Nous devons encore mentionner un autre itinéraire doublant le précédent sur une vingtaine de kilomètres et permettant de relier Vernoux aux Nonières en ne passant pas par Chalencon. Il n’est mentionné dans aucun texte médiéval, mais il est vrai que les paroisses traversées ne sont couvertes par aucun terrier. Au XVIIIè siècle, c’est toutefois le chemin principal qui seul figure sur la carte de Cassini. Rien ne permet néanmoins d’avancer qu’il ait eu une grande importance au Moyen Age, la route principale passant par Chalencon comme nous venons de le décrire, mais il pouvait déjà exister dans la mesure où il constitue la limite de plusieurs paroisses tout au long de son tracé.
Le chemin quitte Vernoux par le nord-ouest et se dirige vers le lieu-dit des Baraques pour continuer par le sud du mont Chiron jusqu’à Cluac. Du mont Chiron à Cluac, son tracé diverge certainement de la R.D. 21 actuelle et passe plus au sud de quelques centaines de mètres. Il sert de limite aux paroisses de Saint-Basile et de Saint-Apollinaire-de-Rias. Au sortir de Cluac, le très modeste ruisseau qui coule en contrebas du village est traversé au hameau de la Planche, toponyme évocateur du moyen de traverser, puis le chemin monte ensuite sur la Serre des Mulet et passe à Goudelet pour se greffer, au niveau de la Chaumasse, sur le chemin principal venu de Chalencon et allant sur les Nonières.
Le chemin ne traverse jamais la Dunière ni aucune rivière importante mais les contourne par le nord. Rappelons au contraire que la route principale cheminant au sud par Chalencon coupe la Dunière dont la traversée au Moyen Age se fait à gué. Ceci peut évidemment poser de sérieux problèmes en période de hautes eaux et expliquer ainsi l’existence de ce chemin passant au nord. L’axe principal reste au sud du plateau de Vernoux du fait même de la présence de Chalencon, principale localité de la région, et le chemin nord n’est qu’un axe secondaire emprunté conjoncturellement en fonction du niveau des eaux.
Ce n’est qu’avec le développement postmédiéval de Vernoux qui supplante alors Chalencon que l’axe nord semble avoir été résolument privilégié, puisque c’est le seul figurant sur la carte de Cassini ( 2895 ). Ce choix n’en a pas moins entraîné de nombreuses discussions en 1774 lorsque les Etats du Vivarais prennent le parti de classer « route royale » l’un des deux axes : les habitants de Vernoux font remarquer que Chalencon a perdu toute son importance et n’a plus que « la vaine qualité de ville » ( 2896 ), ce qui justifie à leurs yeux le fait que la route principale n’ait plus à y passer. L’itinéraire détourné médiéval devient alors le chemin principal, seul digne d’intérêt aux yeux des cartographes royaux.
L’importance de la route de Valence à Saint-Agrève, et au-delà au Puy, durant les trois derniers siècles du Moyen Age ne fait aucun doute. C’est même assurément l’un des plus important de la région, par lequel des flux commerciaux de premier ordre circulent. Ainsi, dès le milieu du XIVè siècle, la route prend presque systématiquement le qualificatif de « royale ». De même, signe de son rôle prépondérant dans les circulations inter régionales, elle est très souvent appelée « route de Valence au Puy » ou inversement ; ce ne serait certainement pas le cas pour un axe de second ordre.
L’origine et la destination de la route expliquent à elles seules son importance. Dans la vallée du Rhône, le chemin débouche au niveau de la cité de Valence, pôle urbain majeur de la moyenne vallée du Rhône. A ce niveau, le fleuve ne constitue jamais au Moyen Age un obstacle infranchissable, soit grâce à la présence du pont, sans doute de la seconde moitié du XIIè siècle jusqu’au plein XIIIè siècle, soit ensuite par la présence de plusieurs bacs à traille. A l’autre extrémité de la route, Le Puy est aussi une localité d’importance première que l’on ne présente plus et dont le rayonnement spirituel draine nombre de pèlerins. Certains empruntent la route de Valence au Puy comme ceux qui sont en procès devant la cour de justice de Crussol en 1429 contre le péager du lieu qui a exigé d’eux le payement des droits de péage pour traverser le Rhône, alors que les pèlerins en sont normalement exempts. Il est alors précisé que les plaignants sont des romipetas venientes de Anicii (sic) ( 2897 ).
Autre élément significatif de l’importance de la route, le nombre de péages prélevés sur son parcours est particulièrement important, reflet de la volonté qu’ont les seigneurs châtelains de profiter des courants commerciaux l’empruntant. Dès la traversée du Rhône, le chemin entre dans le mandement de Crussol, dans l’étendue duquel se perçoit un péage. Ensuite, il traverse ceux de Boffres, de Châteauneuf-de-Vernoux et de Chalencon où il est taxé et enfin, il arrive à Saint-Agrève où se lève le dernier péage avant le Velay. La route ne traverse aucun mandement sans qu’un péage y soit prélevé, soit en moyenne un péage tous les huit à dix kilomètres !
Il est difficile de proposer une datation pour les origines de cette route, aucun texte antérieur au XIIIè siècle ne concernant la région. Toutefois, la carte du peuplement du plateau de Vernoux avant les siècles carolingiens est éloquente. Au travers des découvertes archéologiques, ce dernier apparaît largement inoccupé durant l’Antiquité tardive et le très haut Moyen Age ( 2898 ). Seule la toponymie qui livre quelques noms avec suffixe en -acum fournit des indices ténus d’une occupation antique ou du très haut Moyen Age, mais ils ne sont pas nombreux ( 2899 ). Remarquons néanmoins qu’ils sont concentrés sur le sud du plateau où passe notre route.
Ce n’est que par la suite, aux siècles carolingiens, que le plateau commence à être assez largement peuplé, surtout autour de Chalencon, qui devient le centre éponyme d’une viguerie importante s’étendant pratiquement sur tout le nord du pagus de Viviers, mentionnée pour la première fois au IXè siècle ( 2900 ). Le village de Chalencon même est d’ailleurs probablement issu de ce centre vicarial implanté immédiatement au bord de la route et associant pouvoir politique et encadrement ecclésial, avec l’église dédiée à Saint-Pierre ( 2901 ). Pour finir, notons que la route débouche sur le plateau vivaro-vellave à Saint-Agrève, localité importante dès le très haut Moyen Age ( 2902 ). Tout laisse penser qu’un chemin existait donc dès les VIIIè-IXè siècles sur le plateau de Vernoux, reliant selon toute vraisemblance les deux cités voisines de Valence et du Puy. Auparavant, les relations entre ces deux cités devaient emprunter l’itinéraire d’origine antique passant, comme nous l’avons déjà indiqué, par le rebord sud de la vallée du Doux.
Il apparaît donc que la route n’est pas antique ni du très haut moyen Age, mais qu’elle est certainement à lier à l’essor du peuplement dans la région aux siècles carolingiens, sans que l’on puisse toutefois préjuger de son importance commerciale d’alors ni de sa fréquentation.
) Cf. Molinier (A.) : Paroisses et communes de France, Ardèche, op. cit., p. 104 et p. 430. En 1644, Chalencon et Vernoux comptent le même nombre de feux : 100. En 1731, Chalencon n’a que 137 feux pour 297 à Vernoux et pour finir, en 1773, Chalencon ne compte que 317 habitants pour 1559 à Vernoux.
) Reynier (E.) : « Les voies de communication du plateau de Vernoux », art. cité., p. 115.
) AD 26, 2E 2666, f°6r°.
) Cf. Blanc (A.) : Carte archéologique de la Gaule romaine, fascicule XV, Ardèche, op. cit. p. 103-104. Depuis la rédaction de l’inventaire dressé par André Blanc, la recherche n’a encore livré aucun site Antique ou du haut Moyen Age sur le plateau de Vernoux. (renseignement Christelle Fraisse, Centre de documentation archéologique d’Alba-la-Romaine).
) Greygnac et Roissac : Cne de Vernoux : Jaunac : Cne de Chalencon ; Treignac : Cne de Saint-Maurice ou encore Cluac.
) Cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., vol I, p. 101.
) Cette association du centre vicarial et de l’église du haut Moyen Age, le tout situé le long d’un axe routier ancien se retrouve pour plusieurs autres viguerie vivaroises. A ce sujet, nous renvoyons à Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, vol. 1, p. 115-117.
) Sur le développement de Saint-Agrève, cf. t. I, p. 505.