Un autre axe traverse les Basses-Boutières du nord au sud, parallèle à celui reliant Saint-Alban à Chalencon. En 1328, aux portes de Privas ( 3318 ), il est dit chemin de Chalencon à Tournon ( 3319 ). Quelques textes permettent d’en jalonner assez précisément le parcours et de proposer un tracé.
A partir de Chalencon, le chemin est mentionné en 1390 à Chasaletz, dans la paroisse de Pranles, au sud de l’Eyrieux ( 3320 ). Entre les deux, nous ne disposons que de peu de renseignements et le cadastre ne nous est que d’un secours réduit. Tout au plus peut-on avancer que le chemin suit jusqu’à Saint-Michel-de-Chabrillanoux le même axe que la route menant de Chalencon aux Ollières. Ensuite, celui-ci oblique en direction du sud vers le quartier du Moulinon, où doit s’effectuer la traversée de l’Eyrieux. Un pont existait-il à cet endroit au Moyen Age ? Aucun texte n’en mentionne, les parties anciennes de l’ouvrage encore debout actuellement ne présentent aucune caractéristique pouvant permettre de les dater ( 3321 ). Tout au plus sait-on qu’en 1603 il est « ruiné et en danger de tomber » ( 3322 ), ce qui laisse penser qu’il est déjà assez ancien pour avoir subi les assauts du temps et des crues au point de devoir nécessiter la réalisation urgente de travaux. Dans ce cas, il peut-être au moins de la fin du Moyen Age.
Au-delà du pont, la remontée vers le hameau de Chasaletz où la route est mentionnée en 1390 ne pose pas de problèmes. Une fois l’Eyrieux traversée, la route se dirige au sud vers le pont de Chasaletz, mentionné en 1392 ( 3323 ), qui lui permet de traverser l’Auzène. Le toponyme de Plancheyrol ( 3324 ) situé au droit du pont rappelle d’ailleurs une période où l’Auzène due être traversée sur une simple « planche », mais rien ne nous permet de préciser si cette installation est médiévale ou non. Au niveau de Chasaletz, la route qui figure sur le cadastre sous le nom de route de Privas n’existait pas au début du XVIIIè siècle ; elle est le fruit de travaux dus aux Etats du Vivarais destinés à améliorer le roulage entre Privas et Vernoux ( 3325 ). Il est d’ailleurs net que ce tracé délaisse le pont de Chasaletz qui perd alors toute utilité. A l’inverse, subsiste encore un chemin cadastré au début du XIXè siècle qui part du pont et gravit rapidement la pente vers Chasaletz. Il est très vraisemblable qu’il soit l’héritier du chemin mentionné en 1390.
Au-delà de Chasaletz, ce chemin continue vers Franchassis par les abords du hameau du Ranc et ne passe pas par le col du Chapelet qui n’est emprunté que par la route du XVIIIè siècle. La très mauvaise inscription du tracé dans le parcellaire en fait fois. A Franchassis même, l’itinere per quod itur versus Privatium confronte une vigne reconnue par son tenancier en 1390 ( 3326 ). Il faut ensuite aller jusqu’aux portes de Privas pour que le tracé de la route soit à nouveau renseigné avec précision. Néanmoins, la configuration du relief laisse penser que le chemin suivait la serre de Selve, pour passer ensuite à Lavayas, puis à la serre de Pierre Aurelle, aux hameaux de Charrière-Haute et Charrière-Basse avant de descendre par Le Vernas jusqu’à Villeneuve où il est peut-être mentionné en 1429 ( 3327 ).
A l’approche de Privas, le chemin traverse le ruisseau de Mézayon sur un pont existant dès 1281, le Pontem de Mezayon ( 3328 ), localisé avec précision en 1309 puisqu’il est alors situé ultra castrum de Turnone ( 3329 ). Passé le pont sur le Mézayon, le chemin arrive au castrum de Tournon, dans la traversée duquel il est bien attesté en 1328 ( 3330 ). Il ne reste alors plus que le ruisseau de Charalon à traverser pour arriver à Privas. Aucun pont n’apparaît dans la documentation médiévale, mais il est logique d’envisager qu’il en ait existé un. En effet, le Mézayon voisin ne se franchit plus à gué au moins dès 1281, ce qui rendrait difficilement compréhensible l’absence d’un pont sur le Charalon tout aussi gênant pour les circulations. Subsistent encore à l’heure actuelle les vestiges d’un ouvrage qui ne peut toutefois pas être attribué au Moyen Age, mais plus certainement aux XVIIè ou XVIIIè siècles. Néanmoins, remarquons qu’il est situé au quartier de Charalon, toponyme dérivant de l’hydronyme au point de traversée de l’axe routier. Ceci, à défaut d’avoir la certitude de la présence d’un pont à la fin du Moyen Age, permet au moins de situer le point de franchissement de la rivière. Sur le cadastre, un chemin subsiste encore de Charalon à Privas, aboutissant directement dans l’axe de la porte nord du village primitif de Privas.
A la fin du Moyen Age, cet axe relie le principal centre du plateau de Vernoux, Chalencon, à Privas, petite ville du pied nord du plateau du Coiron. En aucun cas il ne s’agit d’un grand axe régional, ce dont témoigne le fait qu’il ne soit jamais désigné autrement que par le terme d’itinere, mais jamais par celui d’itinere regio ou encore de magna strata.
Tout comme en ce qui concerne le chemin de Chalencon à Saint-Alban, ce n’est pas tant l’importance de la route à la fin du Moyen Age qui doit arrêter l’attention, mais son éventuel développement aux siècles carolingiens. En effet, le tracé de l’itinéraire pose problème. Il est très illogique que cette route effectue un long détour vers l’ouest et passe par Pranles, alors que le cheminement le plus direct et topographiquement le plus facile emprunte au contraire la vallée du Boyon à l’est puis traverse l’Eyrieux au pont des Ollières, comme le fait la route actuelle qui est une création ex nihilo de la première moitié du XVIIIè siècle ( 3331 ). Cette situation ne tiendrait-elle pas au fait que Pranles ait été un chef-lieu vicarial carolingien contrôlant toutes les Basses-Boutières alors que Chalencon était aussi un centre vicarial, voisin au nord de celui de Pranles ( 3332 ) ? Il est donc possible de proposer logiquement, sans pouvoir apporter toutefois d’élément probant, que la route de la fin du Moyen Age passe par Pranles contre toute logique géographique car elle est l’héritière de l’axe altimédiéval reliant les deux centres vicariaux voisins.
) AD 07, C 196, f° 146.
) A l’heure actuelle, quartier de Petit-Tournon, sur la commune de Lyas, à ne pas confondre avec la ville de Tournon-sur-Rhône.
) AD 07, 19J 55, f°25.
) Ne subsistent éventuellement d’un pont initial que les bases de quelques piles, les élévations de toutes les arches ayant été reconstruites au cours de nombreuses campagnes de travaux successives, ce qui donne à l’ouvrage un caractère très hétérogène difficile à analyser.
) AD 07, C 340.
) Ibidem, 22v°.
) Carte I.G.N. 1/25000è, n°2937 est, Privas.
) Reynier (E.) : « Les voies de communications du plateau de Vernoux », art. cité, p. 110.
) AD 07, 19J 55, f°23v°.
) AD 07, 52J 111, f°9.
) Mazon (A.) : « Charte de libertés et franchises de Privas », art. cité.
) AD 07, 52J 56, f°84.
) A l’heure actuelle, quartier de Petit-Tournon, sur la commune de Lyas.
) Reynier (E.) : « Les voies de communications du plateau de Vernoux », art. Cité, p. 112.
) Sur ces deux vigueries, cf. Laffont (P.-Y.) : Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, X è -XIII è siècles, vol. I, p.101 et 109.