucieu est déjà en place, au moins sur une section, dès le XIè siècle.
Remarquons ici la forme particulière de la paroisse de Bosas qui est presque circulaire et se prolonge depuis les Extrats jusqu’au Doux d’un appendice long de près de deux kilomètres et large d’une centaine de mètres seulement, encadrant notre route ( 2839 ). Nous suggérons ici la même explication que pour la paroisse de Pailharès qui présente une excroissance similaire en direction du Doux. Malgré le manque d’éléments probants, ne peut-on penser qu’il s’agit ici d’une extension de la paroisse se structurant autour de la route qui constitue, en quelque sorte, « l’épine dorsale » du développement ? Ce serait alors un signe de l’ancienneté relative de l’itinéraire dans le Moyen Age, et sans doute peut-on dire comme lorsqu’une route sert de limite paroissiale, que nous sommes dans ce cas face à un axe antérieur au IX ou au Xè siècle.
Les abords de la vallée du Doux apparaissent donc à la fin du Moyen Age comme un axe de pénétration privilégié vers le Massif Central en venant du sillon rhodanien. La route cheminant au sud de la rivière, par Lamastre et Désaignes puis Saint-Agrève est tout à la fois plus ancienne, certainement même antique, et plus importante que la route du nord du Doux par Lalouvesc. Cette dernière impose en effet au voyageur se rendant au Puy de faire un long détour vers le nord qui inévitablement rallonge son trajet bien que la route de Boucieu-le-Roi à Saint-Félicien puisse constituer un « raccourci » non négligeable d’une quinzaine de kilomètres. Entre les deux, reliant Pailharès mais aussi au-delà Annonay à Saint-Agrève, une courte route orientée nord sud se développe tout en restant manifestement secondaire par rapport aux deux axes Rhône - Velay.
) AD 07, 1J 216, 53v°.
) Saint-Félicien, cadastre de 1836, section A3 dite de Saint-Félicien.
) Ibidem.
) Bosas, cadastre de 1836, section A3 dite de Provençal.
) AD 07, 1J 212, peau 22.
) Régné (J.), Rouchier (J.) : Histoire du Vivarais, op. cit., t.II, p. 157.
) Cartulaire de Saint-Barnard, n°192.
) Chevalier (U.) : Cartulaire de l’abbaye de Saint-Barnard de Romans, op. cit., p. 209.
) Cf. carte détaillée n°50