b- De Fay-sur-Lignon au Puy

Passé le bourg de Fay-sur-Lignon, le voyageur peut rejoindre le Puy par Montusclat suivant le tracé que nous avons déjà décrit. Il peut aussi continuer par Saint-Front et Lantriac, ce qui pour lui représente un chemin sensiblement plus court.

A la sortie de Fay, le chemin continue en direction de Saint-Front en passant par le quartier de Lestras au niveau duquel il est dit sur le cadastre « route de Fay au Puy » ( 3142 ). Sur les sept kilomètres séparant les villages de Fay et de Saint-Front, le tracé du chemin figure très nettement au cadastre napoléonien, suivant un tracé plus septentrional que la route actuelle. Il passe par Monty Denier ( 3143 ) puis, traversant le bois de Chaudeyrac ( 3144 ), arrive à Saint-Front. Seules quelques centaines de mètres de tracé ont disparu du cadastre au niveau du hameau de Térios mais là encore, plusieurs limites de parcelles en conservent le souvenir ( 3145 ).

Après Saint-Front, le « chemin du Puy » rejoint la vallée de la Gagne en passant par Bournac puis la Teysonneyre ( 3146 ). De la Teyssonneyre, qui se trouve au bord du plateau, à la rivière de la Gagne que la route traverse, le cadastre permet de distinguer deux itinéraires. Le premier oblique nettement vers le sud au niveau de la Teysonneyre pour dessiner plusieurs lacets en serpentant sur le versant de la vallée. Un second axe, descend plus brutalement de la Teysonneyre à la Gagne en ne décrivant aucun lacet : ce n’est pas le chemin principal au début du XIXè siècle, mais il est topographiquement évident qu’il est dans la continuité de la route de Saint-Front dont il n’est que la suite. La route en lacet est en outre très mal inscrite dans le parcellaire ( 3147 ) ce qui permet d’affirmer que le premier chemin suit au plus près le relief et se caractérise par une très forte pente tout à fait rédhibitoire pour le roulage, alors que le XVIIIè siècle aménage un axe plus long afin de diminuer la pente.

A ce niveau, la traversée de la Gagne se fait au lieu-dit des Planchas, toponyme gardant le souvenir de l’aménagement de bois probablement mis en place afin de franchir le torrent.

Une fois la Gagne traversée, c’est encore le cadastre napoléonien qui permet de situer la route. Celle-ci remonte tout aussi brutalement en rive droite qu’elle est descendue en rive gauche pour se diriger vers le hameau de la Chapelette puis vers les Vignettes ( 3148 ). Après les Vignettes, nous trouvons la route en limite des paroisses de Saint-Julien-Chapteuil et de Saint-Germain-Laprade sous le nom « d’ancien chemin du Puy à Saint-Front » ( 3149 ). Au niveau du hameau de la Portale, elle rejoint le chemin venu de Tournon et Saint-Agrève qui lui permet de gagner le Puy.

L’itinéraire que nous venons de décrire reliant la vallée de l’Eyrieux au Puy par Fay et Saint-Front n’est certainement pas un axe de première importance et ne peut pas être comparé à celui passant plus au nord par Saint-Agrève. Son orientation lui confère toutefois un rôle interrégional certain, mettant en contact la vallée du Rhône et le Massif-Central de manière très directe. Il faut toutefois bien distinguer deux tronçons en terme de niveau de développement. De la vallée de l’Eyrieux à Fay, la route n’est certainement que d’une importance très secondaire, tout comme celle de la haute vallée de l’Eyrieux dont elle se sépare. Ensuite, de Fay au Puy, elle draine une part du trafic arrivé sur le plateau par la vallée du Doux et par Saint-Agrève, ce qui accroît son importance de façon significative. Deux éléments attestent de façon indirecte du développement de cet axe Fay-sur-Lignon – Le Puy.

Tout d’abord, au niveau de Saint-Front et de Chaudeyrolles, la route traverse le mandement du château du Mézenc dans l’étendue duquel se lève un péage au moins dès 1205 ce qui en fait l’un des plus anciennement attesté dans la région ( 3150 ). En outre, l’importance de ce péage, même si elle est impossible à quantifier, se perçoit au travers de l’attention que lui portent ses détenteurs, les comtes de Valentinois qui ne manquent pas une occasion d’en réaffirmer l’existence durant toute la fin du Moyen Age, alors que le château du Mézenc lui-même est déjà presque totalement abandonné depuis un ou deux siècles ( 3151 ).

Ensuite, la succession des deux châteaux voisins du Mézenc et de Fay et le développement de ce dernier au détriment du premier, avec l’apparition d’un habitat castral prenant l’ampleur d’un bourg, est certainement à lier à la présence de la route ( 3152 ).

Le château du Mézenc, construit au milieu du Xè siècle, est le centre d’un vaste ensemble de seigneuries aux mains du lignage du Mézenc, couvrant une large partie du plateau mézencole et des hautes Boutières. Ce château, malgré son importance sur la période Xè-XIIIè siècles, n’est jamais parvenu à agglomérer d’habitat villageois sous ses murs. A l’extrême fin du XIIè siècle, le lignage des Mézenc s’éteint dans celui des Poitiers, comtes de Valentinois, et dès lors, le château du Mézenc connaît un déclin rapide et irréversible que les opérations archéologiques menées en 1995, 1996 et 1998 mettent clairement en évidence. Au XIIIè siècle, le château est largement abandonné et seul subsiste à la fin du Moyen Age un bâtiment unique, certainement destiné à abriter un officier seigneurial chargé de la perception des droits attachés au château, mais la basse cour est alors totalement désertée et ses bâtiments largement effondrés.

Le château de Fay, situé au centre du village du même nom, apparaît pour sa part à la fin du XIè siècle, mais il reste alors dans l’ombre de celui du Mézenc dont il ne constitue au XIIè siècle qu’un arrière-fief ( 3153 ). Ce n’est qu’au XIIIè siècle qu’il connaît un développement important et dès lors, le centre des domaines des comtes de Valentinois sur le plateau n’est plus le château du Mézenc, mais bien celui de Fay. Ce dernier prend définitivement l’ascendant sur le château du Mézenc, contrairement à la situation qui a prévalu jusqu’au XIIè siècle. Dans le courant du XIIIè siècle, les possessions des comtes de Valentinois sur le plateau Vivaro-vellave sont structurées en baronnie. Cette baronnie n’est toutefois pas la « baronnie du Mézenc » comme on aurait pu s’y attendre, eu égard à l’importance passée de ce château comme centre des domaines des Mézenc, devenus fin XIIè siècle ceux des Poitiers. Elle prend en effet le nom de « Fay et de Beaudiner » ( 3154 ). Cette dénomination ne fait qu’entériner le glissement du centre du pouvoir seigneurial d’un château à un autre, scellant l’essor du castrum de Fay et le déclin de celui du Mézenc.

Pourquoi un tel déplacement du centre de pouvoir du château du Mézenc vers celui de Fay ? Quel facteur déterminant peut justifier l’échec du site du Mézenc vis-à-vis de Fay au XIIIè siècle ? Implanté à près de 1500 mètres d’altitude, le château du Mézenc supporte certes des conditions climatiques très difficiles, mais celles de Fay, très justement baptisé « le-Froid », ne sont guère plus clémentes : il ne semble donc pas que ce soit de ce côté que les causes du déclin d’un site et de l’émergence de l’autre soient à rechercher. Le basculement d’un site à l’autre n’est pas non plus à expliquer par des causes politiques ou à lier aux familles les possédant. Les deux châteaux demeurent entre les mêmes mains durant toute la période qui nous intéresse : celles des Mézenc puis celles des Poitiers. Il faut donc proposer ici que Fay cristallise un castrum important aux XIIè et XIIIè siècles, parce que le site est bien placé sur la route du Rhône au Velay, alors que ce n’est pas le cas de celui du Mézenc qui se trouve ainsi marginalisé de fait. Nous avons déjà présenté précédemment des exemples pour lesquels nous supposons que le château ou le bourg castral ont attiré la route préexistant, comme à Malleval ou encore à Serrières. Ici nous sommes donc dans un autre cas où la route semble favoriser l’essor d’un château bien situé au détriment d’un autre plus éloigné de l’axe de circulation dès que l’essor de celui-ci devient un facteur de développement économique local.

Il ressort donc que si la route passant par Fay n’est pas l’une des plus importantes du Vivarais, loin s’en faut, son développement atteint toutefois un niveau significatif lui permettant de jouer un rôle certain dans la modification de la géographie des centres de pouvoir sur le plateau du Mézenc.

La succession des deux châteaux du Mézenc et de Fay étant très vraisemblablement liée à l’essor du castrum de Fay grâce au trafic routier, l’histoire des deux sites nous permet de proposer une chronologie pour le développement de l’axe routier.

Tout d’abord, remarquons que la vallée de l’Eyrieux n’apparaît aucunement peuplée de manière significative avant les Xè-XIè siècles et le plateau vivaro-vellave dans la région de Fay-le-Froid et de Saint-Front ne l’est pas plus. Seul Saint-Agrève au nord est un centre de peuplement important dès le VIIè siècle, centre vers lequel convergent toutes les routes altimédiévales de la région avant de continuer unitairement vers le Puy. Dans ce cadre, les châteaux de la région comme Fay ou plus encore le Mézenc sont des implantations largement pionnières, débouchant sur la mise en valeur d’espaces jusqu’alors mal maîtrisés. Le glissement du centre dominant des possessions des comtes de Valentinois depuis le château du Mézenc vers celui de Fay intervient à la fin du XIIè siècle et dans les toutes premières années du XIIIè siècle laissant penser qu’il sanctionne à cette période le développement de la route, celui-ci intervenant peut-être à partir de la fin du XIè siècle lorsque la région se fait plus peuplée, mais plus sûrement durant le XIIè siècle.

Notes
3142.

) Fay-sur-Lignon, cadastre de 1826, section A dite de Fay.

3143.

) Saint-Front, cadastre de 1826, section D2 dite de Roche.

3144.

) Saint-Front, cadastre de 1826, section E4 dite de Chaudeyrac.

3145.

) Saint-Front, cadastre de 1826, section F1 dite de Coufour.

3146.

) Saint-Front, cadastre de 1826, tableau d’assemblage.

3147.

) Saint-Front, cadastre de 1826, section B dite de Bournac.

3148.

) Saint-Julien-Chapteuil, cadastre de 1837, tableau d’assemblage.

3149.

) Saint-Germain-Laprade, cadastre de 1809, section C dite de Noustoulet.

3150.

) AD 07, 3H 10.

3151.

) Cf. t. I, annexe n°13.

3152.

) Sur le château du Mézenc, les fouilles archéologiques menées depuis six ans (Pierre-Yves Laffont, Franck Brechon) n’ont pas encore donné lieu à une publication de synthèse, cette dernière étant en préparation. Cependant il est possible de consulter pour l’heure Laffont (P.-Y.) : « Le château du Mézenc, histoire et archéologie d’un site controversé », art. cité ; Laffont (P-Y.) : « Le château du Mézenc (Haute-Loire), premières données historiques et archéologiques, Xè-XVIè siècle », art. cité ; ou les différents rapports de sondages déposés au Service Régional de l’Archéologie d’Auvergne.

Sur le château de Fay, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, op. cit., vol. III, p. 121.

3153.

) Laffont (P.-Y.) : Pouvoirs, châteaux et habitats en Vivarais, op. cit., vol. III, p. 121.

3154.

) Le nom de Beaudiner est associé à Fay dans la mesure où il constitue le second pôle des possessions valentinoises sur le plateau vellave, à une trentaine de kilomètres au nord de Fay.